jeudi 9 juillet 2020

Duel dans le Pacifique (John Boorman, 1968)

Depuis combien de temps j'avais envie de voir Duel dans le Pacifique. En France, dans notre beau pays du cinéma, avoir le DVD zone 2 du film ne sert à rien. Il est odieusement proposé en version doublée au fallacieux prétexte qu'il y a très peu de dialogues. Comme si les éructations de Toshiro Mifune en japonais n'avaient pas leur importance. Plus pénible, le film est en 4/3 alors que le format d'origine est en cinémascope. Ainsi lors de la première rencontre dans le même plan entre Lee Marvin et Toshiro Mifune, seule la moitié droite du cadre est visible.

Parce qu'il a une importance incroyable ce cinémascope dans Duel dans le Pacifique. Il structure les rapports entre les deux hommes. C'est le Japonais qui tient le îlot, visible dès le deuxième plan, un petit bout de verdure au milieu de l'océan. Le soldat Japonais (le seul dont on connaît le nom, Tsuruhiko Kuroda) observe avec sa jumelle l'horizon, il ne voit rien venir. Son uniforme est encore tout entier, tout propre. Il est là échoué depuis un certain temps, on en a pour preuve cette fontaine construite avec son canot pour recueillir l'eau de la pluie ou de la rosée matinale.

Lee Marvin, le soldat américaine à la barbe blanche, est au milieu de la savane, caché par les branches et les feuilles. Dans ce cinémascope qui embrasse les mouvements des personnages, la position des personnages varie suivant qui chasse qui. En ce début de film, quand Toshiro comprend qu'il n'est plus seul naufragé, il surplombe la situation, il passe derrière le soldat américain sans le voir, plus tard quand le Japonais vole le canot de survie, c'est Lee Marvin grimpé sur une branche dans la mangrove qui observe son ennemi.

Ils se jaugent sur la plage dans un hallucinante alternance de gros plan sur leur visage et de plan d'ensemble. A gauche, Lee Marvin avec une branche feuillue, à droite Toshiro Mifune avec un sabre sculpté dans une branche (une autre preuve qu'il est là depuis longtemps). Chacun imagine attaquer l'autre et le tuer. Le tout avec une musique discordante de Lalo Schifrin en cordes stridentes, une musique omniprésente dans le film, parfois surabondante, j'aurais parfois préféré que John Boorman fasse plus confiance aux visages de ses acteurs et à leurs gestes.

Finalement personne n'attaque personne mais la seconde guerre mondiale s'invite sur ce petit bout de terre isolé. Le pilote américain veut boire de l'eau pure, non salée. La seule source est cette fontaine dans le coin japonais. Toutes les ruses sont bonnes pendant que le marin surveille son camp. Lee Marvin grimpe au dessus de l'autre, accroche une liane à sa gourde et s'en sert comme d'un seau dans un puits. Mais, patatras, il tombe de son promontoire et écrase la fontaine. Plus personne n'a d'eau à boire, jusqu'à la prochaine pluie torrentielle.

Un peu plus tôt, le marin japonais avait chercher à asphyxier le pilote américain en brûlant des branches fraîches qui dégagent une épaisse fumée. Toutes les méthodes sont bonnes pour nuire à l'ennemi. Ce premier acte, qui verse parfois dans le film d'action, se prolonge par la crucifixion du prisonnier. La Japonais attache d'abord l'Américain qui parvient à se défaire de ses liens, puis les rôles sont inversés. Chaque fois, l'un humilie l'autre, l'obligeant à pratiquer des tâches ingrates, Mifune est traité comme un chien qui doit rapporter à Marvin un bout de bois.

Le deuxième acte est plus pacifique. Lee Marvin détache définitivement son prisonnier qui ne comprend pas bien. C'est l'entente cordiale, la guerre froide avec quelques piques. Le Japonais trace un carré de sable que vient perturber l'Américain. Le Japonais trouve une huître de belle taille et entend bien la manger seul, mais l'Américain en veut une part et ils se chamaillent. Dans ce temps long que constitue le deuxième acte, les barbes poussent au fur et à mesure que les uniformes se déchirent, s'amenuisent et le moral baisse.

Malgré la barrière de la langue, d'où l'importance de la version originale, les deux hommes veulent enfin s'en aller. Ils s'entendent pour construire un radeau (là la musique de Lalo Schifrin est absente). Puis c'est le troisième acte qui s'entame, le départ de l'îlot pour aller retrouver les hommes et une île plus grande. La traversée de l'océan n'est pas une partie de plaisir. Cette fois c'est le soleil qui est filmé en gros plan avec ses effets sur les deux anciens ennemis enfin unis dans l'adversité. Les peaux se dessèchent, les coups de soleil sont brûlants, chacun mène la barque à tour de rôle.

Cette minuscule utopie de deux ennemis réconciliés débarque sur une île. Ils ne savent pas si elle est habitée. Elle l'a été, par des soldats japonais comme en témoigne les enseignes. Tout a été bombardé. Les bunkers sont ravagés. En guise d'adieu, Toshiro Mifune trouve un matériel chirurgical qui va servir à se raser, les horreurs de la guerre sont détournées à des fins plus prosaïques. Ils se changent, se rasent et trinquent au saké une dernière fois. Ils ont abandonnés leur uniforme, leur vie de soldat, d'ennemis.


Il ne reste plus que quelques vestiges, une photo d'une fiancée d'un soldat japonais, un magazine Life avec un reportage sur la guerre où des photos montrent des soldats Japonais morts . C'est dans ce moment silencieux que l'immoralité de la guerre se reflète sur les visages des deux hommes, sans savoir si la guerre est finie et qui aurait pu la gagner. Furieux de voir ses compatriotes massacrés, le Japonais jette le magazine. Ils ne sont déjà plus amis. Ils vont se séparer définitivement dans ces ruines, ils partent chacun d'un côté


































1 commentaire:

Anonyme a dit…

Chouette film, je connaissais pas. Merci !