dimanche 20 mars 2016

La Jetée (Chris Marker, 1963)

Les tentatives de film de science fiction sont tellement rares en France que La Jetée fait figure de pierre angulaire, voire d'exemple indépassable. Quand le film sort en France, le monde est encore sous le coup de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Par le plus grand des paradoxes, des cinéastes français, dont Chris Marker, ne vont pas tarder à s'engager dans la militance cinématographique contre la guerre du Viet-Nam enclenchée, soutenue et maintenue par ce même John Fitzgerald Kennedy.

C'est dire si ces images dans La Jetée qui montrent un Paris détruit, un Arc de Triomphe étêté, une cathédrale dévastée trouvaient un écho dans l'esprit collectif. Les ravages nucléaires étaient proches, devant le nez des gens et Chris Marker rappelle cette angoisse, cette menace, dans son film. « La surface de Paris, et sans doute de la plus grande partie du monde, était inhabitable, pourrie par la radioactivité », dit la voix de Jean Negroni, le récitant de cette histoire de dystopie inéluctable, de cette guerre qui éclatera un jour.

Si, comme le disait Michel Subor dans Le Petit soldat, « le cinéma c'est 24 fois la vérité par seconde », alors qu'est-ce donc le souvenir ? Dans La Jetée, les souvenirs arrêtent cette idée de mouvement, de ralenti, d'accéléré propres au cinéma. Chris Marker a nommé son film un photo-roman, mais ne s'interdit ni les fondus enchaînés, ni le recadrage, ni le montage cut. La Jetée est ainsi une cristallisation de photogrammes, une compression de la mémoire de cette homme et de cette femme qui se rencontrent sur l'aéroport d'Orly.

L'un des derniers films de Chris Marker, co-réalisé avec Yannick Bellon, était titré Le Souvenir d'un avenir, c'est exactement l'idée du récit de La Jetée, l'histoire d'un homme marqué par une image d'enfance. La Jetée est la première déclinaison dans le cinéma de Chris Marker de son goût pour Hitchcock et pour Vertigo. Ce souvenir d'enfance, cette madeleine mémorielle, cette image nodale, c'est cet homme étendu que regarde ce gamin dont on ne voit que les jambes, installé sur la rambarde de la jetée.

La science fiction se décline simplement. La science est commentée avec son lot de nouvelles inquiétantes, ses visages fermés et enfermés dans des bunkers de béton. Et cet homme qui porte des lunettes étranges et le héros du film qui subit des expériences où il doit se projeter dans l'avenir, vers d'autres mondes où il ne reconnaît rien. La fiction est le récit sur 50 jours dans le Paris de 1963, ensoleillé avec de vrais enfants, de vrais oiseaux, de vrais chats. La fiction de La Jetée c'est aussi un documentaire sur ce Paris de cette époque qui n'existe plus que dans les souvenirs du cinéma.





















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