lundi 13 juillet 2020

Tatie Danielle (Etienne Chatiliez, 1990)

Entre deux pages tournées nonchalamment d'un roman de Barbara Cartland, sa lecture préférée, Tatie Danielle (Tsilla Chaleton) jette un œil autour d'elle et balance en messe-basse une belle horreur : morue, elle pue, qu'est-ce qu'elle est laide, voleuse, mais surtout, elle s'adresse à son défunt mari, « mon Edouard » dont la photo est accrochée au mur, un type au fort strabisme qui lui donne l'impression d'avoir un œil qui dit merde à l'autre.

Tatie Danielle aime se plaindre à son Edouard, ça doit bien faire 40 ans qu'elle lui parle avec ce petit air plaintif de la vieille dame outrée de tout ce qu'on lui fait subir à elle une pauvre veuve. En tout premier lieu, Danielle est mécontente d'Odile (Neige Dolsky), cette femme qu'elle a recueillie, une vraie paresseuse qui ne veut pas faire le lustre, qui veut pas promener le chien Garde-à-vous, un molosse qui doit faire son poids mais qui veut une procuration.

Bien sûr dans ces quelques scènes de présentation du monstre, tout ce joue sur les répliques contradictoires et sur ce sourire que prend Tatie Danielle quand elle commet un mauvais acte, comme lorsqu'elle feint de n'avoir pas vu qu'elle piétine les pensées qu'Odile vient de planter, ou quand le facteur arrive et qu'elle lâche le chien pour aboyer. C'est ce plaisir qu'on va prendre pendant tout le film de voir des gens si obséquieux être martyrisés.

Ainsi quand les neveux, comme dit Odile, petits-neveux comme précise Danielle viennent rendre visite à leur tatie, elle leur souffle tout le contraire que ce que nous venons de voir à l'image, la procuration, les paupiettes, la paresse. Les neveux gobent tout. Ils viennent fleurir la tombe des parents, Danielle prétend que ça lui fait tellement plaisir de les voir, elle jurait l'inverse la veille à sa gouvernante Odile qui, elle, se réjouissait de la visite annuelle.

Le grand dadais au ventre rebondi, aux lunettes qui témoignent sa gentillesse s'appelle Jean-Pierre (Eric Prat), je ne sais si Etienne Chatiliez et Florence Quentin ont choisi ce prénom par rapport au Jean-Pierre de Ma sorcière bien aimée, mais il fleure bon le benêt. Sa femme s'appelle Catherine (Catherine Jacob, absolument géniale) et ils ont deux enfants, Jean-Marie (Mathieu Foulon) que la Tatie feint de prendre pour une fille et le plus petit Jean-Christophe (Gary Ledoux).

La grande habileté de Danielle est de repérer immédiatement ce qui peut nuire au personnage, elle sait bien que le jeune Jean-Marie n'est pas une fille mais Tatie décèle chez l'adolescent qu'il est « une tante », comme elle aurait pu dire. Elle appuie chaque fois sur cette petite chose. D'une certaine manière, Tatie Danielle n'est pas un simple personnage, elle met en scène les supplices des ses futures victimes pour le plus grand délice du spectateur. Comme elle va désormais habiter avec ses neveux, on se réjouit d'avance.

Car il faut bien le dire, pour pasticher l'expression d'Alfred Hitchcock plus un personnage gentil est torturé par un méchant plus un film est réussi. Le gentillesse de Jean-Pierre et Catherine est écœurante aux couleurs pastel du salon de beauté de cette dernière avec cette Agathe (Karin Viard) dégoulinante de sourire. Et le gamin joufflu, ce Totoffe avec son cocker qui pue, qui fait un dessin à « sa Tatie », qui veut jouer avec elle, se promener avec elle. Tatie Danielle fera semblant de la perdre avec la méthode Petit Poucet (elle sème des bonbons).

« Je crois qu'elle est méchante » confesse Jeanne (Laurence Février) à sa belle-sœur. Jeanne doit garder Tatie pendant les vacances en Grèce de Catherine et Jean-Pierre. Tatie Danielle a le génie pour humilier devant les autres. La plus grande humiliation est lors d'un repas avec le patron de Jean-Pierre. Danielle arrive en chemise de nuit, demande « un petit quelque chose à manger » comme si on l'affamait, se met devant la télé et zappe puis repart en montrant qu'elle a pissé sous elle dans l'embarras général.

Ce ne sera pas Jeanne qui va garder Danielle mais Sandrine (Isabelle Nanty, découverte dans ce film avec son visage fermé, son expression butée). « Je vais la mater » dit Tatie. Mais les manigances (faire comme si elle pisse au lit) ne marchent pas. Elle a trouvé en Sandrine son alter-ego. Miraculeusement, le film ne s'écroule pas, au contraire, il prend un autre tournant plus cynique, plus sarcastique. Mais la méchanceté reprend vite le dessus quand Sandrine comprend qu'elle n'arrivera pas à se faire respecter.

Si ces deux femmes se ressemblent, c'est moins parce qu'elles sont acaraiâtres toutes les deux (c'est l'idée de la chanson de Catherine Ringer « La Complainte d'une vieille salope »), mais parce qu'elles mettent en scène. Sandrine est photographe à ses heures perdues et Danielle s'invente cette image de grand-mère modèle quand elle est abandonnée dans l'appartement. Les médias vont adorer ce faits divers d'une vieille dame laissée seule en plein été. « La salope » dira Sandrine.


Depuis 30 ans, Tatie Danielle est un film à part dans le cinéma français, le meilleur d'Etienne Chatiliez. Le choix de Tsila Chelton et Isabelle Nanty, toutes deux directrices de cours de théâtre, la première a été professeur de l'équipe du Splendid, la seconde au cours Florent, permet une compréhension du comique pince-sans-rire. Impossible de ne pas penser à l'autre Tatie Danielle, Danielle Mitterrand dont on apprit, bien plus tard, que derrière son grand sourire se cachait une femme à l'extrême rigidité de caractère.



































Aucun commentaire: