mardi 3 janvier 2017

Un fauteuil pour deux (John Landis, 1983)

La Pennsylvanie est le berceau de l'Amérique, donc du capitalisme et les frères Duke, vieux grigous incarnés par Don Ameche et Ralph Bellamy sont des archétypes de l'aristocratie de la vieille Amérique triomphante des années Reagan. Il faut les observer dans leur immense propriété ces deux frères, il descendent les escaliers de leur manoir de style anglais, le majordome les accompagne jusqu'à la porte, le petit personnel est sur le perron à les saluer, ils grimpent dans leur rutilante limousine. On a bien observé qu'ils n'adressent pas un seul mot à leurs domestiques, qu'ils ne les regardent même pas, le menton haut et le regard narquois, ils partent faire leur business à Philadelphie.

Il est de leur monde ce jeune trader fringant qu'est Louis Winthorpe III (Dan Aykroyd). Il vit presque comme eux dans les quartiers chics de Philadelphie. Son auguste majordome, le toujours distingué Coleman (Denholm Elliott) est parfait. Le matin, il ramasse le journal, il prépare un copieux petit déjeuner, il l'apporte au lit de son patron et aide Louis à s'habiller avant que le chauffeur ne l'emmène chez Duke & Duke, ses employés si fortunés. Mais dans le générique d'ouverture d'Un fauteuil pour deux, John Landis a bien pris soin de montrer les deux côtés de la ville. Ici la richesse éclatante où les nantis s'apprêtent à fêter Noël, là les indigents des quartiers pauvres qui se réchauffent autour d'un bidon dans les rues enneigées.

Partant d'un principe très simple que les riches peuvent donner plus d'argent que les pauvres, Billy Ray Valentine (Eddie Murphy) fait la manche dans le quartier des affaires, non loin du Club select que fréquentent les frères Mortimer et Randolph Duke comme Louis Winthorpe III. Billy Ray a ses méthodes. Il porte des lunettes noires pour faire croire qu'il est aveugle, se recroqueville sur un plateau pour simuler l'amputation de ses jambes et porte une pancarte signalant qu'il est un vétéran du Vietnam. Son bagout et son art de la réplique n'ont que peu de poids devant deux flics qui veulent le faire déguerpir. Soudain retrouvant la vue et ses jambes, il part vers le Club où il emboutit Louis qui a tôt fait de le prendre pour un voleur, forcément un Noir est un voleur dans son monde.

De ce choc initial jaillit l'idée des frères Duke. Une expérience machiavélique et sournoise. Echanger les places entre Louis et Billy Ray. Car les deux vieillards sont des théoriciens, l'un pense que la pauvreté est un atavisme et l'autre estime que le contexte fait l'homme. John Landis met en place tout un échange entre les deux personnages, échange de domicile (Louis est expulsé comme un malpropre de chez lui par Coleman qui feint de ne pas le connaître et Billy Ray s'installe dans le luxe), échange de travail (les Duke organise l'exclusion du Club et de leur compagnie de Louis et engage Billy Ray à son poste). Reste à Mortimer et Randolph à observer leur cobayes humains se perdre dans la fange ou s'épanouir dans le confort.

La mécanique de John Landis se met en place avec une subtilité rare dans le cinéma américain. Le grain de sable qui vient encrasser cette expérience des Duke s'appelle Ophelia (Jamie Lee Curtis). La jeune femme a été engagée par le bras droit secret des millionnaires, Clarence Beeks (Paul Gleason), pour faire croire à la fiancée huppée de Louis qu'il a une maîtresse. La fiancée gifle Louis et ce dernier est recueilli par Ophelia dans son minuscule appartement. Vêtu de frusques, il cherchera à affirmer sa vérité à la fiancée, en vain. Déguisé en Père Noël, et soûl comme un cochon, Louis tentera bien de reprendre son poste en accusant Billy Ray d'être un toxico, en vain. Jusqu'à ce que Billy Ray ne comprenne la terrible manigance des frères Duke.

Des morceaux de bravoure comique, Un fauteuil pour deux en est rempli à ras bord, c'est un bonheur absolu. C'est non seulement le meilleur film de John Landis, son plus corrosif tout à la fois sur le capitalisme sournois et aveugle (et on ne trouve que Adam McKay comme héritier digne) et sur le racisme de classe. C'est aussi le chef d’œuvre d'Eddie Murphy (son second film pour John Landis Coming to America est également réussi mais dans une moindre mesure). Le superbe finale dans le train qui mène, de Philadelphie à New York, la veille de Noël toute la troupe déguisée (Billy Ray, Ophelia, Louis et Coleman) pour tendre un piège aux millionnaires, où ils rencontrent entre autres John Belushi déguisé en gorille, est un sommet de précision comique, de burlesque pur, de grand art cinématographique, tout simplement.































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