samedi 16 janvier 2021

Le Mépris (Jean-Luc Godard, 1963) 3/3

Jean-Luc Godard à cette période de sa carrière n'en est qu'à son deuxième film en couleurs, après Une femme est une femme. Noir et blanc = format 1:37, couleurs = cinémascope. Après Jean Seberg et Anna Karina, c'est la première fois qu'il emploie une actrice blonde. Facétieux comme toujours, il s'amuse à lui faire porter une perruque noire dans certaines scènes (surtout lors de la dispute) et la fait parler jusqu'à plus soif avec cette voix un peu hoquetant, dans aucun film, Brigitte Bardot n'a autant parlé.

Mais ce qu'elle dit n'est pas là pour dire ce qu'elle pense, là est tout dans Le Mépris. Elle refuse obstinément de dire pourquoi elle méprise Paul, elle invente des prétextes pour ne plus dormir avec lui et elle dit des mots vulgaires, « ça te va très mal de dire des mots vulgaires » dit Paul. « Ah ça me va mal ? Ecoute : trou du cul, putain, merde, nom de dieu, piège à con, saloperie, bordel. » Tout cela est ineffable et d'une certaine manière, Camille est du même mode d'expression que Fritz Lang, il lui a fallu sa rencontre avec lui et Prokosch pour comprendre qu'elle ne comprend pas Paul.

Je ne connais pas d'autre film où un cinéaste joue son propre rôle de cinéaste (dans A bout de souffle Jean-Pierre Melville jouait un écrivain). Jean-Luc Godard aurait pu choisir Jean Renoir ou Roberto Rossellini. Parce qu'il avait déjà touché de la mythologie (allemande) Fritz Lang était le plus à même d'être ce cinéaste qui va vers la mythologie grecque. Le film se démarque aussi par sa polyphonie, elle est dévolue à Fritz Lang, avec Georgia Moll qui traduit tout ce qui se dit d'une langue à langue, comme un écho perpétuel.

Fitz Lang en tout début de film commente les statues des Dieux dans sa langue natale, en allemand, comme s'il disait un poème d'Hölderlin, même Prokosch semble réciter des vers du poète romantique allemand dans sa première phrase « yesterday there was kings there » (Hölderlin écrivait « autrefois Dieu gouvernait les rois, les sages » dans Carrière de grève. J'imagine un croisement avec le cinéma des Straub qui en voyant Le Mépris ont pu se dire que eux aussi filmeraient Hölderlin dans la nature contemporaine comme Godard.

« Silenzio, Ulisse, no ! Via, vai fuori dal campo, el clap, settecentocinque prima » entend-on sur la barque avec l'équipe qui s'agite dans tous les sens. Somme toute, les scènes de travail, le film dans le film, sa fabrication, sa production, sa réalisation sont poeu nombreuses. Logique, le film en est à ces débuts, le tournage n'a pas encore débuté et ce ne sont que les essais que l'on voit dans la salle de projection. Sur le clap il est indiqué 701-3 puis 705 dans la scène avec Ulysse, mais les scènes se ressemblent toutes.

Jean-Luc Godard joue aussi dans son film, un minuscule rôle d'assistant réalisateur dans ces scènes de tournage. On entend sa voix, on le voit traverser le cadre, grimpant agilité sur le bateau où Ulysse doit être filmé, passant devant tout le monde. En fin de film, il prépare le plan d'Ulysse qui lève les bras et son épée. Les dialogues sont son œuvre, ce que dit Paul Javal sont ses paroles, il fait dire à Michel Piccoli « C'est merveilleux le cinéma, on voit des femmes avec des robes, elles font du cinéma, crac, on voit leurs culs. ».

J'aurais pu commencer mon blog avec Le Mépris tant j'aime le film que je n'ai vu qu'une fois le 16 janvier 1992 au cinéma dans des conditions optimales et exceptionnelles dans le plus grand cinéma de Grenoble à l'époque, assis au premier rang pour des raison indépendantes de ma volonté (je suis arrivé en retard), mais j'ai été happé par l'image, le film m'a enseveli et, je crois, poussé à aimer le cinéma d'auteur (même si ça n'existe pas). 29 ans pour revoir un film, c'est une bonne périodicité. Après le ciel bleu qui rejoint la mer, un dernier mot apparaît en lettres bleues : FIN.































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