dimanche 25 août 2019

Le Miraculé (Jean-Pierre Mocky, 1986)

Après deux décennies où les hommes ont eu les meilleurs rôles, les meilleures répliques et les meilleures situations, les années 1980 permettent à Jean-Pierre Mocky de donner aux actrices des partitions bien plus élaborées qu'auparavant : Marie-Josée Nat (Litan), sa compagne Patricia Barzyk, Jacqueline Maillan (Y-a-t-il un Français dans la salle, Les Saisons du plaisir), Pauline Lafont (Le Pactole), Catherine Deneuve (Agent trouble), Carole Laure (A mort l'arbitre). L'idée est chaque fois d'offrir un rôle à contre-emploi aux actrices. Mais celui qui a été le plus étonnant et le plus radical est celui de Jeanne Moreau dans Le Miraculé.

C'était un peu une période creuse pour Jeanne Moreau, ça arrive parfois, elle était quelques mois plus tôt le tenancière du bar qui servait d'unique décor au très sophistiqué film de Michel Deville Le Paltoquet (irregardable aujourd'hui). Dans Le Miraculé, attifée comme un sac à patates, elle est Sabine dite « Le Major », une religieuse hors couvent, donc hors des conventions. Son passé ressurgit au fil des dialogues, puis dans une scène à Lourdes, La Major a probablement été une prostituée dans une vie antérieure. Surtout, surtout, elle passe son temps à causer, une bavarde impénitente, et elle chante aussi des morceaux religieux à tout bout de champ.

Jean-Pierre Mocky s'était déjà attaqué avec bonheur et délices à la religion 20 ans auparavant dans Un drôle de paroissien. Le Miraculé arbore la religion sous plusieurs angles notamment celui des ressources pécuniaires, le nœud du problème. Dès la séquence d'ouverture, on vend des messes (67 francs) pour les particuliers. Effectivement, il sera beaucoup question d'argent avec cette famille de beaufs qui achète tout un tas de bibelots hors de prix dans les boutiques de Lourdes, des vierges en plastic, des lampes, des bonbonnes d'eau bénite qui serviront à mettre de la gnôle. Cette famille sans nom qui apparaît tout au long du film est vaguement le chœur antique de cette comédie.

L'argent est la passion de Papu (Jean Poiret), sorte de cloche peu ragoutant, il traîne sous les pontes avec un ami (Jean Abeillé) et truande d'autres cloches au jeu du bonneteau. S'il connaît le Major, c'est parce qu'elle l'héberge dans le centre d'accueil qu'elle gère. Elle tente de le remettre dans le droit chemin. L'enthousiasme constant du Major s'entrechoque avec le cynisme de Papu. Croûte purulente sur le visage, queue de cheval, chemise pas propre, Papu est l'antithèse de la religieuse qui va prendre soin de lui malgré lui quand il est victime d'un accident. Il aurait perdu l'usage de ses jambes.

Arnaque à l'assurance, pourtant le Major ne voit rien, refuse de voir vraisemblablement, toujours conversant avec le Seigneur dans des apartés comiques et ridicules. Elle va proposer à Papu d'aller à Lourdes, elle espère un miracle. Mais en attendant le voyage, la compagnie d'assurance dépêche l'un de ses agents pour confondre l'escroc. C'est à Roland Blanche qu'est dévolu ce rôle d'agent pas franchement adroit de tendre des pièges à Papu pour qu'il se lève de son fauteuil et soit pris en défaut. Mais Papu non seulement parvient à ne jamais se lever mais réussit à se débarrasser de cet encombrant personnage.

C'est alors qu'entre en scène l'une des compositions les plus amusants de Michel Serrault. Il est le patron de la compagnie d'assurance. C'est un personnage burlesque inspiré de Harpo Marx puisqu'il ne parle jamais. Ronald Fox Terrier est son nom. Muet mais pas sourd, il s'exprime par borborygmes, par des petits sons désopilants, par des mimiques et des grimaces quand il cause à son épouse (Sylvie Joly) pas en reste comme dans cette délirante scène où ils se téléphonent et chacun d'eux font des bruits d'animaux comme dans un langage nouveau et secret qu'ils auraient établi pour se comprendre.

Le voyage pour Lourdes se fait en train. Jean-Pierre Mocky ajoute à ce trio initial d'autres personnages truculents. Angelica (Sophie Moyse) une gitane qui voyage sans billet, elle s'incruste dans le compartiment de Papu et comprend rapidement l'entourloupe. Elle réclame une part de la prime ou elle le dénonce à Ronald. On croise l'abbé Humus (Marc Maury) bel homme que Sabine drague éhontément (il devient pivoine dans ces cas-là) et qui se trouve être tout à fait au goût de l’évêque de Lourdes (Jean Rougerie) dans des échanges de répliques au double sens savoureux, là Mocky cause de la sexualité des curés et des religieuses avec ironie.


Dernier personnage important qui va encore plus semer la pagaille et ajouter de nombreux quiproquos, celui d'Hervé Pauchon portant une barbe (postiche). Pauchon est l'attaché de presse de l'église de Lourdes et verrait d'un très bon œil un miracle se dérouler dans la grotte. Pourquoi ? Parce que les croyants manquent et que si les croyants manquent, l'argent pour l'église manque. CQFD. Les 20 dernières minutes du Miraculé sont les plus acerbes mais aussi les plus drôles dans ces courses poursuites en fauteuils roulants, dans une partie de cache cache où l'hypocrisie règne partout, dans un parcours en forme vaudeville léger et comique.


























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