lundi 24 février 2020

Alphaville (Jean-Luc Godard, 1965)

Pour prendre le contre-pied d'une certaine tendance de la critique française, Jean-Luc Godard a du se dire qu'il allait écrire une scénario pour Alphaville et s'y tenir du début à la fin. Le tout sous deux axes, un film d'espionnage et un film de science-fiction. Après tout ses collègues de la Nouvelle Vague l'avait précédé (Claude Chabrol avec Le Tigre aime la chait fraîche – Roger Hanin dans le rôle de l'espion – et François Truffaut avec Fahrenheit 451). on allait voir ce qu'on allait voir.

Pour son espion, il a l'idée fabuleuse et gonflée de demander à la vedette des films de Raymond Borderie, Eddie Constantine de reprendre son rôle de Lemmy Caution avec toute la panoplie – chapeau, pardessus, cigarette et regard de tombeur de ces dames. Cela s'assortit d'une attitude de dur à cuire à qui on ne le fait pas. Certes il n'aura qu'une seule bagarre, vite expédiée, dans une cabine téléphonique, mais l'idée est là.

Lemmy Caution agit sous couverture. Il se fait donc passer pour un reporter venu à Alphaville pour son journal le Figaro-Pravda. Il doit enquêter dans ce monde dont Raoul Coutard filme avec un génie inégalé (le plus somptueux noir et blanc de tous ses films de Godard) cette ville faite de buildings, de vitre, de béton, d'acier, de néons, de nuit que transpercent des lampadaires. Avec le matériel de 1965, Godard parvient à créer un monde interlope et angoissant.

Dans ce futur actuel, les gens ne se comportent pas comme dans le monde de 1965. C'est un monde de surveillance perpétuel où Lemmy Caution est contrôlé, où on le sert avec obséquiosité. C'est aussi un monde où la parole n'est plus libre et vidée de son sens. « Je vais très bien, merci, je vous prie » est la phrase que tous ceux qu'il croise et rencontre lui débite sur un ton monocorde et désincarné. La vie est calibrée à Alphaville et rien ne dépasse.

Pourtant l'une des forces du film qui contredit tout ce qu'on voit, ce sont les voix des personnages. Eddie Constantine parle avec un accent anglais. Anna Karina avec le sien pour son rôle de Natacha Von Braun. Plus tard ce sera Hakim Tamiroff avec sa voix mêlée d'idiomes russes, encore plus tard ce sera Laszlo Szabo en scientifique qui travaille pour le professeur Von Braun (Howard Vernon) succédané du Docteur Mabuse, comme un hommage à Fritz Lang.

Mais la voix la plus caractéristique est celle de Alpha 60, une voix gutturale et essoufflée pour ce robot qui surveille tout, observe chacun et qui va questionner Lemmy Caution. Alpha 60 est un robot qui domine la ville, une création vampirique du professeur Von Braun. Elle est la créature de ce monde en utopie inversée. Lemmy Caution doit la détruire mais il décide surtout de sauver Natacha de ses griffes et de la libérer.

Les femmes dans Alphaville comme souvent chez Godard sont des prostituées. Dans le film, leur statut est édulcoré par la novlangue, elle sont des séductrices d'ordre 3 et elles doivent satisfaire les besoins des hommes. Elles sont soumises et tatouées. Godard ne se prive pas de comparer ce monde à l'univers concentrationnaire : dans l'ascenseur qui le mène au centre d'Alpha 60, un insert montre le bouton « SS » pour sous-sol.

Quand Lemmy Caution fait exploser la machine qui contrôle la population, tout se dérègle. À l'image, le noir et blanc devient positif. Puis c'est cette fameuse scène des portes que l'espion ouvre dans un couloir avec les habitants titubants et agonisant qui illustra le générique de l'émission Cinéma Cinémas. Pendant des années, avant que je ne découvre Alphaville il y a 25 ans, ce travelling avant m'avait intrigué.


Alors voilà, Jean-Luc Godard suit son scénario de film d'espionnage, de film de science-fiction et c'est un peu dommage. Godard est le cinéaste par excellence du présent, son avenir de 1965 est un tantinet désuet. Il reste la modernité avec ses gros plans sur les visages qui se tournent vers le spectateur, c'est toujours aussi troublant. Après Alphaville, plus jamais il ne suivra un récit à la lettre, il filmera plutôt les marges du scénario que les lignes.











































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