mardi 15 décembre 2020

Au pan coupé (Guy Gilles, 1968)

Dans aucun film qu'elle a tourné, pas même dans Une femme mariée de Jean-Luc Godard, Macha Méril n'a occupé autant le cadre et l'écran que dans Au pan coupé. En noir et blanc dans de superbes plans éthérés, quasi fantomatique tels des images venues d'un autre temps, débarqués d'un vieil album photos. C'est le temps présent. En couleurs parfois vives en un moment joyeuses, Macha Méril est avec son jeune amant qu'incarne Patrick Jouanné. C'est le passé, ce sont des souvenirs heureux qu'elle se rappelle.

Elle s'appelle Jeanne, il s'appelle Jean. Il était logique qu'ils vivent un peu ensemble, qu'ils s'aiment, qu'ils se séparent, qu'elle soit triste de ne plus avoir de ses nouvelles. Jeanne est celle qui se souvient dans ce bar à vin qui donne son titre au film, Au pan coupé tenu par Oranne Demazis au visage et à la voix toujours aussi tragiques, bien que la patronne du café se régale de raconter quelques commérages à une autre dame. Une femme, dehors, les observe, un voile sur le visage. Le film dira qui elle est à sa toute fin.

Macha Méril on la connaît bien, ce visage doux qui envahit tout l'écran, cette coiffure simple, ce sourire discret. Patrick Jouané est moins connu, il a essentiellement joué dans les films de Guy Gilles, il est son Antoine Doinel. Brun, le visage carré mais l'air juvénile son nez est barré d'une cicatrice. Parfois Jean porte quelques poils au menton, c'est le moment où il vit en hippie après avoir quitté Jeanne. Il vit de larcins, rares moments légers, où avec des amis il vole des poules dans les fermes avant de se faire chasser par le paysan.

Ces passages sans Jeanne, elle ne les a pas connus. C'est un narrateur qui prend en charge ce passé alors que tout le film est énoncé par le prisme de Jeanne. Ces visages perdus en début de film répondent à ce secret que son père (Frédéric Ditis) lui cache : Jean est mort de faim à Lyon. Il s'est laissé mourir. Là est l'un est mystères de Au pan coupé, pourquoi est-il parti pour ne pas vivre ? En tout cas, le jeune homme ne part pour des raisons politiques, malgré le Peace & Love sur la veste de l'un de ces hippies. Ce mystère est ce qui fait tenir le film.

Je trouve les parties colorées du film d'un intense éclat, c'est très beau les choix chromatiques effectués par Guy Gilles et son chef opérateur Willy Kurant (Jean-Marc Ripert est chargé des noirs et blancs, je devrais plutôt dire gris). Régulièrement, les deux motifs se répondent, non pas pour produire des rimes visuelles mais au contraire des contradictions (tels les bras étendus, je les cite comme exemple). Jean est plutôt sobre dans ses tenues, mais Jeanne a plus de folie dans ses robes bigarrées qu'elle traîne avec nonchalance dans la nature.

Au pan coupé est un film de la parole. Ça cause toujours et tout le temps, avec une grande douceur entre Jeanne et Jean. C'est un langage commun mais donné sur un ton un peu monocorde (Bresson n'est pas loin). Jeanne parle avec son frère (Bernard Verley) pour comprendre sans savoir que son père sait tout, lui poursuit son enquête rencontrant tout ceux qui ont croisé Jean dans son court périple. Pour conclure, je dirais c'est un film un peu étrange, souvent très précieux dans sa manière tarabiscotée de tirer tous les fils de la tristesse infinie de Jeanne.







































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