lundi 5 décembre 2016

Les Temps modernes (Charles Chaplin, 1936)

Après avoir revu Charles Chaplin chausser ses patins à roulettes dans Charlot patine, j'ai avancé de 20 ans dans le temps pour regarder Les Temps modernes. En 1936, il y est aussi habile à glisser, à faire des pirouettes, à même prendre le risque de se bander les yeux, tout ça pour épater la gamine (Paulette Goddard). Il ne s'est pas encore rendu compte qu'il patine sur un étage où la barrière est enlevée pour faire des travaux. La danse est délicate, toutes en boucles, telle une parade amoureuse que son personnage offrirait à la jeune femme.

Plus tard dans le film, après une séparation et des retrouvailles, le vagabond et la gamine travaillent dans le même restaurant, tenu par Henry Bergman (l'acteur qui incarnait la grosse bonne femme dans Charlot patine). Là, Charlot exécute son fameux numéro de la chanson en charabia et avant cela il donne une danse où il avance en arrière, un peu comme la moonwalk de Michael Jackson. Si la chanson ne m'a jamais fait rire (je n'ai jamais compris cette addition de rires dans la bande sonore), ses mouvements et ses pas ne cessent de m'étonner.

Avant d'arriver à cette séquence, la toute première où Charles Chaplin fait entendre sa voix, mais sans parler, uniquement en chantant, 9 ans après les débuts du cinéma parlant, son personnage subi tout un parcours semé d’embûches. Cette voix, il la veut la plus universelle possible. Il ne s'agit pas pour lui de parler ou chanter en anglais, car l'acteur cinéaste a bien conscience de l'étendue de sa réputation et de sa popularité. Il affirme être la voix de la classe populaire, une voix universelle qui n'a pas besoin du cinéma parlant pour s'exprimer.

Cette classe ouvrière, cette masse laborieuse, elle est présente dès le début du film. Après un carton ironique sur ce mythe américain qu'est la « poursuite du bonheur », Charles Chaplin alterne un plan de moutons et un plan d'ouvriers sortant d'une bouche de métro. Le message est double, cinématographiquement il crée du comique, socialement il annonce le parti pris politique des Temps modernes, le travail crée de l’aliénation, et toute la première séquence dans l'usine, avec ses immenses machines qui mangent les ouvriers le démontre.

Le petit ouvrier Charlot exécute le même geste toute la journée, et on veut même le faire travailler pendant son repas de midi. Un ingénieur, savant fou bien évidemment à la solde du patronat, propose une machine à manger qui devient vite incontrôlable. Derrière le comique, voici l'un des nombreux exemples de la modernité qui s'avère vite être des régressions. Les gestes répétitifs des ouvriers sur la chaîne de montage (ils construisent quels objets, l'usine fabrique quoi, on ne le saura jamais) conduisent le pauvre Charlot à la folie. Une fois sa pause entamée, il continue ses gestes, mécaniquement.

La première fois que l'on voit le patron de l'usine, il fait un puzzle, puis lit les aventures de Tarzan dans son journal, avant d'ordonner, grâce à un système de vidéo surveillance (Chaplin avait déjà tout prévu donc), à un colosse torse nu, une sorte d'ouvrier servile et docile, d'augmenter encore les cadences déjà infernales. Comme pour ces moutons d'ouvriers, le parallèle entre l'oisiveté du patron et ses exigences de rendement est le cœur politique de Chaplin dans Les Temps modernes, ce sont les ouvriers qui triment pour que le patron puisse lézarder.

Lire le journal, Charlot le fait également plus loin dans le film, mais en prison où il vit tranquillement. La case prison est récurrente dans Les Temps modernes. Si Charlot devient un prisonnier modèle qui clame qu'au moins là-bas il a un toit et un repas, ce n'est pas parce qu'il l'a choisi. C'est un concours de circonstance qui le pousse à aider les matons contre des prisonniers qui s'évadent, en effet Charlot avait reniflé, malgré lui, de la cocaïne et pris la défense de ceux qui ne cessent de l'opprimer depuis le début du film.

Ce qui m'a toujours marqué dans Les Temps modernes, c'est la critique acerbe de la police dans le film, sa position de force de répression au service des riches, sa haine des ouvriers et des pauvres. Après son nervous breakdown (un burn-out, déjà en 1936), Charlot se saisit d'un drapeau et se voit être suivi par des manifestants (les banderoles sont dans toutes les langues). Evidemment la police et les flics frappent à coups de matraques les manifestants. La violence est inhérente à la police dit Charles Chaplin, elle ne peut pas s'empêcher de détruire l'homme libre.

Ce qui est très beau dans ce film de Chaplin et qui en fait un génie du cinéma, c'est justement qu'il parvient à trouver l'équilibre entre les éléments politiques, le comique des gags et l'histoire d'amour, un fragile équilibre et non une simple succession de ces éléments. Les actions de chaque personnage, ses motivations et ses conséquences sont intimement liées. Elles s'enchaînent inéluctablement telle la mécanique des machines dans lesquelles Charlot s'engouffrait malgré lui. Et la gamine est le grain de sable qui vient faire dérailler ces terribles machines. A eux deux, ils peuvent enfin sourire et partir vers la poursuite de leur bonheur.






































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