mardi 22 novembre 2016

Une ville d'amour et d'espoir (Nagisa Oshima, 1959)

C'est un film d'une grande brièveté (62 minutes) mais d'une grande vivacité, un montage très cut, coupant parfois les dialogues de manière abrupte et c'est un titre en forme d'ironie, qu'il faut prendre à revers, peu d'amour et peu d'espoir dans cette ville industrielle. Il s'agit en vérité de plusieurs quartiers, celui des riches et celui des pauvres et au croisement, le jeune Masao (Hiroshi Fujikawa), un adolescent bien sage est assis sur le trottoir dans son costume de lycéen. Devant lui, une cage dans laquelle se trouve deux pigeons à vendre.

Celle qui va acheter ses pigeons est Kyoko (Yuki Tominaga), une jeune femme d'à peu près le même âge. Il les vend 700 yens, elle tend un billet de 1000, il lui rend la monnaie, même si elle n'en veut pas, elle veut être généreuse, mais le jeune homme a sa fierté. Quand il rentre chez lui, dans une maison de planches et de tôles du quartier pauvre, Masao retrouve sa mère (Yuko Mochizuki) et sa petite sœur. La première est malade, elle est d'habitude cireuse de chaussures, justement sur ce trottoir, et la sœur est un peu simplette. Masao a acheté des victuailles pour le dîner du soir.

La Shochiku, qui produisait Une ville d'amour et d'espoir, voulait un « film de jeunesse » comme il s'en tournait beaucoup au Japon après guerre, une comédie romantique gentille et commerciale. D'ailleurs, Nagisa Oshima avait tourné son court-métrage promotionnel Soleils de demain avec les jeunes pousses de la compagnie. Peine perdue. Le cinéaste détourne la commande et triture dans tous les sens l'histoire d'amour entre Kyoko et Masao, en tout cas, un récit sur une amitié naissante entre deux jeunes gens de condition sociale différente et contrastée, elle riche et lui pauvre.

La mère de Masao voudrait qu'il poursuive ses études, lui aimerait travailler pour gagner sa vie, sa professeur Madame Akiyama (Kakuko Chino) espère trouver du boulot au gamin. Elle rencontre le grand frère de Kyoko, Yuji (Fumio Watanabe) le fils d'un directeur d'une usine de télévisions (on découvre quelques plans documentaires sur ce Japon qui s'industrialise à outrance). Nagisa Oshima esquisse également une romance entre l'institutrice et le grand frère et la relie aux rapports entre les deux plus jeunes, rapports instables et incertains qui risquent de se briser à chaque scène.

Nagisa Oshima élabore un film sur la lutte des classes et Masao n'aura jamais de boulot à l'usine, malgré les supplications de Kyoko, malgré les arguments de Madame Akiyama, malgré l'examen que passe Masao. Tout ça à cause des pigeons que le jeune homme revend après qu'ils se sont échappé de chez leur nouveau propriétaire et revenu chez lui. Ainsi, il est considéré comme un voyou, comme si cela était inscrit dans ses gènes et que cela ne pouvait pas être effacé. On naît pauvre et on reste pauvre, de père en fils. La même situation s’applique pour les riches. Et quand les riches veulent aider les pauvres, cela se retourne contre eux.

Masao reprend sa place sur le trottoir et cire les chaussures des riches, sans les regarder. L’adolescent est toujours filmé droit comme un piquet, l’air vaguement hébété et le regard vide. Cette position au milieu des autres qui sont assis ou en mouvement le singularise. Masao est en retrait de la société, il ne l’acceptera jamais ou la société le rejettera. Cette jeunesse en rupture, c'est le terreau du cinéma de Nagisa Oshima. La société Shochiku ne sera pas ravie du résultat du film et vaudra un avertissement au cinéaste qui poursuivra au sein de la compagnie sa vision pessimiste de la jeunesse japonaise d'après-guerre.


















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