mercredi 29 janvier 2020

Panique (Julien Duvivier, 1946)

Ce soir-là, tout le quartier se précipite vers le terrain vague où les éboueurs viennent de découvrir le corps d'une jeune femme, elle a été étranglée dira le médecin légiste. Tout le monde sauf Monsieur Hire (Michel Simon) qui continue sa routine. Il sort du bus qui l'a amené de Paris à Villejuif où l'action de Panique se déroule, il prend en photo en clochard qui se dispute des détritus avec un chien, il va acheter des victuailles, des pommes, un steak et rentre enfin chez lui.

Monsieur Hire observe de loin cette assemblée qui se scandalise de cet assassinat. A juste titre. Il le fait cependant avec un petit sourire narquois, de celui qui sait ce qui s'est passé. Cela veut dire tout simplement que soit il est l'assassin, soit il a vu l'assassin. Seulement voilà, son manque d'empathie, le fait qu'il n'aille pas comme les autres sur les lieux montre à tous ceux qui se sont déplacés qu'il a probablement quelque chose à se reprocher.

S'il est bien quelqu'un qui a foncé dans le terrain vague, c'est Alfred (Paul Bernard). C'est à se demander même s'il ne dirige pas immédiatement l'enquête sur cette mort atroce. On le sent, nous spectateurs, qu'il en fait trop, que cet excès est vaguement suspect. C'est une manière simple de se mettre du côté de Monsieur Hire. Car même si Hire est bien moins sympathique de prime abord que cet bon Alfred, on se range vite de son côté.

On apprendra rapidement qu'Alfred est bien l'homme qui a étranglé la demoiselle du terrain vague. Il a l'air de même s'en vanter à sa petite amie Alice (Viviane Romance). Il lui raconte les détails du meurtre, tout ce qui s'est passé ce soir-là. Et il le fait assez vite dans le film, au bout d'à peine une demi-heure, c'est dire que Julien Duvivier ne cherche pas à jouer sur l'enquête, sur l'aspect « film policier » dans Panique.

Le cinéaste va vers autre chose, vers la personnalité tout d'abord de Monsieur Hire. Il est forcément interrogé par la police, comme tout le monde (comme par exemple les forains qui viennent de s'installer dans le quartier) et annonce son nom complet Désiré Hirovitch, qui pour la flicaille est à consonance étrange (comprendre juif), ce qui en fait le suspect idéal. D'autant qu'il demeure secret à pratiquement tous ses voisins.

Il part vers le complot, vers la condamnation du bouc-émissaire idéal que crée de toutes pièces Alfred avec la complicité d'Alice. Alfred est la parasite incarné. Le genre d'homme qui ne sait rien faire mais qui veut l'apprendre à tout le monde. Superbe scène où l'inspecteur Michelet (Charles Dorat) le réveille à midi comprenant qu'il lui raconte des bobards. Michelet le soupçonne assez vite mais se rend vite compte qu'il n'a aucune preuve.

La preuve, Hire affirme l'avoir (c'est assez facile de deviner comment il a la preuve qu'Alfred a tué la jeune femme) mais bizarrement il préfère ne rien dire et laisser le meurtrier libre. Bizarrement, finalement pas tant que ça. On comprend vite que Monsieur Hire est amoureux d'Alice. Et on comprend qu'en tant que suspect idéal, au moins aux yeux des commerçants et des voisins, il a du mal à accuser un gars aussi apprécié qu'Alfred.

Le film va alors prendre de bataille entre Alfred et Hire, c'est une guerre totale que se livrent les deux hommes. Mais une guerre inégale puisque Alfred a toutes les troupes derrière lui (le boucher qui se plaint que Hire ne trouve pas la viande assez saignante, le voisine qui accuse Hire d'être trop gentil avec sa fille) et il va lancer une chasse à l'homme qui n'est pas sans rappeler celle du monstre de Frankenstein (la cavale sur les toits).

Hire a réussi, dans son aveuglement, qu'il a pour alliée Alice. Il espère en faire sa femme. Il l'amène dans son jardin secret (une maison abandonnée sur la Marne), à son travail (il est astrologue à Paris). Mais Alice ment, elle déteste Hire, elle en a peur (il l'observe de sa fenêtre la nuit), elle se moque de lui devant Alfred quand Hire n'est plus là. Elle est également aveugle dans son amour pour Alfred malgré son crime.


Dans ce terrifiant filme noir qui marque son retour en France après quelques années à Hollywood, Julien Duvivier imprime l'atmosphère délétère de l'après-guerre. Tout le monde soupçonnait tout le monde. Le film décrit avec une précision (bien supérieure au Corbeau de Clouzot) la transmission de la rumeur publique, du poison de la rumeur (l'incroyable scène des autos-tamponneuses) et de son résultat sur les victimes.





























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