mardi 10 janvier 2017

Neruda (Pablo Larrain, 2016)

Le 6 janvier 1948, le Président de la République du Chili a décidé d'emprisonner les communistes, avec l'accord (et évidemment à leur demande) des Etats-Unis lancés dans la chasse aux sorcières. Et le communiste le plus célèbre du Chili, alors, était le poète Pablo Neruda (Luis Gnecco). Ce dernier était également sénateur et avait appelé à voter pour ce président deux ans plus tôt, l'ouverture de Neruda se fait ainsi dans les chiottes du Sénat où les discussions sur l'interdiction du Parti Communiste sont houleuses et considérée par le poète comme une trahison.

Neruda, c'est un homme au physique enveloppé que sa compagne, la peintre Delia (Mercedes Moran) maquille pour la réception donne dans leur vaste maison. Neruda va accueillir ses invités déguisé en Lawrence d'Arabie, réciter un poème et admirer les femmes, sa troisième passion après la poésie et la politique. Mondains, Neruda et son épouse le sont jusqu'au bout des doigts, mais cette vie paisible va changer avec l'arrivée des camarades qui lui affirment qu'il doit s'exiler, qu'il doit passer à la clandestinité. Ce que Neruda refuse tout net.

« Neruda traître », « Neruda communiste », voilà ce que les affiches placardées partout à Santiago affirment. Les camarades les arrachent. Neruda en est fier. « Il faut les conserver pour la postérité », déclare-t-il en souriant devant ses amis qui, eux, ne rigolent pas devant la menace. Neruda n'en fera qu'à sa tête. Il accepte tout de même de quitter sa demeure pour un minuscule appartement. Mais dès qu'il le peut, il va se promener. Dans un bordel où il a ses habitudes, en auto où il demande au chauffeur de klaxonner pour réveiller le Président.

Le film de Pablo Larrain pourrait être un de ses nombreux biopics actuels basé sur des faits réels mais le cinéaste chilien déjà auteur de l'épatant No sur le référendum qui mit fin à la dictature de Pinochet (que l'on aperçoit en gardien du camp où sont retenus les communistes) va aborder cette histoire de son pays avec un ton et une esthétique originaux. Le film procède par une série de dérèglements narratifs, histoire de ne pas tomber dans l'académisme de la reconstitution, l'image est ainsi « traitée » comme si elle avait été délavée.

Tout est construit comme une course poursuite lente et nonchalante. Neruda est poursuivi par un inspecteur nommé Oscar Pelichonneau (Gael Garcia Bernal), jeune blanc-bec à fine moustache qui jure au Président d'arrêter Neruda. Oscar est persuadé d'être le fils bâtard du fondateur de la police chilienne. Cette poursuite se fait souvent en voiture des vitres desquelles on aperçoit le paysage des villes et villages en transparences, volontairement bâclée. Un effet visuel qui offre à l'image un aspect vieillot, des couleurs sépia et une impression de flottement.

La voix off d'Oscar dirige la narration évoquant la personnalité arrogante et fantasque de Neruda face à celle d'Oscar, plein d'orgueil et de naïveté. Les deux hommes se toisent, se répondent pourtant les deux personnages ne se croisent jamais dans le film. Le poète, dans sa fuite, laisse à chaque étape un polar à l'inspecteur. Les livres remplis de « sexe, de crimes et de violence », les passions de Neruda selon Delia accompagnent Oscar. Le film se transforme de biopic politique en réflexion sur la narration. Après cette réussite enthousiasmante, j'attends avec impatience son film sur Jackie Kennedy le mois prochain.

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