jeudi 24 mars 2016

Kaili Blues (Bi Gan, 2015)

Avec le cinéma chinois indépendant, on est pratiquement toujours certain de découvrir des contrées, lieux, endroits où le cinéma officiel chinois n'amènera jamais le spectateur. De toute façon, ça fait bien longtemps que plus aucun film parrainé par Pékin ne sort dans nos salles. Jia Zhangke depuis près de 20 ans, les deux films de Liu Biangjian, Wang Bing et aujourd'hui Bi Gan, jeune cinéaste né en 1989. La destination du jour est Kaili. Je ne connaissais pas, mais on apprendra grâce au discours qu'apprend une future guide touristique tout sur la ville, texte repris en écho par l'homme amoureux d'elle. Il faudra aller voir le film pour tout connaître sur cette ville.

Le titre du film (« pique-nique au bord de la route » en putonguah) arrive au bout d'une demi heure, d'ici là, il faut essayer de récupérer des bribes d'information sur les personnages, de remettre les pièces d'un puzzle que le jeune cinéaste se fait un plaisir de mélanger devant nos yeux. Ce qui ressort de ces 30 première minutes est la passion de Bi Gan pour les miroirs, les reflets, les ombres qu'il multiplie dans le cadre. Une scène est entièrement filmée sur un rétroviseur d'une moto, ce qui réduit considérablement le champ de vision du spectateur qui se contente de regarder ce minuscule miroir sans prendre garde à ce qui se passe autour du rétroviseur. Bi Gan dirige le regard du spectateur pour mieux le troubler.

Ce morcellement du récit est accentué par la variation sonore. Cet homme qui tousse en début de film n'est pas mon voisin dans la salle. Des poèmes scandent en voix off le film, écrits par Bi Gan et récités par Chen Yongzhong, qui joue Chen, le médecin, figure centrale de Kaili Blues qui a repris un dispensaire avec une vieille infirmière, accrochée à son vieux transistor. Ce morcellement reflète le délabrement de la ville et de la vie chaotique de Chen, de son demi-frère chômeur un joueur impénitent et de Wei-wei, un gamin de dix ans, neveu de Chen qui va être vendu par son père à un moine. Chen décide de partir à sa recherche et se rend dans le village de Zhenyuan où un ancien amant de la vieille infirmière doit vivre.

Le morceau de bravoure de Kaili Blues, à la fois inutile et précieux, consiste en ce plan séquence de 40 minutes et des poussières, un peu maladroit (on repère les micros sur les acteurs, les figurants attendent le feu vert pour se déplacer). Filmé en steadycam avec plusieurs cadreurs, comme le raconte Bi Gan dans les Cahiers du cinéma (et non avec un drone comme je le pensais), il fait un parcours circulaire, en moto, à l'arrière d'une camionnette, dans des boutiques. Il suit alternativement plusieurs personnages, un couturière (Guo Yue) qui traverse la rivière en bateau puis sur un pont, un jeune homme, qui semble être Wei-wei âgé (Yu Shiwue), une coiffeuse, un groupe de pop composé de lycéens qui jouent bien faux.

Ce plan séquence dilate et compresse le temps dans le même mouvement, transforme des personnages dans une manière qui n'est pas sans rappeler Lost highway de David Lynch, véritable référence du film, bien plus que d'autres cinéastes, notamment chinois tel Hou Hsiao-hsien. Plan séquence précieux parce qu'il ose le créer en direct sans passer par la postproduction (loin de Birdman donc) et fascine le regard du spectateur, mais inutile parce que le réel des scènes décrites apparaît trop fabriqué pour justement pouvoir répondre aux contraintes de ces 40 minutes. L'exercice de style est certes puissant, Bi Gan veut être un formaliste important, mais cela pose une seule question : que va-t-il bien pouvoir faire après ce premier film ?

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