lundi 13 janvier 2020

Pierrot le fou (Jean-Luc Godard, 1965)

Allons-y Alonzo. La bande des Pieds Nickelés s'appelle Ribouldingue, Filochard et Croquignol. Leurs aventures étaient parues dans L'Epatant, c'est ce que lit Marianne (Anna Karina) quand Ferdinand (Jean-Paul Belmondo) rentre seul chez lui, abandonnant la soirée mondaine et sa femme. Marianne est endormie, il la réveille en douceur.

Quelques heures plus tôt, ils s'étaient serrés la main, ils avaient fait mine de ne pas se connaître. Elle était venue garder la fillette de Ferdinand, une fillette à qui il lit, lui dans sa baignoire fumant un cigare, elle passant ici et là, L'Histoire de l'art d'Elie Faure. Pas un livre pour une enfant, grondera l'épouse italienne (Graziella Galvani).

A la soirée mondaine, tout le monde parle comme dans une publicité. Sa femme avait commencé avec sa culotte Scandale, Ferdinand prend un malin plaisir à se moquer de sa femme, à vilipender cette société de la publicité. Il en entend et en voit de toutes les couleurs. Il s'éloigne le plus possible des invités pour aller discuter avec Samuel Fuller.

Plus encore que dans Le Mépris que Pierrot le fou suit de près, entres ces deux super productions et en cinémascope Jean-Luc Godard a tourné Bande à part, il faut définir le cinéma. C'est Samuel Fuller qui s'y colle. Tout se résume en seul mot « émotion ». A sa sortie, la critique ne s'est pas privé de dire que Pierrot le fou manquait d'émotion.

Ferdinand abandonne un foyer, un appartement très bourgeois pour l'aventure avec cette fille qu'il a connue quatre ans auparavant. Au bout de deux bobines soit 40 minutes, ils échouent dans une bicoque en ruine au sud de la France avec comme seule lecture Les Pieds nickelés. Ils ont tué Frank (Georges Staquet), censé être l'oncle de Marianne.

Ne pas travailler mais chercher de l'argent pour s'acheter des livres. Ferdinand passe son temps à lire dans le sud, tout l'argent y passe. Il engueule Marianne quand elle ne ramène pas assez de livres. Elle veut écouter de la musique, acheter des 45 tours (comme celui de Richard Anthony), il lui répond furibard « un disque tous les 50 livres ».

Tu parles Charles. Marianne aime chanter. Trois fois elle chante. Sa partition la plus connue est « Ma ligne de chance » auquel Ferdinand répond en parlant « ta ligne de hanche ». Ils chantent au milieu des arbres dans des longs mouvements de caméra qui épousent leurs déplacements en circonvolutions. C'est la partie comédie musicale du film.

Anna Karina chantait en début de film, avant de partir de Paris « Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerais toujours ô mon amour », comme une annonce de leur passion amoureuse. Chanson qui trouvera plus tard une réponse, encore sur la plage, en chorégraphie « tu sais ce que tu dis, c'est fantastique mic-mac ».

Raymond Devos, dans son unique apparition au cinéma n'est pas loin non plus de la chanson, il fredonne « est-ce que vous m'aimez » sur un air de piano sans que l'on sache d'où vient ce piano, ni même ce que Raymond Devos vient faire là si ce n'est la réponse de Godard à Truffaut qui avait invité Bobby Lapointe dans Tirez sur le pianiste.

Le road-movie commence en Peugeot 404, le coffre plein de dollars que Ferdinand cache à Marianne. Dans leur fuite, ils brûlent la voiture pour faire croire qu'ils sont morts (ça annonce les accidents de Week-end). Ferdinand laisse les billets se flamber, ils sont sans argent, ils devront être des hors la loi.

Marianne en voudra toujours à Ferdinand. C'est dans Pierrot le fou que Godard lui fait dire le plus de « gros mots ». Je vois dans ce langage un parti-pris réaliste qui s'oppose aux bons mots de Michel Audiard dans les films de Georges Lautner ou Henri Verneuil. 55 ans plus tard, seul Pierrot le fou parle de son époque sans avoir vieilli.

Les longs monologues hors champ dans la voiture avec les lumières qui passent alternativement de chaque côté du pare-brise sont des des dialogues de sourds mais des regards caméra, fixant l'horizon et le spectateur dans la salle. Jean-Paul Belmondo s'adressera aux spectateurs plus tard, encore une fois dans une voiture.

Dans le sud de la France, il ira au cinéma voir les actualités. Jean-Pierre Léaud est l'un des trois spectateurs dans la salle. Sur l'écran, les actualités sur la guerre au Vietnam déversent leurs images de mort. Pour gagner de l'argent, Ferdinand jouera le riche Américain qui bombarde Marianne la Viet Cong devant des marins américains hilares.

Un perroquet et un fennec tiennent compagnie aux deux fuyards dans leur maison en ruine. Marianne ne se séparera jamais de sa peluche de petit chien. C'est un compagnon qu'elle a récupéré, en même que le livre des Pieds nickelés, dans l'appartement de Ferdinand. Il marque la part enfantine sans cesse contredite par le comportement de Marianne.

La Peugeot 404 est brûlée. Le duo vole une Ford Galaxy dans un garage. La Ford finit dans l'eau. Ferdinand conduit un tracteur et trimbale Marianne dans une charrette. Quand le danger approche dans un polar à la sauce Godard avec des méchants plus patibulaires que nature, un nain pourvu d'un téléphone portable, ils se séparent. Puis Ferdinand retrouve Marianne en Alfa Romeo.

Couleurs du film, bleu, blanc, rouge, dès les générique qui égrène les lettres du titre par ordre alphabétique. C'est Anna Karina qui porte un pantalon bleu, un t-shirt blanc et un gilet rouge pendant une bonne partie du grand finale jusqu'à se permettre, volontairement ou pas, un superbe faux raccord prolongé sur la tenue d'Anna Karina.

Rengaines en écho : le « qu'est-ce que j'peux faire, j'sais pas quoi faire » de Marianne face au « Je m'appelle Ferdinand » chaque fois qu'elle l'appelle Pierrot. L'ennui de Marianne est la scène la plus connue de Pierrot le fou, j'aime beaucoup que Godard aie le chic pour cette petite musique pour ces petites phrases qui scandent ses premiers films.


J'ai commencé ces petites notes à propose de Pierrot le fou avec le réveil de Marianne au retour de Ferdinand chez lui. Il la réveillait mais peut-être que tout cela n'était qu'un rêve, peut-être qu'il ne l'a jamais réveillée, le film serait un immense rêve, Jean-Luc Godard aurait tourné le plus grand film onirique de l'histoire du cinéma. Oui, elle rêvait, c'est certain.
















































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