lundi 20 mai 2019

Ni le ciel ni la terre (Clément Cogitore, 2015)

A sa sortie, j'avais fait l'impasse sur Ni le ciel ni la terre sans doute parce que Clément Cogitore avait été proclamé par beaucoup (de critiques, de mes amis cinéphiles) de petite génie du cinéma français, la preuve, ce premier film a reçu le César. Quelques courts-métrages plus tard (les "russes" Biélutine et Braguino de bonne tenue, Les Indes galantes bref court-métrage sur du hip-hop en fond de musique classique, une œuvre présentée au Centre Pompidou pour le Prix Marcel Duchamp), il faut bien reconnaître que le jeune cinéaste a un truc en plus.

Ce truc dans Ni le ciel ni la terre est la conjonction entre un genre de film peu prisé en France (le film de guerre), des influences assumées, évidentes, visibles (Stanley Kubrick, Werner Herzog, John Carpenter, John McTiernan) et le réalisme, la grande passion récente du cinéma français, avec ses habituels écueils, caméra portée à l'épaule, jeu introverti des acteurs (Jérémie Rénier en tête et dans le genre, Swann Arlaud comme Finnegan Oldfield sont parfaits en figurants de luxe – ils n'étaient pas encore très connus). Le film tire son sujet de la guerre en Afghanistan, quelques soldats français surveillent une colline et un village.

Clément Cogitore a le génie pour faire exister un paysage, pour dessiner rapidement la topographie des lieus, pour montrer les rapports entre les différentes populations. Ce qui frappe dans Ni le ciel ni la terre est l'aridité des lieux. Quand un jeune paysan afghan promène sa chèvre ou son mouton au milieu de toutes ces pierres, on se demande bien ce que la bête peut manger. On ne voit que des cailloux, que de la rocaille, pas un brin d'herbe, pas un seul arbre. Tout juste verra-t-on un sympathique reptile se dandiner avec lenteur sous le regard fasciné de Swann Arlaud. Rien ne vit plus sur cette terre et sous la terre.

Des soldats disparaissent pendant la nuit. Ils étaient positionnés hors du fort et le lendemain, plus personne. Evidemment, le capitaine que campe Jérémie Rénier, accuse via la voix de son traducteur Sâm Mirhosseini, les villageois d'avoir enlever ses deux soldats contre une rançon. L'un des éléments du film est cet échange de langage, de langues entre les personnages, ces traductions qui ralentissement l'action tout en augmentant le suspense, car chez les Afghans le ton est rude et la traduction française est douce, l'espèce de bon gros géant qu'est Sâm Mirhosseini est le pilier de cette dualité intégrante au film.

Le film glisse vers un fantastique non pas domestique mais militaire. Les taliban que combattent les soldats ont eux aussi des hommes disparus. Chacun accuse le camp adverse. Là aussi, Clément Cogitore a une manière proche d'un western de faire apparaître ces combattants afghans, ils surgissent de terre tels des Indiens attaquant dans La Charge héroïque de John Ford, mais à la différence majeure suivante : aucune femme n'est présente dans Ni le ciel ni la terre, c'est un film d'hommes, plus précisément de corps d'hommes qui prennent parfois la même couleur de la terre, que les roches.

Un peu de Carpenter en se demandant s'il existe une chose qui vient prendre les corps. Un peu de McTiernan avec ces images nocturnes filmées, comme dans Basic, grâce à des caméras infra-rouges, la nuit devient verte. Un peu de Kubrick, ici 2001 l'odyssée de l'espace, sans doute la référence la plus assumée. Le paysage tel la lune, le trou allumé par de puissantes lampes et ce piquet qui n'est pas sans rappeler le monolithe. Et ce mystère irrésolu qui plonge les personnages dans la stupéfaction la plus totale. Bien-sûr, il se peut que j'exagère mais ce sont autant des hommages que des références.

Reste le jeu de Jérémie Rénier, un jeu total à la Werner Herzog au milieu de cette montagne morte, soit totalement incrédule (la matière païenne, l'homme est d'abord un soldat), soit totalement croyant (quand le fantastique prend le dessus, cependant rien de nouveau est dit sur la religion). C'est cet effet de balance qui plonge parfois le film dans un typage de personnages au jeu un peu trop puissant par rapport à son apparence physique, cela vaut aussi pour la danse de ce soldat aux yeux tatoués sur le dos, moment d'apesanteur qui ne sert à rien si ce n'est à faire beau. C'est déjà pas mal.
























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