vendredi 23 mars 2018

Sérénade à trois (Ernst Lubitsch, 1933)

Amis depuis 11 ans, George Curtis (Gary Cooper) et Tom Mitchell (Fredric March) mènent une vie de Bohème. Le premier est peintre, le second est dramaturge. Pas des bons artistes, l'un fait des croûtes, des portraits figuratifs, l'autre a du mal à écrire les répliques de ses pièces. Pour l'instant, ils roupillent dans le wagon d'un train qui les emmène de Marseille à Paris. Nos deux héros ne remarquent pas Gilda Farrell (Miriam Hopkins) qui vient de rentrer dans leur wagon. Elle s'assoit en face d'eux et sort son cahier pour les dessiner.

La première séquence de Sérénade à trois est sans dialogue, sans musique (le film n'en comportera aucune, Ernst Lubitsch est déjà arrivé au sommet de son art pour ne plus avoir besoin d'illustrer le ton de son récit avec de la musique). Gilda observe sans rien dire ces deux énergumènes, ils soupirent dans leur sommeil, George arbore soudain un sourire issu d'un joli rêve, elle gomme le rictus qu'il avait précédemment puis efface le sourire de son esquisse. On ne découvrira ses portraits que quand elle-même sera endormie et que les deux garçons ont saisi son cahier.

Dans ce titre français, c'est le « à trois » qui importe et Ernst Lubitsch l'illustre parfaitement dans cette première séquence muette. Endormis, les deux hommes ont mis leur pieds sur le siège en face d'eux, plus précisément, George a posé ses pieds, il est le plus grand des deux, il faut qu'il se déplie. Puis, Tom pose les siens, encerclant ainsi Gilda, elle s'est installée entre eux deux. Logiquement, elle adopte la même attitude et Lubitsch filme un court plan où les trois paires de jambes se croisent et s'unissent annonçant le destin des personnages.

Ce destin est simple, après s'être copieusement engueulés les uns les autres (un rapide tour sur le quai de train lors d'un arrêt les requinque), George, Tom et Gilda s'installent tous les trois dans le minuscule appartement des deux garçons. Deux petits garçons qui se comportent souvent comme tels, chacun dans leur petite chambre. Gilda leur propose un « gentlemen's agreement », c'est-à-dire « pas de sexe ». Pied de nez de la part de Ben Hecht (le scénariste) et Ernst Lubitsch au code Hays et à la censure pudibonde, rien que d'entendre le mot « sexe » c'est déjà en faire.

Mais avant de les rejoindre, elle doit quitter son protecteur Max Plunkett (Edward Everett Horton), célibataire endurci et homme d'affaires, son employé également, Olga dessine pour lui des publicités. Plunkett veille au grain de sa protégée et veut chasser George et Tom en les sermonnant l'un après l'autre. Son longue tirade sur la moralité est le biais par lequel les deux amants de Gloria comprennent qu'elle pratique le ménage à trois, à leur insu. Elle est soulagée que Plunkett ait lâché le morceau.

Le choix de Miriam Hopkins pour incarner une femme aussi libre que Gilda est génial. Elle n'est pas une femme fatale comme Marlene Dietrich (Ange), une dure à cuire comme Greta Garbo (Ninotchka) ou une forte tête comme Claudette Colbert (La Huitième femme de Barbe Bleue). Gilda, avec sa bonne bouille et son franc parler, incarne l'indépendance et elle entend bien en profiter au maximum : elle travaille, elle couche avec qui elle veut, elle décide de son avenir. Ce qui intéresse Lubitsch n'est pas la vie de couple mais comment il se fait et se défait.

Elle mène la barque dans le ménage à trois. Elle promet de punir ses petits amis pour qu'ils apprennent à bien peindre et à bien écrire une pièce (la tirade de Plunkett deviendra une réplique de la pièce de Tom). Elle choisit de vivre avec George avant d'expédier Tom à Londres. Avec une grande délicatesse dans son ellipse, un bus annonce le succès de la pièce depuis 10 mois, Ernst Lubitsch montre l'avancée du temps. Séparés, ils deviennent riches et bourgeois, finie la mansarde dans les quartiers populaires.


C'est avec le même genre d'ellipse que Lubitsch annonce le mariage entre Plunkett et Gilda, ils mesurent un lit double place. Mais la vie de femme sans emploi, faite de mondanités n'est pas plaisante pour elle. Les deux garçons qui se sont rabibochés et vivent désormais ensemble, comme au bon vieux temps du célibat, reprennent la charge pour surprendre Gilda dans son immense maison et proposer à nouveau un ménage à trois, évidemment en gentlemen's agreement, comme au bon vieux temps et personne n'est dupe dans cette ironie d'une immense jouissance que la moralité prônée par Plunkett ne sera pas de mise dans le trio.





















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