jeudi 12 avril 2018

L’Île aux chiens (Wes Anderson, 2018)


Les aboiements des chiens sont traduits et doublés en anglais, voici ce qu'indique un carton en début de film pour indiquer au spectateur qu'il n'a pas besoin de comprendre le langage canin pour regarder L’île aux chiens (non pas Island of dogs mais Isle of dogs comme I Love dogs). Un autre carton précédent annonce que les dialogues des Japonais seront compréhensibles grâce à la voix de mademoiselle Nelson (Frances McDormand ou Isabelle Hupert) ou par le truchement d'un ordinateur qui fait office de traducteur. (Et par chance les sous-titres ne sont pas sur l'image mais dans la bande noire).

Il existe véritablement deux versions sonores du film, aussi réussies l'une que l'autre. J'ai commencé par la version française avec une surprise de taille, entendre Jean-Pierre Léaud faire la voix d'un chien, le dénommé Gondo (en anglais c'est Harvey Keitel dont je connais moins la voix), les déraillements de sa voix font merveille pour ce gros toutou dans la situation qui est la sienne à ce moment du film (je vais tenter de raconter le fil du récit le moins possible pour une fois). Daniel Auteuil quant à lui est Jupiter, le vieux sage qui conseille Chief et sa bande.

On pourrait presque ne parler que des différences de ton et d'intonation de chacune des deux versions. Ainsi Vincent Lindon incarne la voix grave (et enfumée) de Ryan Cranston pour Chief, le chien mal léché, rebelle et sale de l'île aux ordures (Trash Island) où sont parqués les chiens depuis que le maire Kobayashi a décider d'éradiquer la race canine pour les chats (l'animation japonaise regorge de chats de Kié la petite peste de Isao Takahata à Kiki la petite sorcière de Hayao Miyazaki en passant par le si bien nommé Royaume des chats de Hiroyuki Morita).

Chief serait le personnage principal du film, un anti-héros par excellence qui va être suivi par quatre autres toutous aux noms de « leaders », King, Rex, Boss et Duke. Leur engeance démarre lors d'une hilarante baston avec cinq autres chiens dans un nuage de coton pour s'approprier un sac de déchets ménagers. Le quatuor est la caution comique, constamment à vouloir voter pour chaque action quand il faut agir sur le champ. Duke (avec la douce voix de Mathieu Amalric) demande souvent si ses comparses connaissent telle rumeur, il adore les ragots.

L'arrivée du neveu du maire Kobayashi sur l'île, le jeune Atari se fait telle celle du petit Prince de Saint-Exupéry, sur un petit avion sur une planète inconnue. Drôle de tête qu'a Atari, débarquant dans un costume d'astronaute, une pique planté dans le casque, une dent en moins dans la bouche, le visage pâle. Un peu fantôme errant. Atari est orphelin, adopté par son oncle et son chien a été le premier a avoir été déporté sur l'île. Il est parti à sa recherche. Le chien s'appelle Spots (taches) et il semble être une légende, selon la rumeur de Duke.

Avec ses petites marionnettes, son animation à l'ancienne image par image, sauf dans les reportages télé où l'animation est en dessin (toute l'information aux humains passe par la télévision, instrument d'abrutissement de masse et de propagande à la solde de Kobayashi) L’Île aux chiens cherche une voix différente vers le naturalisme. Il prend la forme de descriptions : l'état général des chiens, la fabrication de sushis ou l'opération chirurgicale. Chaque scène est l'occasion d'une grande minutie, d'un sens du détail inégalé, d'un plaisir visuel.

Le film fonctionne par petit groupe, sur l'île les cinq chiens et Atari font faire un périple et rencontrent d'autres chiens (les personnages féminins canins sont plus ingrats, cantonnés dans de petits rôles, mamans, acrobates, et pourvus de peu de dialogues). Au Japon, deux groupes s'opposent, Kobayashi et sa clique anti-chien dont le géant Major Domo, sinistre éminence grise du maire, sorte de Nosferatu aux dents pourries, au visage de cendre, serait le véritable auteur de cette haine du chien, créateur d'une armée de robots féroces qui viennent régulièrement pour tuer Chief et ses acolytes.

Face à lui, une étudiante américaine, une blonde aux grands cheveux (Greta Gerving prête sa voix à la fois en anglais et en français) et quelques résistants sont des lanceurs d'alerte. Elle enquête sur ce complot, sur la corruption des édiles et tombe amoureuse à distance d'Atari. C'est dire à quel point Wes Anderson structure son récit autour de variations non seulement naturalistes mais aussi politiques sur un motif de quête qui pourrait faire penser à un scénario de Pixar (le héros de Pixar est toujours perdu dans un univers inconnu et cherche à revenir à son habituel confort) mais qui en est l'antithèse absolue.

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