vendredi 28 février 2020

Lara Jenkins (Jan-Ole Gerster, 2019)


Voici le road movie le plus minimaliste du moment (je n'ai pas vérifié s'il y en a d'autres mais probablement). Dans quelques rues de Berlin et une seule journée, celle de l'anniversaire de Lara (Corinna Harfouch). Lara ne voulait pas bouger de chez elle ce matin-là, elle est en peignoir, elle fait sa petite routine, ouvre la fenêtre (je pense qu'elle voulait sauter vue la tronche qu'elle tire) pour fumer. Mais ça sonne à la porte, deux flics viennent pour la réquisitionner. « Elle est là la vieille ? » entend-on du talkie-walkie.

C'est que Lara, c'est le moins qu'on puisse dire, n'est pas vraiment la femme la plus appréciée, mais en tant que fonctionnaire à la retraite (elle a 60 ans aujourd'hui), elle fera bien l'affaire pour une perquisition. Lara Jenkins fait partie de ces personnages de film peu sympathiques, un peu pénibles, souvent exaspérants. Elle rejoint la cohorte qui comporte ceux de Gabriel et la montagne de Fellipe Barbosa, Jeune fille de Justine Trier ou Synonymes de Nadav Lapid. D'ailleurs elle porte un manteau qui ressemble à celui de Yoav, ce jaune moutarde.

Quand Lara esquisse un sourire, tente d'être aimable, ceux à qui elle s'adresse prennent plus peur que d'habitude. Elle va voir ses anciennes collègues et propose (exige pour dire vrai) de son ancienne secrétaire qu'elles se tutoient, on sent le malaise. Le film prend un malin plaisir à montrer ce malaise chaque fois qu'elle entre dans une pièce avec un sens consommé du suspense parce qu'on ne sait rien du passé de Lara. Ces trois premiers quarts d'heure dressent un portrait satirique de cette femme stricte, peu amène et solitaire.

Elle se prend quelques reproches polis mais fermes de ceux qu'elle rencontre, la fonctionnaire qui l'a remplacée, sa mère qui vit en banlieue dans un lotissement, son ancien professeur de piano, son ancien époux, la copine de son fils. Elle tente de se racheter en retirant tout son argent de son compte en ban que (encore une preuve qu'elle voulait en finir avec sa vie) et achète les derniers tickets pour le récital que doit donner son fils Viktor (Tom Schilling), un pianiste. Lara n'a pas été invitée. Mais ces tickets elle va en offrir à tous ceux qu'elle croisera dans son périple.

En métro, à pieds, en taxi, en bus. Lara change de quartier en traînant sa déprime. Les courtes discussions ne tournent qu'autour de Viktor et de ce concert. Sa mère et son ancien mari sont les plus durs. On échange des mots blessants (« ton gâteau d'anniversaire bon marché »), on se fait mal au sens propre comme au sens figuré (un claque est donnée, un archet est brisé). La tension est palpable. Au son, ce sont des accords stridents de violon que l'on entend, des mélodies sinistres, elles sont les pensées de Lara.

Le violon cède la place au piano dans la deuxième moitié du film quand Viktor entre enfin en scène. Tom Schilling joue un fils insipide, ce que l'on appelle un personnage Koulechov, il le joue à la perfection avec son air de gendre idéal. Cette figure banale et sans aspérité, ce garçon imberbe et glabre semble ne pas exister, il semble brisé par la vie, incapable d'avancer hors de l'ombre de sa mère. Tandis que l'heure du concert de cette journée qui n'en finit pas pour Lara avance, tout s'écroule comme un château de cartes.

Ce portrait de monstre que filme Jan-Ole Gerster est ordinaire, elle qui pense toujours faire le bien autour de lui mais se trompe sans cesse. Deux courtes scènes autour de leçon de piano, l'une avec l'ancien professeur de Lara, l'autre avec l'élève de Viktor, parlent de l'éducation allemande. Michael Haneke disait à peu près la même chose dans La Pianiste (que j'aime beaucoup) mais sur un ton tout autre, Jan-Ole Gerster ironise sur Haneke pour mieux s'en démarquer. La journée de Lara se finit sur un happy end de circonstance dont personne n'est dupe.

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