« On
a raison des séquestrer les patrons / Grève illimitée ». Le
patron est joué par Vittorio Caprioli. L'acteur italien est peu
connu mais a quelques rôles marquants, outre l'homme du marché aux
puces dans Zazie dans le métro, on le reconnaît dans Le
Magnifique, il est le patron de la maison d'édition de Belmondo
et aussi le méchant dans les récits d'aventure qu'il écrit, dans
L'Aile ou la cuisse il est le restaurateur frustré qui oblige
Louis de Funès sa choucroute en disant « c'est dégueulasse,
hein ? » avec une pointe d'accent italien. Pour Godard et
Gorin, Vittorio Caprioli est idéal en patron, forcément
dégueulasse, l'homme qui dirige cette entreprise de charcuterie
industrielle depuis 1967.
Mai
1972, quatre ans après mai 68, son usine est occupée par ses
ouvriers. Il n'entre en scène qu'au bout de 10 minutes, éjecté de
son bureau telle la foule de la cabine dans Une nuit à l'opéra
des Marx Brothers. Ici, il s'agit d'un autre marxisme, tendance
léniniste. Godard et Gorin présentent dans ces dix premières
minutes leur projet pour Tout va bien, avec un générique,
chose qui n'était pas arrivé dans le cinéma de Godard depuis La
Chinoise. Son travail dans le Groupe Dziga Vertov s'achève avec
ce film, tout comme sa vie avec Anne Wiazemski qui apparaît en fin
de film. Au générique pour la première fois apparaît le nom
d'Anne-Marie Miéville.
Deux
voix dans ces dix premières minutes s'interrogent sur ce qu'il faut
pour faire un film, ça consiste d'abord avec un budget (les chèques
que le producteur signe – Jean-Pierre Rassam, le beau-frère de
Claude Berri), les acteurs engagés, Yves Montand et Jane Fonda et le
sujet « les bourgeois qui bourgeoisent, les paysans qui
paysannent et les ouvriers qui ouvrièrent ».
Quelques vignettes en plan fixe, comme dans un burlesque muet,
décrivent les classes sociales de la France pompidolienne, celle qui
écoute RTL, Europe 1 qui regarde Léon Zitrone à la télévision
donner des nouvelles de Lecanuet et de Mitterrand. C'est cette France
assoupie que décrit Tout va bien.
L'usine
est occupée, Tout va bien se passe dans cette usine découpée en
tranches comme la maison du Tombeur de ces dames de Jerry
Lewis. Avec sa caméra, les cinéastes traversent toutes les pièces
de cette maison de poupées, en haut à gauche le bureau du patron
qui est séquestré avec Suzanne (Jane Fonda) et Jacques (Yves
Montand), elle est journaliste à ABS, une radio américaine, il est
cinéaste, il n'arrive pas à tourner un film, alors il fait des pubs
pour les slips et collants Dim, on les voit sur leur lieu de travail
respectif, elle enregistre des chroniques en anglais (pas de
sous-titres), il fait danser des filles sur une estrade et les filme.
Parce
que ses collègues la désignent comme la spécialiste du gauchisme
en France, Suzanne est allée dans cette usine, elle voulait poser
des questions au patron, mais elle se retrouve dans la même pièce
que le patron, avec Jacques aussi, ils sont enfermés. Dans la pièce
à côté, on déchire à grande joie les dossiers, dans l'escalier à
droite, on entonne des chansons révolutionnaires, entre l'escalier
et cette pièce, on discute politique, Parti Communiste, délégation
syndicale, CGT, on s'amuse à ne rien faire. Une ouvrière cause au
téléphone avec son mari pour lui annoncer que, comme lui le mois
précédent, elle occupe l'usine.
Godard
et Gorin veulent aussi montrer les conditions de travail. Malins, ils
mettent Montand et Fonda dans l'usine, elle fabrique des saucisses,
il découpe des carcasses de porc, après tout ce sont des acteurs,
ils peuvent tout jouer même si ce sont des stars. Encore plus
malins, les cinéastes montrent par l'absurde le harcèlement du
patronat. Le patron veut aller pisser, un ouvrier lui déclare qu'il
doit le faire dans les mêmes conditions que lui, 3 minutes chrono
pour aller de son bureau jusqu'à l'autre bout de l'usine. C'est une
petite revanche mais ça en dit long sur la vie des ouvriers
spécialisés comme on dit.
Au
bout de quelques chansons, de quelques engueulades, de quelques
disputes, cinq jours se sont passés. Nos deux stars se retrouvent
chez elles, c'est le Godard plus classique (et Tout va bien est
un film fait pour être classique) qui se dessine avec les querelles
de couple et la conscience de la vacuité de leur propre boulot. Le
film se termine par un long plan séquence de près de 10 minutes sur
les cadences infernales dans une grand surface Carrefour. Une bande
de gauchistes vient tout renverser avant que des CRS n'interviennent
et remettent tout en ordre. Godard lui en aura finit avec son cinéma
politique et partira ailleurs, à Grenoble avec Anne-Marie Miéville
puis en Suisse.
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