samedi 19 novembre 2016

Showgirls (Paul Verhoeven, 1995)

Les six premiers mois de 2016, j'ai regardé pas mal de films de Paul Verhoeven en me demandant (et certains de mes amis me l'ont demandé aussi) si je comptais voir à nouveau Showgirls. J'aime beaucoup Paul Verhoeven, j'admire certains de ses films mais je trouve Showgirls épouvantablement médiocre, et ce depuis sa sortie. Je ne l'avais jamais revu depuis. Le film, grâce à Pathé, vient de sortir en salles et en DVD, restauration 4K. Je me suis enfin décidé à le regarder en DVD, chez moi, tranquillement. C'est parti pour 2h06 de Showgirls et à la fin, j'ai le même avis qu'en 1996.

En revanche, par un retournement de tendance assez rare, on ne trouve plus grand monde aujourd'hui pour trouver des défauts au film. Relire les critiques de 1996 et celles de maintenant, c'est finalement très amusant. Télérama sort les arguments donnés par le cinéaste dans le bonus du DVD : l'hyperbole du ton et le jeu staccato de l'actrice, Jean-François Rauger dans Le Monde regrette de n'avoir pas vu alors la critique de Las Vegas, les Cahiers du cinéma ne parlent plus de vulgarité, le film est même tout le contraire. Ben voyons. Certes, tout le monde a droit à la contrition et au mea culpa.

La réhabilitation de Showgirls a commencé en 1998 avec un entretien de Jacques Rivette dans Les Inrockuptibles où le cinéaste clamait le génie de Showgirls, l'excellence du jeu d'Elizabeth Berkley (dans ce même article, il traite Spielberg et John Woo d'ordures, passons, ce sont ses goûts conformes à une époque et à une mode). Rivette compare Showgirls à La Règle du jeu et Starship troopers à La Grande illusion dans un rapprochement approximatif justifiant un demi-siècle de politique des auteurs. Et Paul Verhoeven est un auteur mais je considère aussi qu'il a le droit de rater ses films, tel Showgirls ou dans une moindre mesure Basic instinct ou Hollow man.

Plutôt qu'argumenter sur l'éventuelle caractère hyperbolique du film, on pourrait tout simplement dire que Nomi Malone (Elizabeth Berkley) est une féministe. Ne tend-elle pas un couteau dès l'ouverture du film pour garder sa dignité quand elle se fait prendre en stop par ce jeune gars fan d'Elvis ? (même mec qui l’emmènera en fin de film vers Hollywood pour une nouvelle aventure). Un film féministe sur la condition des femmes à Las Vegas dans les clubs de strip-tease et autres shows et qui montrerait les luttes de pouvoir. Nomi est-elle une grande naïve qui va se faire croquer par Las Vegas ou une vénale ambitieuse comme le suggère la fin ?

Le vrai nœud du problème est pour moi de savoir si Nomi manipule son monde non. Et le souci est que Paul Verhoeven demande à l'actrice un jeu ultra impulsif qui contredit presque instantanément ses répliques. Elle s'engueule en deux secondes avec les gens qui veulent lui faire confiance et la faire travailler, abandonne son poste à la moindre contrariété, ne suit aucun conseil (mange du riz brun et des légumes) et trahit ses rares amis. Même à grands coups d'hyperbole, le récit est sacrément difficile à croire et la cruauté de Las Vegas largement moins démontrée contrairement à Casino et Mars attacks pour ne parler que de deux films sortis en même temps que Showgirls.

De quoi la mèche de Zack (Kyle MacLachlan) est-elle le nom ? Son appendice capillaire est l'un des éléments les plus étranges et inexplicables du film. Les cheveux des danseuses des deux shows, le minable club de strip-tease et celui de Goddess sont tous faux, perruques de couleurs variées (blonde Marilyn M., rousse Rita H., brune Louise B.) et Paul Verhoeven filme avec intérêt ces longues séances de maquillages, d'enfilage de perruques, d'aller et retour dans les coulisses où les danseuses enlèvent en vitesse les cheveux pour en mettre d'autres sous la férule de Gay (Michelle Johnston), la chorégraphe. Il filme l'envers du décor sans aucune ambiguïté, sans amorcer le moindre soupçon de simulacre.

Quand elles dansent, avec leur gestes extrêmement saccadés, sur une musique entraînante et sous une lumière aveuglante, les filles, les perruques des filles, surtout celles de Cristal (Gina Gershon) et Nomi, partent dans tous les sens, Paul Verhoeven s'attarde sur ce détail a priori insignifiant mais qu'il faut rapprocher de la mèche rebelle et ridicule sur le front de Kyle MacLachlan. Quand Cristal offre à Zack un lap dance orgasmique dans le club de strip-tease, son premier geste est de remettre sa mèche en place, tel Samson qui en tirerait sa force. A l'opposé, dans la scène de piscine où Nomi est sous les jets des dauphins fontaine, elle prend le contrôle de la situation.

Dominer la situation, voilà ce que cherche Nomi Malone. Quatre personnages tournent autour d'elle. Zack et Cristal ont des rapports de strictes domination sexuelle. Ce qui prévaut dans le jeu de Gina Gershon, c'est son calme absolu, son visage stoïque, ses mouvements calmes alors qu'Elizabeth Berkley est une pile électrique, constamment en mouvement. Leur bouches respectives, ouverte pour Gina fermée pour Elizabeth, accentuent la métaphore sexuelle, jusqu'à ce que Nomi fasse perdre son sourire à Cristal en la détruisant, en la poussant dans l'escalier. Elle n'est donc pas victime.

Avec sa colocataire rencontrée bien par hasard et trop opportunément, la petite boulotte Molly (Gina Ravera), ce sont des rapports familiaux, de deux sœurs qui se disent tout et partagent tout. L'ascension sociale de Nomi laisse songeur, passant d'un club de strip-tease qui paraissait sordide, mais s'avère bien familial, à celui de Zack et Cristal où règne le tout business – sans qu'on ne parle jamais pognon par ailleurs. La joviale et enrobée Henrietta (Lin Tucci) et le boss Al (Robert Davi) semblent bien gentils comparés aux patrons et dirigeants tout sourires et faux cul, mais ce retournement de point de vue est un peu forcé et hypocrite.

Le dernier personnage a graviter autour de Nomi est James Smith (Glenn Plummer), jeune chorégraphe qui entend aider, malgré elle, malgré ses réticences, Nomi à garder sa dignité et à devenir une vraie danseuse, c'est-à-dire pas un strip-teaseuse ni une danseuse topless dans un casino. Le personnage de Smith ne fonctionne que par défaut, ab absurdo, sans qu'il ne révèle quoi que ce soit de la personnalité de Nomi. On pourrait même penser que Paul Verhoeven ne l'a inclus que pour filmer cette scène où il met sa main dans sa culotte quand elle a ses règles, histoire de choquer à bon compte l'Américain de base.

Si je déclinais Showgirls dans la filmographie de Paul Verhoeven, je dirais qu'il ressemble à Spetters, sauf que dans Spetters, le point de vue est triple, celui des 3 gars frustrés et pas celui de la fille arriviste. De plus Spetters se situe dans une Hollande encore rétrograde et contre laquelle les 3 héros luttent. Showgirls est le film le plus linéaire de Paul Verhoeven, aucun effet narratif, pas de flashback comme dans Starship troopers ou Black book, pas de débuts oniriques et fantasmatiques comme dans Turkish delight ou Le Quatrième homme, pas de vision subjective et amnésique comme dans Robocop ou Total recall. Rien qui ne permet une double lecture, d'avoir plusieurs points de vue, non Showgirls est un film au premier degré, filmé au premier degré et destiné à être vu ainsi, un film terriblement banal.




























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