mardi 7 novembre 2017

Octobre (Serguei Eisenstein, 1927)

Dans l'une des premières séquences d'Octobre, la statue du tsar Alexandre III est déboulonnée. Au delà de la métaphore de la chute du régime impérial russe, c'est la manière de Serguei Eisenstein qu'a de démonter cette statue. Avant que le peuple de Petrograd ne la fracasse à grands coups de massue, chaque élément de la statue est fragmenté, un plan pour le sceptre, un autre pour le visage, les mains, les pieds, le tronc en alternance avec ce peuple qui commence à grimper sur le socle. Alexandre III est démembré par la force du montage du cinéaste en une multitude de plans qui s'enchaînent tout comme les événements du mois d'octobre 1917 qui vont être narré pendant 100 minutes avec le plus de détails possible dans une condensation des faits en vue de l'édification de la révolution.

Le nombre de plans dans Octobre est très important, c'est un montage frénétique, comme Serguei Eisenstein savait en composer (lui-même emploiera le terme d'extatique dans ses textes théoriques). Ce montage allait à l'encontre de toutes les grammaires cinématographiques de l'époque où les plans longs (question de coût) étaient favorisés, un abandon de la forme théâtrale radicale. Le cinéaste joue aussi avec la taille des cartons d'intertitres. Lorsqu'il appelle l'entièreté du peuple russe à s'unir derrière les bolcheviques ( BCEM ! BCEM ! BCEM ! tous en russe), la taille des lettres ne cessent d'augmenter jusqu'à occuper tout le cadre de l'écran. Les cartons sont rarement explicatifs du récit, connus alors de tous les spectateurs auxquels le film s'adresse, et souvent ils deviennent de purs slogans.

Ce que j'aime le plus dans les films de Serguei Eisenstein (et Octobre n'est pas mon film préféré du cinéaste), ce sont les gros plans des visages comme des objets. Pour les visages, il décadre légèrement l'axe de sa caméra et demande au sujet filmé de bouger son visage souvent de face à profil. Dans les derniers mouvements du film, lors de l'attaque du Palais d'Hiver, château du tsar de Russie, cette observation des beaux visages des soldats s’amplifie, des regards caméra s'opposent à la foule des contre-révolutionnaires qui veulent empêcher leur entrée. Cette foule est filmée en plans larges. Les objets, notamment tous les colifichets des religions qui défilent à la queue-leu-leu, sont évidemment inanimés par nature, mais leur accumulation crée un rythme inexorable. Dans la scène finale de la mise à sac du palais impérial, l'alternance entre inserts (bouteilles, vaisselle) et visages aboutit à un film d'action.

L'une des scènes les plus connues du cinéma d'Eisenstein est celle, dans le Cuirassée Potemkine, de l'escalier d'Odessa, scène d'une dramaturgie redoutable. Dans Octobre, il cherche à renouveler cette tension avec la levée des ponts sur le fleuve Neva (une stratégie des généraux de Nicolas II pour que les populations pauvres ne puissent pas entrer dans la partie administrative de Petrograd et s'approcher du Palais d'Hiver). Des habitants en révolte veulent franchir le pont qui ne cesse de se lever, une femme s'écrase sur le bitume fracassée par sa chute, sous les rires des bourgeois satisfaits de cette mort. Le film enchaîne avec un autre escalier, celui qui mène au siège du pouvoir, là l'ascension tourne au burlesque, Eisenstein évoque les gouvernants interchangeables à la solde de l'Empereur. Dans les deux cas, il s'agit d'une inversion du haut et du bas, inversion que la révolution doit faire changer de sens.


Sièges vides et assemblées pleines, c'est constamment par un contraste, une opposition, une disproportion des échelles que le film fonctionne. Au fauteuil vide du gouverneur face à des ministres fantoches, Octobre propose une assemblée démocratique où Trotski, Lénine et Staline sont à la même table, à égalité, pour voter l'insurrection (Trotski est mis en minorité et traité de traitre). De manière plus sarcastique, il filme l’effervescence du 2e congrès des Soviets en se moquant des Mencheviques qui voudraient prendre le pouvoir malgré leur minorité. Essentiellement, le film écrit une histoire où tous les peuples de Russie, de Petrograd à la Sibérie en passant par la Crimée et les régions musulmanes, s'unissent à l'appel d'un tract que le peuple distribue fougueusement. Un Tatar range son sabre portant une inscription à la gloire de Dieu, il est immédiatement convaincu par le message de Lénine. Et pour remplacer le tsar sur son trône vide, un enfant hilare symbolise la joie d'un monde neuf.






































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