mercredi 5 octobre 2016

Belle de Jour (Luis Buñuel, 1967)

Une pastille sur la mode sur Arte, une interview dans la revue Schnock et le Prix Lumière à Lyon, Catherine Deneuve est partout en octobre. Pour ma part, comme j'aime beaucoup Catherine Deneuve et j'apprécie pas mal de ses films, je vais en regarder quelques uns. Commençons avec Belle de Jour, 50 ans d'âge tout bientôt. Avant d'être Belle de Jour, comme la nomme Madame Anaïs (Geneviève Page), Catherine Deneuve s'appelle Séverine, jeune et jolie épouse modèle, bien sage, bien polie, bien propre.

Avec son mari Pierre (Jean Sorel), épousé un an plus tôt, elle se promène en calèche. Le doux et insipide visage de l'époux s'approche avec un grand sourire et sort « Veux-tu que je te dise un secret, Séverine ? Je t'aime chaque jour davantage ». Mais quand l'échange romantique et cucul-la-praline entre eux commence à devenir plus piquant, qu'il lui reproche sa froideur et qu'elle refuse de l'embrasser, le ton du film change tout à coup. Pierre saisit Séverine avec l'aide des cochers, la fait attacher, la fait déshabiller et la fait flageller sous les insultes.

Dans un raccord dont Luis Buñuel a le secret, le visage extatique de Séverine sous le fouet se transforme en celui d'une épouse pensive « A quoi penses-tu », demande Pierre, « Je pensais à toi » répond-elle, mais la rêverie fantasmée n'est pas comme la réalité. Pierre porte un pyjama et ils s'apprêtent à dormir dans deux lits séparés. Et là encore, comme dans son fantasme masochiste, Séverine se refuse à Pierre, tout au moins physiquement, car elle lui débite tout une panoplie de banalités sur l'amour marital.

C'est l'une des choses les plus fascinantes de Belle de Jour ces dialogues entre les époux, puis entre Renée (Macha Méril) et Husson (Michel Piccoli) quand ils sont à la montagne. Tous ces beaux bourgeois discutent dans des formules amphigouriques qui les déplacent vers un univers littéraire qui semble déconnecté de la vraie vie. Jean-Claude Carrière explique souvent que les fantasmes représentent la vraie vie de Séverine et ces séquences de discussion sont irréalistes tant elles sont éloignées du quotidien.

Cette scène de chambre trouve son écho inversé avec la relation amoureuse et physique que Séverine aura dans la deuxième partie de Belle de Jour avec Marcel (Pierre Clementi), le loubard mal élevé, dépenaillé et hirsute qu'elle rencontre chez Madame Anaïs. Comme Pierre dans la calèche, Marcel sera habillé de noir à côté de Séverine, elle en tenue rouge sang. Marcel remplace Pierre et le supplante. Le beau sourire de Pierre est remplacé par les dents amovibles de Marcel qu'il replace régulièrement dans sa mâchoire.

Avant de découvrir et d'aimer Marcel, Séverine passe par un apprentissage qui va la révéler à la sexualité. Elle passe des quartiers huppés parisiens à la Cité Jean de Saumur (une rue imaginaire), au numéro 11 où Madame Anaïs tient cette maison de rendez-vous, comme elle dit pudiquement. Un bordel familial où la patronne accepte que Séverine ne travaille que de à 14h à 17h. D'où ce surnom. Derrière ses lunettes noires, Séverine hésite à sonner puis ose enfin et rencontre son futur lieu de travail.

Madame Anaïs, cheveux courts, voix chaude, cigarette au coin des lèvres fait visiter la pension. Elle offre à Séverine des cerises à l'eau de vie. Puis présente ces collègues d'après-midi, les girondes Charlotte (Françoise Fabian) et Mathilde (Maria Latour). Et la petite bonne (Muni) qui, avec sa sempiternelle voix frêle, nettoie les chambres après chaque client. Il ne faut pas oublier la fille de la bonne, Catherine (Dominique Dandrieux) qui, après l'école, montre son carnet de notes à sa gentille marraine, Madame Anaïs.

Voici les clients du bordel, dans l'ordre d'apparition. D'abord Monsieur Adolphe (Francis Blanche) qui montre bien la différence du ton et du niveau linguistique des dialogues entre les scènes domestiques et celles chez Madame Anaïs. Monsieur Adolphe parle « naturel », réaliste, et c'est lui qui comprend que Belle de Jour a besoin « de la manière forte ». Le fantasme rêvé suivant (au milieu de la Camargue) la compare à une soupe froide que Pierre n'arrive pas à réchauffer. Puis, elle est affligée de tourments, Husson et Pierre lui jettent de la boue sur sa tunique immaculée.

C'est au tour du Professeur (François Maistre), adepte de la fessée de rencontrer Belle de Jour, puis un Mongol (Iska Khan) muni d'une étrange boîte qui dégoûte Charlotte comme Mathilde mais pas Belle de Jour. C'est ensuite l'expérience du Duc (Georges Marchal), où Belle de Jour rejoue le décès de la Duchesse, sans qu'on ne sache vraiment si cela est un fantasme ou une rêverie, car Luis Buñuel trouble les cartes avec les grelots des chevaux, les cloches des vaches et les bruits de chats pour annoncer les scènes de fantasme. Et enfin, Marcel et son comparse Hyppolite (Francisco Rabal).

La beauté de Belle de Jour tient dans ces confusions, dans ces interversions, dans ces renversement entre les différents niveaux de réalité. Le sale, la boue, la fange deviennent le noble, les corps gros, abîmés, déformés sont bien plus passionnants que le physique de jeune premier de Jean Sorel, les secrets inavoués (Husson découvre Séverine au bordel) sont plus intéressants que les confidences de guimauve. Mais surtout, parce que la vie de Séverine est tristement banale, celle de Belle de Jour est redoutablement romanesque.





































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