mardi 7 janvier 2020

Le Promeneur du Champ de Mars (Robert Guédiguian, 2004)

Je découvre 15 ans après Le Promeneur du Champ de Mars, je m'étais jusqu'alors contenté des films marseillais de Robert Guédiguian. Il est très agréable ce film et Michel Bouquet est entièrement dans son rôle de « Monsieur le Président ». Car François Mitterrand n'est jamais nommé, parfois un personnage (une ancienne résistante qu'il a connue en 1943) parle de lui en disant « François ». Jamais Mitterrand n'est prononcé, c'est dommage parce que je me rappelle que les gens de droite qui le détestaient l'appelaient Mitran, c'est d'ailleurs à ça qu'on reconnaissait ses adversaires viscéraux.

Nommer les gens, les appeler, c'est souvent l'écueil du cinéma français (pas une réplique sans prénom, au cas où les gens ne comprendraient pas). Dans Le Promeneur du Champ de Mars, l'absence de name drapping, d'énumération des noms connus a un but ultime : montrer la solitude de l'homme à la fin de ses deux mandats. Robert Guédiguian ne s'intéresse d'ailleurs pas à la politique de cette fin d'année 1994, début de 1995, quand Edouard Balladur était premier ministre et candidat face à Jacques Chirac, jamais évoqués dans le film.

Tout juste entend-on que le candidat du PS sera Lionel Jospin. Cela vient dans une scène où le président doit relire un texte censé soutenir Jospin, lui qui voulait faire l'inventaire du mitterrandisme. Pourtant, son personnage aura une pointe de jalousie quand Jospin aura fait au premier tour un score supérieur à celui d'avril 1981. Avec la suite que l'on sait, Chirac sera élu – mais de cela aussi, il ne sera pas question dans le film. Des questions, il y en a beaucoup qui sont posée à Monsieur le Président.

Ces questions, elles sont posées par un jeune journaliste, Antoine (Jalil Lespert). Il faut le reconnaître, si le jeu de Michel Bouquet est savoureux, celui de Jalil Lespert est fastidieux. Sa voix blanche permanente (en voix off, en narrateur commentateur) est sans doute là pour permettre précisément à Monsieur le Président de délivrer ses petites phrases, et dans les premières scènes, on en entend un bon nombre de ces aphorismes, petites phrases, réflexions que Mitterrand a eu, qu'elles soient apocryphes ou non. C'est le contraste qui règne d'abord.

Un vieil homme qui manie le verbe à la perfection, trouver dans chaque mot un sens précis et un jeune homme qui apprend à écrire. La scène pivot est celle qui livre offert par Antoine à François. Le premier veut faire plaisir au second, mieux, il espère le conquérir, l'amadouer. Au contraire, il se fait humilier deux fois (le coup de la citation sortie du contexte) par Mitterrand devant ses amis puis, chez ses parents avec sa fiancée, quand il raconte que ce cadeau lui a fait plaisir, vite démenti par la fiancée qui déteste Mitterrand.

La France de l'époque, je me le rappelle bien, détestait François Mitterrand après l'avoir tant vénéré. Tout ça à cause d'une photo prise pendant la guerre, une photo où il est avec Pétain. Antoine est là pour savoir si Mitterrand a été pétainiste ou résistant. C'est ce combat que le film raconte, ce passé qui ronge tout autant le président atteint d'un cancer comme Antoine dont la vie explose devant ses yeux. Le combat a donc lieu avec des mots, c'est l'arme favorite de Mitterrand. Il blesse souvent le petit journaliste (comme à son retour de Vichy pour enquêter).

Pour Mitterrand, il faut prendre de la hauteur et montrer à ce jeune homme candide et frais qu'il est la grandeur de la France. Dans le premier plan, Antoine prend le métro boulot dodo pour se retrouver immédiatement à survoler la cathédrale de Chartres en hélicoptère tout ça pour que Mitterrand puisse disserter à l'envi sur les gisants de la capitale, déjà conscient de sa mort proche et de son héritage qu'il va léguer à la France. Régulièrement il se compare (toujours en mieux aux prédécesseurs comme aux futurs successeurs. Lui seul a régné 14 ans de suite.


La maladie est là et le médecin est toujours à ses côtés tout comme son chauffeur. Ce quatuor va ainsi traverser la France, souvent en train et se retrouver de temps en temps. L'une des belles scènes est celle des adieux en fin de mandat, le chauffeur a sorti une bouteille de Champagne, tout ce qu'il espère est rester au service du président. L'homme est souvent surprenant dans ses moments d'extrême intimité, Antoine l'aide ainsi à sortit de son bain, plus tard il fera ses cartons tout seul, 14 ans de souvenirs et de présidence dans quelques cartons de déménagement, quelle ironie superbe à l'image de tout le film.


























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