vendredi 25 décembre 2020

Querelle (Rainer Werner Fassbinder, 1982)

Il est beau le pompon rouge du calot de Querelle (Brad David), torse nu, dans son pantalon rayé, il cire les bottes de cuir et autour de lui, les marins s'affairent pour accoster à Brest. Le navire s'appelle le Vengeur. J'imagine aisément que Rainer Werner Fassbinder a choisi Brad Davis pour son Querelle après avoir vu Midnight express et plus précisément pour cette scène qu'il partageait avec John Hurt où leurs corps se frôlaient dans la vapeur pour une chorégraphie sensuelle.

Fassbinder pousse le cran un peu plus dans Querelle, tout transpire le cul, dans toutes les scènes, dans toutes les situations entre tous les duos de personnages qui traversent ces décors incroyables façonnés pour faire de Brest, l'une des villes les plus sinistres au monde, l'endroit où la sensualité et la sexualité s'expriment dans une inquiétude constante. Dans la première scène, la voix off du narrateur parle de crime et de meurtre.

Le narrateur est le capitaine du Vengeur (Franco Nero), c'est donc Jean Genet. Fassbinder lui fait lire des extraits de Querelle de Brest et il incruste également des cartons en noir sur blanc du court roman. Le capitaine est très beau aussi dans son uniforme étincelant, c'est sans doute ses bottes que Querelle nettoyait avec application. Le capitaine observe ce marin dont il est éperdument amoureux. Il est désormais temps d'aller sur la terre ferme.

Un bar cabaret est la destination principale. Le Féria est est entouré de deux colonnes en forme de phallus, un gigantesque sexe en érection, l'état des sexes quand ils vont voir débarquer Querelle dans le café. Dès que le marin pénètre dans le Féria, tous les regards se portent sur lui, avec à peu près la même insistance de désir que celui du capitaine. Dans son beau costume de marin, Querelle observe à son tour la faune du lieu.

Le Féria est tenu par Nono (Günther Kaufmann), un solide gaillard en costume trois pièces le jour et débardeur la nuit quand il couche avec les clients. Son jeu favori, le lancer de dés. Celui qui emporte la mise couche avec Lysiane (Jeanne Moreau) sa femme et chanteuse de cabaret, celui qui perd couche avec Nono. À ce moment du film, le chef de la police (Burkhart Dries) casquette de motard vissée sur la tête et gilet de cuir comme dans un dessin de Tom of Finland.

Lysiane danse avec Robert (Hanno Pöschl) devant un orchestre qui n'a rien de breton, une troupe de mariachis en fanfreluche. Trois fois dans le film, Lysiane entonne une chanson. J'ai regardé la version allemande du film, Jeanne Moreau comme les autres acteurs internationaux sont doublés en allemand, à l'exception de ces chansons où l'actrice a sa propre voix pour ces morceaux franchement étranges où elle ne fredonne que le refrain ad libidum.

Avec ce décor plus faux que nature mais d'une expressivité extrême et d'une grande beauté, j'ai pensé à One from the heart de Francis Ford Coppola, surtout lors des chansons, sorti le même mois que Querelle. Les films ne sont pas différents dans leur scénario basique (une fausse série B chez Fassbinder), une romance simpliste. Mais Fassbinder s'en sort mieux avec son univers du faux, dans sa théâtralité assumée et paradoxalement il aboutit à un certain réalisme.

Tous les fantasmes sont alors disponibles pour Querelle. Coucher avec Lysiane ou Nono, il fait exprès de perdre au dés et se fait prendre par Nono, il séduit Lysiane au grand dam de Robert qui se trouve être le grand frère de Querelle, dans les rues sombres, il rencontre Gil (Hanno Pöschl dans un second rôle) un petit voleur et le grime pour qu'il ressemble à son frère, l'embrasse devant le petite minet Roger (Laurent Malet).

L'attrait sexuel de Querelle se démultiplie quand il troque sa marinière pour un débardeur blanc échancré qui laisse apparaître sa pilosité abdominale, le fantasme gay ultime qui sera piqué par Freddie Mercury pour ses concerts après le film. Ça suite de partout, la sueur fait office de summum de la sensualité. Rainer Werner Fassbinder prend un plaisir non feint à filmer les peaux au plus près et les visages en gros plan.

La couleur principale du film est l'orange, la tombée du jour, le soleil qui fait briller le corps de Querelle quel que soit l'endroit où il se trouve. Certains plans ont un fort potentiel érotique (on pense aux photos de Pierre & Gilles), certaines poses des corps font suspendre le temps, ce temps qu'il manque au capitaine pour capturer l'objet de son désir tandis qu'il voit que tous les autres en profitent. C'est cette quête inassouvie qui fait la beauté de Querelle.



































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