dimanche 15 octobre 2017

Numéro une (Tonie Marshall, 2017)

Rien ne semblait présager la réussite de ce film de Tonie Marshall. Certes, l’entreprise, elle en a un peu tâté, c'était Vénus beauté (vous vous rappelez la soirée des César où tout le monde remerciait Claude Berri, elle compris mais avec sarcasme, le pape du cinéma français était boudé en cette année 2000 qui célébrait ce film modeste) Après Vénus beauté, la cinéaste n’a plus rien fait de bon, s'enfonçant même dans le tristement anecdotique et l’insipide. Pourtant tout avait bien commencé, une efficace comédie d’espionnage avec Antoine de Caunes, Pentimento, elle avait su dompter Anémone dans Pas très catholique puis Enfants de salaud. Comment ne pourrait on pas avoir une immense sympathie pour cette ancienne de Merci Bernard, des Sous-doués et dont la maman est Micheline Presles, qui n'apparaît pas dans Numéro une.

Avec le personnage d’Emmanuelle (Emmanuelle Devos, garde son prénom), on s'éloigne très vite de celui de Céline Salette dans Corporate, l’autre femme cadre supérieure en tailleur noir du cinéma français de cette année. Et pour une fois, la famille n'est pas un chantage narratif, elle a peu de place dans les rebondissements du récit. Les rapports d’Emmanuelle avec Garry son époux anglais (on remarque plus loin dans le film qu’elle a conservé son nom de jeune fille, selon l’expression consacrée, son père hospitalisé est d'ailleurs joué par Sami Frey, chœur antique qui la juge et la conseille) sont simplifiés au maximum sans atteindre l’oubli total des conjoints comme dans Spotlight, certes ils auront quelques moments pénibles au cours du parcours de notre héroïne mais sans que les habituels écueils ne viennent envahir la dure loi du marché.

Emmanuelle doit conclure un contrat avec des clients Chinois. Ce sont les scènes les plus drôles, il faut voir comment elle se moque de son pédégé quand il trinque « là vous dites santé en japonais », comment elle se trouve coincée sur une plate-forme, chante en mandarin, rit et plaisante avec eux, et il faut voir au fil des séquences les tronches déconfites des hommes. Ce sera la même tête qu'elle fera quand on lui annonce le nom de l'homme pressenti au poste qu'elle destine à son collaborateur, quand on lui conseille d'arrêter d'être aussi joviale avec les Chinois, comprendre : se comporter comme une pin-up. Ces rapports hommes femmes dans les hautes sphères de l'entreprise sont désignés avec calme, précision et dignité ce qui en augmente leur portée (et j'imagine que au sein de l'industrie du cinéma français, ça ne doit pas être très différent pour la cinéaste).


L'autre versant du scénario est la lutte pour devenir la première cheffe d'entreprise du CAC 40. Emmanuelle est soutenue par un comité de consœurs féministes. Il est porté par le trio Francine Bergé, Suzanne Clément (décidément très présente ce mois-ci), Anne Azoulay. Elles vont batailler en coulisses (car le film le dit parfaitement bien, le pouvoir se fait hors champ, les négociations en secret, les accords en catimini) contre Richard Berry (en vieux beau, éminence grise du pouvoir, est le meilleur second rôle du film), Benjamin Biolay et Bernard Verley. Cette ascension vers le pouvoir n'est pas sans rappeler celle de Chez nous de Lucas Belvaux, sauf que ce dernier enfonçait au marteau-piqueur sa dénonciation, Tonie Marshall décortique le système avec un sourire narquois. Evidemment, Emmanuelle Devos est formidable (tautologie) et ressemble souvent, quand elle fume ses cigarettes fines, à Catherine Deneuve, la reine du CAC 40 des actrices.

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