dimanche 12 mai 2019

La Fille dans la vitrine (Luciano Emmer, 1961)

Quatre Italiens descendent d'un train, il fait déjà nuit, ils viennent pour travailler en Hollande, ils ne parlent pas d'autre langue que la leur. Parmi ces quatre jeunes hommes, l'un d'eux se distingue, pris dans son enthousiasme, il oublie sa valise dans la wagon. Comme un acte manqué. Il grimpe vite et attrape son bagage. Cette valise sera un leitmotiv, un objet qui le tire vers son passé, qui le rattache à l'Italie, cet homme Vincenzo (Bernard Fresson) est l'un de ces nombreux ouvriers immigrés.

Passée l'arrivée, une fois installés dans leur baraquement, Luciano Emmer décrit par le menue la première journée de travail. Le ton d'abord jovial passe vite à une angoisse discrète avec cette plongée dans la mine. Car Vincenzo et ses camarades sont des mineurs et malgré leur totale inexpérience, ils prennent cet ascenseur rudimentaire pour rejoindre le centre de la terre à des centaines de mètres plus bas. Bientôt la surface se résume à un minuscule trou de lumière.

Le réalisme de la première bobine, environ 18 minutes, n'est qu'un moyen de créer du suspense. Il établit la promiscuité entre les personnages. Vincenzo est supervisé par un ancien mineur, un Italien comme lui mais du sud quand Vincenzo vient de la région du Pô. Federico (Lino Ventura) lui enseigne tout ce qu'il sait. Plus les deux hommes avancent, plus l'espace de vie et de travail s'amoindrit. Les corps prennent la position horizontal épousant le format du cadre.

Les conditions sont rudes d'autant plus que les tunnels dans lesquels s'enfoncent les mineurs manquent de s'effondrer. C'est sur ce suspense que fonctionne cette première partie, la plus forte du film. C'est justement l'effondrement d'une charpente d'un tunnel qui va sceller l'amitié indéfectible bien que paradoxale entre Vincenzo et Federico. Ils seront prisonniers des gravats pendant plusieurs heures, dans l'attente qu'on vienne les sauver, dans l'attente de revoir ce minuscule trou de lumière.

La Fille dans la vitrine se poursuit avec une grande ellipse. Contrairement à ce que d'autres cinéastes auraient pu faire, le récit ne se poursuit pas avec le secours des mineurs coincés en bas. Au contraire, rien n'est montré. Luciano Emmer table sur le traumatisme subi par Vincenzo et que Federico va tenter de lui faire oublier en allant passer le samedi et le dimanche à Amsterdam. Il a un projet bien précis pour son ami : aller louer une fille pour le week-end.

Dans ce film italien, toute la distribution principale est française. Les deux filles, celles qui sont dans les vitrines, les deux prostituées sont Carrie (Magali Noël) et Else (Marina Vlady). Carrie est l'habituée de Federico, une trentenaire joviale qui a les pieds sur terre. Elle est déterminée à passer quelques bons moments au bord de la mer. Carrie a appris quelques phrases en italien pour mieux se faire comprendre de son client préféré.

Mais quand elle comprend que le nouveau camarade de Federico a craqué pour Else, qui elle ne parle pas un mot d'italien, elle comprend vite que ces deux jours ne vont pas être de tout repos. Else, plus jeune qu'elle, a un tempérament de cochon, elle n'en fait qu'à sa tête et refuse la proposition de Federico. Avant plus tard de l'accepter. Mais entre temps, Federico a bu de nombreux verres et commence à devenir particulièrement pénible et irritable.

Ce que le film développe c'est la différence d'esprit entre les deux cultures, les Italiens ne semblent pas aussi progressistes et ouverts que les néerlandais. Cela est particulièrement visible dans une courte scène où Federico, complètement soûl, se rend dans un dancing gay. Tous les hommes le regardent comme une bête curieuse. Le regard du cinéaste fait preuve d'une remarquable ouverture d'esprit pour 1961, il montre des mentalités très opposées, libérale en Hollande, conservatrice en Italie.

La valise de Vincenzo redevient l'accessoire essentiel de la fiction. Il veut rentrer en Italie dès le samedi soir. Cette valise, le personnage, de plus en plus triste, au visage qui se ferme tandis qu'il constate l'échec de sa vie, va la chercher à chaque instant, ne pensant plus qu'à cela et même quand Else veut enfin s'ouvrir à lui, il passera à côté de quelques bons moments. Il est totalement pris dans un engrenage qu'il ne contrôle plus.


Pendant ce weekend, Luciano Emmer rappelle Une partie de campagne, ces guinguettes, sa barque à deux, ses amours complexes. Lino Ventura est méconnaissable en doux dur qui chaperonne son jeune ami. Il se dégage un parfum d'insouciance dans les dernières scènes mais qui se percute à la réalité de la vie de ces immigrés qui est aussi triste que celle des prostituées. C'est uniquement unis qu'ils survivent.





















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