vendredi 3 novembre 2017

Carré 35 (Eric Caravaca, 2017)

Malgré sa brièveté (67 minutes, génériques compris) ou peut-être grâce à elle, Carré 35 est un film d'une densité exceptionnelle. C'est un documentaire, le deuxième film de l'acteur Eric Caravaca (j'avais vu Le Passager en 2006, mais je n'en garde aucun souvenir), jadis étoile montante du cinéma français (apparu à la même époque que Bruno Putzulu, Philippe Torreton, Samuel Le Bihan), un corps massif, une voix grave et précise, une certaine mélancolie dans les yeux. Carré 35 est l'une de clé de cette mélancolie.

Commencé en 2013 avec des images de son papa Gilbert avant qu'il ne meurt (plans bouleversants sur son lit de mort) puis avec des enregistrements de sa maman Angèle, le film d'Eric Caravaca cherche à résoudre une énigme sur sa sœur aînée, décédée en 1963 à l'âge de 3 ans et enterrée dans ce carré 35 du cimetière de Casablanca. Face caméra, ses interlocuteurs ont un peu de mal à parler, derrière l'objectif, Eric n'ose pas encore poser des questions qui pourraient fondre en larmes sa mère.

L’enquête menée (on est dans un récit de film noir avec des nuances de thriller) apporte son lot de coups de théâtre, le premier étant l'identité même de sa mère. Eric comprend qu'elle a changé plusieurs fois de prénoms, Angela, Angèle, Catherine. Il sait que selon les déménagements après l'indépendance du Maroc puis de l'Algérie (où ses parents ont habités en 1960) puis l'arrivée en France, sa mère est connue sous ces différents prénoms, comme si elle avait voulait s'inventer son présent.

Les films 8mm et les photos d'un passé où il n'était pas né ou encore enfant l'interrogent. Pourquoi aucun film avec Christine, aucune photo ? Sa mère parle d'une maladie du cœur le jour de la mort. Pourquoi parler de cette maladie bleue ? L'enfant n'a jamais été rapatriée en France. Pourquoi n'est-elle jamais allée depuis la mort de sa fillette sur sa tombe ? Ces questions douloureuses, Eric Caravaca les posent et part dans un voyage dans le passé, il veut combler les images manquantes et s'envole pour Casablanca.


Tandis que son enquête avance lentement (il ne trouve pas le carré 35), les secrets familiaux n'en finissent jamais (la révélation par sa mère du second déni de mort, celui de la grand-mère maternelle), Eric Caravaca poursuit avec une solide réflexion sur le colonialisme, sur la mort au travail (délirante propagande des nazis), sur sa paternité. Les salles de cinéma regorge de documentaires sur tout et sur rien, Carré 35 est, de loin, le plus personnel et le plus maîtrisé que j'ai vu depuis des mois.

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