samedi 16 janvier 2021

Le Mépris (Jean-Luc Godard, 1963) 1/3

Le producteur Jeremy Prokosch (Jack Palance) a une manie, il triture sa cravate, comme un coq qui parade, moins subtilement, il montre ainsi sa force virile face au cinéaste Fritz Lang (Fritz Lang) et au nouveau scénariste fraîchement engagé Paul Javal (Michel Piccoli). Le Mépris c'est d'abord l'histoire du cinéma d'auteur, qui est l'auteur du film en train de se tourner en Italie, le producteur, le cinéaste ou le scénariste ? L'enjeu est de taille et la cravate phallus de Prokosch est là pour montrer que c'est lui aui a l'autorité tout autant que le pognon, il est le seul à avoir droit de vie et de mort sur le film de Fritz Lang.

Dans la salle de projection, Fritz, Paul et Prokosch, accompagnés de la traductrice (Georgia Moll) regardent les rushes. Des statues grecques que Jean-Luc Godard a pris soin de colorer. Prokosch s'en fout bien pas mal, il trouve que tout cela est nul, il jettera des bobines par terre. Il trouve ça nul sauf les naïades qui se baignent dans l'eau bleue. Il est tout excité, il tient un peu d'érotisme dans son film en costumes, dans ce qu'il imaginait être un péplum. La fille qui se baigne est nue, il en veut plus, il va l'imposer à Fritz Lang et Paul Javal. Georgia traduit tout cela aux deux autres qui écoutent avec patience.

Prokosch pense avec son sexe, et sa cravate. Puisque le film se sert de ces accessoires pour parler de l'acte de création, observons ceux des deux autres hommes. Logiquement Fritz Lang est l’œil du film, ce sera donc son monocle qui est mis en avant. Paul Javal ce sera son chapeau, il est juste au dessus de son cerveau qu'il va devoir triturer pour écrire ce scénario de Odysseus (le titre est visible sur les claps, tout comme le nom du chef opérateur du film dans le film « R. Kutard »). Fritz Lang n'a pas tourné de film depuis son dernier Mabuse, Paul Javal n'a jamais écrit de scénario pour le cinéma.

La grande histoire du Mépris c'est celle de l'oral contre l'écrit, un combat qui occupe tout le récit. C'est un débat qui ne concerne que Fritz Lang et Paul Javal. Prokosch, la seule chose qu'il sait lire, qu'il sait écrire, c'est les contrats de producteur qu'il s'amuse à signer sur le dos d'une jeune femme de la salle des rushes. L'oral, c'est la mythologie grecque transmise oralement et visuellement avec ces statues qui surplombent la mer, ces Dieux que la caméra de Raoul Coutard enrobe dans un lent panoramique sous la musique omniprésente et géniale de Georges Delerue.

D'autres que moi auraient pu mieux parler de cette musique de Georges Delerue, une véritable complainte qui est devenu depuis 1963 la marque de fabrique de Jean-Luc Godard. Il réussit le tour de force de n'utiliser que les rares mêmes notes pour l'ensemble du film. Jusqu'alors, Godard utilisait aussi de la variété et variait les mélodies pour appuyer les morceaux du film, les grands pans de l'histoire. Or pour son film le plus écrit, le plus scénarisé, le moins improvisé, cette même mélodie revient comme un lamento, avec son ouverture intensément dramatique.

Moment strictement oral, le générique d'ouverture du Mépris. La voix de Jean-Luc Godard, juste après le numéro de visa, le nom de la société de distribution Cocinor et le titre du film, en lettres rouges. Tous les noms sont donnés oralement dans un plan séquence qui suit le parcours d'une caméra. La caméra filmée effectue un travelling suivi d'un panoramique qui s'achève avec un regard caméra, littéralement. C'est un générique presque à la Sacha Guitry, il annonce un théâtre amoureux.

Le générique se termine, toujours avec la voix de Jean-Luc Godard, par une citation. Il aime les citations, on aime quand il fait des citations. La citation attribuée à André Bazin soit apocryphe, tout comme celle de Louis Lumière dans la salle de projection « il cinema è un'invanzione senza avvenire », en lettres capitales sous l'écran. On cite encore avec des affiches italiennes placardées sur les murs des studios, Hatari, Psychose entre autres, on parle des films de Fritz Lang comme de ceux de Vincente Minnelli, on projette dans une salle Voyage en Italie, toutes les idoles de Godard.

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