mercredi 6 septembre 2017

Jeannette (Bruno Dumont, 2017)

Ainsi donc, cet été les deux films les plus étranges sortis dans les salles de cinéma auront été deux comédies musicales. A ma gauche, filmé dans un décor de néons et d'escalier avec pléthore d'acteurs de Hong Kong, Office de Johnnie To. A ma droite mis en scène sur les dunes légèrement herbées du Nord avec une enfant en robe bleue, Jeannette de Bruno Dumont. On remarquera dans chacun de ces deux films l'artificialité absolue du décor unique, les néons figurent tout Hong Kong et les dunes symboles de Domremy, de la Meuse et de la Bourgogne.

Voici Jeannette en 1425, elle a 13 ans, elle garde son petit troupeau de moutons. elle marche pieds nus dans le ruisseau, elle grimpe sur la dune en chantant une adresse à Dieu. « Et rien, non, jamais rien » chante-t-elle les yeux vers les cieux. Elle entonne ses paroles a cappella avant que la musique ne commence à retentir, telle des trompettes divines. Par deux fois, la caméra montée sur une grue incarnera ce Dieu qui regarde Jeannette sans lui répondre. Voici qu'arrive une autre petite fille, Hauviette, une amie de Jeannette.

Toutes deux se mettent à chanter de concert, à danser, à virevolter, à taper du pied. Bruno Dumont s'est adjoint les services de Igorr. Je n'avais jamais entendu parler de lui (j'ai même cru à un moment qu'il s'agissait d'Esteban, le musicien et acteur loufoque d'Antonin Peretjatko). Igorr a composé ces chansons tout en bondieuseries pour illustrer la vocation mystique de Jeanne d'Arc. Mine de rien, certaines sont plutôt bien troussées, comme quoi quand le cinéaste s'extrait de sa propre prose, ses films sont meilleurs.

Comme d’habitude (à l'exception de Flandres et de Camille Claudel 1915), ses interprètes tentent de se dépatouiller, mais un certain malaise m'a pris quand l'oncle Jean de Jeanne vient faire un petit rap pour qu'elle puisse enfin quitter son village et filer à Orléans pour aider le Dauphin. Ses contorsions et ses gestes maladroits sont aussi pénibles à regarder que le comique très Freaks de P'tit Quinquin et Ma Loute. Dans Jeannette, et c'est tant mieux, Bruno Dumont abandonne le comique, chose qui demande une rigueur et une précision que le cinéaste ne possède pas.

Certes les deux enfants ne chantent pas bien (je constate que celle qui joue Hauviette a un plus beau brin de voix), mais Jeanne à 16 ans, c'est encore pire. Passons. Un morceau est fascinant, chanté par Aline et Elise Charles qui incarnent toutes deux Madame Gervaise une religieuse venue discuter avec Jeannette. Un seul personnage jouée par deux actrices (des jumelles ?) qui doublent leurs chorégraphies, c'est une jolie scène. Quand elles enlèvent leur voile et danse comme dans un concert de métal, c'est étonnant.

Les deux sœurs reviendront plus tard sous la forme de Sainte Marguerite et Sainte Catherine accompagnées de Saint Michel, interprétée par une femme, Anaïs Rivière. Toutes trois lévitent dans les bois. Je ne sais pas si Bruno Dumont a voulu faire une belle image pieuse tiré d'un missel de notre enfance mais l'effet est tout inverse, ces deux séquences affirment la folie de la religion, son caractère démentiel. Si le film avait été plus souvent ainsi au lieu de tourner en rond et d'être alambiqué, je le recommanderais presque.

Quand on songe à ce qu'avait fait Luis Buñuel en seulement 48 minutes sur un sujet similaire dans le génial Simon du désert, Jeannette apparaît terriblement anodin. Je reste tout de même pantois devant le déluge d'éloges des thuriféraires du cinéaste après le passage sur Arte. Mais c'est somme toute assez amusant voire cocasse de constater la hargne des admirateurs face aux détracteurs (lire les commentaires sous le texte de François Cau sur le site Chaosreigns). Il y a de la bigoterie chez les fans de Bruno Dumont et c'est bien lui en haut de la grue en train de filmer les dunes, pas Dieu.

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