mardi 11 octobre 2016

Les Parapluies de Cherbourg (Jacques Demy, 1964)

Même si elle avait tourné dans une petite dizaine de films avant, Les Parapluies de Cherbourg est vraiment le premier film de Catherine Deneuve. Mais on n'entend jamais sa vraie voix, pas plus que celles des autres interprètes, tous sont doublés. Le film est en chanté, comme le disait la publicité, et je ne sais pas comment s'est produit le miracle de la musique de Michel Legrand et des paroles de Jacques Demy, tout coule de manière aussi évidente et simple que la pluie qui tombe sur le port et sur les parapluies qui accueillent le spectateur.

Non loin du port, Guy (Nino Castelnuovo), beau jeune homme de 20 ans travaille dans un garage. Le boulot fini, ses collègues lui demandent ce qu'il va faire. Il invite Geneviève (Catherine Deneuve) au théâtre voir Carmen. Son collègue rétorque, en chantant bien évidemment, qu'il ne supporte pas d'entendre tous ces gens chanter pendant des heures. Cette exquise ironie correspond à l'insouciance que vivent les jeunes gens en ce mois de novembre 1957. Guy enjambe son vélo, file saluer sa tante Elise (Mireille Perrey) et s'empresse de rejoindre Geneviève.

La belle jeune femme blonde vit avec sa maman, madame Emery (Anne Vernon) qui tient un magasin de parapluies qui s'appelle, tout simplement, les parapluies de Cherbourg. Geneviève n'a que 17 ans et maman la couve comme une enfant depuis qu'elle est veuve. Elle voit d'un bien mauvais œil qu'elle fréquente un jeune homme. Peu importe, elle le rejoint en cachette et après Carmen, ils iront au dancing et ils s'embrasseront quand Geneviève se met à chanter en larmes que « c'est peut-être le bonheur qui me rend triste ».

J'ai toujours pensé que Les Parapluies de Cherbourg était le film le plus triste du monde. La musique subtilement mélancolique de cette chanson est sans cesse reprise entre des scènes plus légères avec du jazz, un peu de pop, les passages se font sans transition alternant les styles et les couleurs musicales. Ce qui donne non seulement du pep's tout en laissant pantois, sans voix, secoué, ébranlé devant l'inventivité des mélodies, les ruptures de rythme et de tension. Tout cela ne serait rien sans la précision dramaturgique du film.

Trois parties composent le récit, « le départ » où Guy doit partir faire l'armée (deux ans quand même) en Algérie. Les Parapluies de Cherbourg sera l'un des tous premiers films à évoquer la guerre, « l'absence » où les affaires de madame Emery vont mal, où Geneviève est enceinte et enfin « le retour » où Guy revient blessé et traumatisé à Cherbourg, où il menace de sombrer dans l'alcool. L'épilogue a lieu la veille de Noël 1963, bien des années après, ce n'est plus la pluie qui tombe mais la neige.

Chaque personnage passe par une panoplie de problèmes qu'il n'arrive pas à résoudre. Guy et Geneviève voient leur amour condamner par la mère de cette dernière. Et quand Guy est absent, elle aimerait que sa fille rencontre Roland Cassard (Marc Michel). Lui n'est pas un pauvre mécanicien comme Guy mais un riche diamantaire. L'apprêtée Madame Emery, toujours à se recoiffer, à se pomponner, à subir le qu'en-dira-t-on, pousse sa fille à se marier à Cassard, ce jeune homme aux yeux si bleus et à la fine moustache, mais au tempérament peu fougueux.

La première partie, aux couleurs chatoyantes des papiers peints des Emery ou brutes des murs chez Guy met en scène les deux amoureux constamment ensemble mais souvent séparés par la rue, les rideaux, les fenêtres, comme si le destin avait déjà choisi pour eux. Dans la deuxième partie, Guy n’apparaît jamais et dans la troisième partie, c'est Geneviève qui est absente. Les couleurs du début laissent la place au noir et blanc de la neige et de la nuit, la triste rengaine reprend et on pleure depuis plus de 50 ans au sort de Guy et Geneviève et on continuera de pleurer encore et encore.


























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