mardi 11 février 2020

Fellini-Satyricon (Federico Fellini, 1968)

Ça a du faire un drôle d'effet aux spectateurs italiens de 1969 de passer de Juliette des esprits à Fellini-Satyricon, d'un film diurne, ensoleillé, tourné sous l'ombre des pins de Rome avec Giulietta Masina à une sombre adaptation d'un texte antique où Federico Fellini refuse l'académisme de ce genre de film (on aurait pu l'assimiler au péplum) pour la nudité des décors et des corps, dans tous les sens du terme. Avec Satyricon, Federico Fellin entame une révolution esthétique personnelle, d'une beauté comme rarement on n'en a vu au cinéma, qui durera plus de 20 ans jusqu'à son dernier film La Vocce della luna.

Le dieu noir et le diable blond, à moins que ce ne soit l'inverse, se disputent leur esclave sexuel Giton (Max Born), une tout jeune homme blond au visage à la fois enfantin et provocateur. Encolpe (Martin Potter) hurle contre son amant Ascylte (Hiram Keller) au vol. Ascylte a vendu le giton à un homme de théâtre et Encolpe va traverse toute cette tour de Babel, aux murs gris, aux escaliers raides, au portes ouvertes, à la recherche de son esclave. Un théâtre aux comédiens aux visages grimaçants, au corps abîmés, aux costumes rapiécés, Giton brille de sa beauté juvénile au milieu de ce cloaque.

La nudité des trois personnages est le premier choc esthétique dans Satyricon. Jamais Federico Fellini n'avait filmé les corps des jeunes acteurs, approché leur peau et leur visage. Encolpe, Ascylte et Giton ne porte que des pagnes libérant leur sensualité dans ce lupanar qui va vite s'effondrer, (c'est la métaphore de la Tour de Babel). Mais surtout Fellini filme une scène d'amour entre Ascylte et Giton (ce dernier l'a choisi plutôt qu'Encolpte, à son grand dam), avec de simples gestes, une main qui se pose délicatement sur une autre, des regards qui se croisent. Tout ça avant que tout ne s'effondre et que le trio ne soit séparé.

Une chose est absolument délirante dans Fellini-Satyricon, ce sont les regards caméra des figurants, acteurs et silhouettes. Jamais il n'y en a autant dans un film de Federico Fellini. Là ces regards au spectateurs sont le plus présents c'est dans ce décor de tout de Babel. La caméra est très mobile, elle fait des mouvements lents et c'est toute la chorégraphie du cinéaste qui se met en branle, enregistrant eu fond l'action et au premier plan ceux qui observent l'action, dans ces moments-là certains visages se tournent, détournent le regard de l'action, du théâtre, pour regarder la caméra, le spectateur, c'est dire à quel point ce film nous regarde.

Régulièrement, je lis Astérix chez les Helvètes sorti quelques mois après Satyricon. Dans les premières pages de la bédé de Gosciny et Uderzo, un Romain organise des orgies où la nourriture abonde, où les esclaves ne cessent jamais de servir les invités et où les visages des femmes sont atrocement grimés. Dans cet album, l'une d'elle dit « prête-moi ton vert à lèvres, je vais me refaire une laideur ». J'ai toujours pensé que cet album d'Astérix avait été très largement inspiré pour ces scènes d'orgie par le film de Federico Fellini. L'orgie occupe toute la seconde et longue séquence chez le riche Trimalcion (Mario Romagnoli).

Pendant deux heures de film, Encolpe et Ascylte vont se provoquer, se battre, se moquer l'un de l'autre (Fellini excelle à filmer les visages hautains et dédaigneux de ses acteurs), ils vont se poursuivre dans une quête infini dans la Rome antique païenne, sauvage et barbare qui se love parfois dans la mythologie grecque. Les deux amants se séparent en début de film pour une histoire de cul et vont ainsi mettre deux heures pour se retrouver et s'aimer à nouveau. Les deux hommes vont être séparés, se retrouver et aller vers des chemins différents. Chaque fois qu'ils sont séparés, ils seront faibles, unis et ensemble, ils sont accomplis.

Après les orgies chez Trimalcion, Encolpe embarque pour la mer. Après de longues minutes sombres, le film accède au soleil. Il tombe sur une roi fou, Lichas (Alain Cuny) au regard plus dément que jamais. Lichas tombe immédiatement amoureux d'Encolpe mais ce dernier, freluquet pédant, compte résister au vieil homme. Lichas provoque le jeune blond à la lutte. Le prix : si Lichas gagne, il épouse Encolpe. Lichas, fort comme un bœuf, gagne le combat de lutte. Il faut le reconnaître, c'est cocasse de voir Alain Cuny dans cette posture.Ce qui est fait sur une galère devant Ascylte hilare qui se moque de son amant.


Le film poursuit son périple jusqu'à l'épuisement de ses deux héros, ce qui signifie tout simplement qu'Encolpe est impuissant (après le passage chez l'hermaphrodite puis le minotaure – incroyable ambiance sonore de cris scandés par les spectateurs réunis en haut d'une colline pour observer le combat contre le minotaure). Ce sera à nouveau Ascylte qui va réveiller l'appétit sexuel d'Encolpe dans un ballet sur une balançoire, mime de copulation. Plus de deux heures de beauté intense, de sensualité convulsive, Fellini-Satyricon c'est vraiment le film italien païen sans les écueils métaphysiques de Pier Paolo Pasolini.










































2 commentaires:

Jacques Boudineau a dit…

passage difficile du grand au petit écran,
le rythme s'en ressent, les décors fabuleux
perdant aussi de leur puissance.
Mais sinon, quelle baffe !

Jean Dorel a dit…

J'avais vu le film sur grand écran en 1996, probablement au Champo.
Et encore là, pour le passage au petit écran, c'est le DVD de Potemkine qui vient d'être remastérisé. L'ancienne édition donne une image plus petite.