mercredi 5 février 2020

La Cravate (Etienne Chaillou & Mathias Théry, 2019)



Au nombre des éléments que j'aime analyser dans les films, il y a les tenues des personnages, ce qu'ils portent, ce que les vêtements veulent dire dans telle ou telle situation. Quand un film a pour titre La Cravate, ça me parle immédiatement. Le jeune homme, pas encore 25 ans, se prénomme Bastien, il vient de la Somme et on lui demande de porter une cravate pour faire bien. Il faut absolument qu'il paraisse exemplaire. Pour ainsi dire, qu'il devienne invisible au milieu des gens.

On est il y a quelques années, en 2016, avant l'élection présidentielle, celle qui a vu Macron affronter Madame Le Pen, comme le dit la voix off du film. Bastien est devant la caméra des deux cinéastes mais il a encore du mal à être dans le cadre, dans le plan. Les dirigeants du FN de la Somme, la dame en tailleur strict, les deux hommes en costumes cravate, viennent observer ce gars au visage d'enfant, au corps massif, portant un jeans trop grand et un sweat à capuche. Les cadres du FN finissent par le laisser tracter seul.

Avant de porter sa cravate, Bastien se contente de porter ses vêtements de tous les jours quand il est au marché pour distribuer des tracts du Front National. C'est dans l'intimité de son appartement qu'il dévoile ses tenues de tous les jours, sa rare touche de couleur, elle est sur ses caleçons. C'est dans l'intimité de son travail qu'il porte une sorte d'armure, il travaille dans une salle de jeux vidéo. Il fait le ménage, Bastien est une sorte de Cendrillon de la politique.

Être dans le cadre, pourquoi pas devenir cadre du FN. C'est une certaine ambition de Bastien. Il est devenu secrétaire de section, il ouvre la boutique chaque matin, prépare des communiqués en attendant le petit chef local, Eric Richermoz. Bastien lui laisse sa chaise quand il arrive. Eric est un ami de Bastien et il porte la cravate et le costumes transparent. Il ressemble à n'importe quel jeune homme politique sans aspérité, en le voyant il pourrait être du PS ou de LR.

C'est donc le destin de Bastien que suit La Cravate sur ces quelques mois de campagne électorale. Il entend bien monter les échelons rapidement. Eric et lui vont en Paris pour rencontrer le N°2 du parti. Voilà Philippot qui entre dans la pièce et se laisse filmer pour la page youtube que crée pour lui Bastien. Une seule idée : faire le buzz. Le buzz se fera, pas forcément à l'avantage de Philippot Bastien est fier. Mais il sera évincé par un cadre qui doit être plus lisse que lui.

Le FN il en rêve le jour et la nuit. C'est sa passion. Il est amoureux des « idées » il espère qu'il pourra les défendre lors des législatives. Il se verrait bien député de la Somme. Il connaît Philippot, il porte désormais la cravate. Les cravates même. Eric lui en fait acheter plusieurs, il faut apprendre à les porter, à se fondre dans le moule et il y arrive. Mais un pote de Philippot, Franck de La Personne sera candidat. Bastien est dégoûté mais il continuer de militer, de tracter.

On revient sur le passé de Bastien. Comment ? En discutant longuement. Le film est composé d'une voix off constante, celle d'Etienne Chaillou. En tout début de film, il présente le texte du commentaire à Bastien. Un texte très écrit, tout en analyse sur cette vie que Etienne Chaillou et Mathias Théry ont filmé pendant ces quelques mois. Bastien, face caméra, lit et annote parfois ce texte. Il esquisse parfois un petit sourire, il est souvent d'accord avec le ton du commentaire.

La Cravate c'est l'antithèse de Chez nous, la fiction sur le FN de Lucas Belvaux. La Cravate est un documentaire comme on en voit rarement (le précédent film du duo était un documentaire en animation, La Sociologue et l'ourson, j'en avais dit ici le plus grand bien), à la fois dans le pamphlet et dans l'analyse clinique, jusqu'à parfois irriter. Ça prend du temps à se mettre en place mais ça semble être une bonne méthode pour déshabiller l'idéologie du FN dont l'unique objectif est de faire du pognon.

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