Je
n'avais pas vu Valérie Dréville dans un film depuis La
Sentinelle en 1992, l'un de mes films préférés et socle de ma
cinéphilie. Arnaud Desplechin la dirigeait avec Marianne Denicourt,
notamment dans cette scène merveilleuse du duo des chats. Et si
Suite armoricaine était une suite de La Sentinelle, 24
ans plus tard, une variation comme Trois souvenirs de ma jeunesse
l'était avec Comment je me suis disputé ? Valérie
Dréville passe de l'autre côté du banc, elle n'est plus une
étudiante thésarde comme s'amusait à les dépeindre Desplechin
(jusqu'à se faire accuser par une partie de la presse d'être un
cinéaste incapable de parler d'autre chose), elle est dans le film
de Pascale Breton une prof de fac, Françoise de son prénom, qui
revient à Rennes vingt ans après avoir quitté la ville et être
allé s'installer à Paris.
Cela
suffirait pour évoquer l'un des meilleurs films vus ces derniers
mois, pour aller découvrir la douceur avec laquelle Françoise mène
ses cours d'histoire de l'art, cette manière dont elle montre sur
son écran les tableaux de Poussin. La précision des descriptions et
la limpidité de son discours sont aussi passionnants que ceux de
National gallery de Frederick Wiseman. Avec cette même
douceur, elle parle, entre les cours à son amant Sven, laissé à
Paris. On ne le verra jamais, on n'entendra que sa voix qui ne cesse
de psychanalyser Françoise, de comprendre pourquoi elle est revenue
sur sa terre natale, pourquoi elle a loué un appartement au lieu
d'une chambre d'hôtel. Il n'a pas compris qu'elle a entamé un
processus irréversible où elle a décidé de se séparer de lui.
Elle-même ne l'a pas compris qu'elle se séparait de lui.
Françoise
ne se souvient pas de son passé, ou plutôt elle a rejeté des pans
entiers de ses vingt ans. Le générique de Suite armoricaine
est composé d'images d'archives des combats menés par les Bretons
(la lutte pour sauvegarder Plogoff par exemple) que le génération
de Françoise n'a pas connu, cette génération ne s'intéressait
qu'au rock. Une photo en noir et blanc ravive le souvenir de cette
période. Cette image séminale irrigue toute la fiction qui se
décline en chapitres, qui suit les mois d'octobre à mars, de
l'automne au printemps. Françoise a six mois pour recouvrer tous ses
souvenirs, pour refaire sa vie à Rennes, pour retrouver les traces
laissées par son grand-père, guérisseur de peurs sur lesquels deux
étudiants très sérieux veulent écrire. Rien que l'intitulé de
leur thèse est un roman en soi, énoncé entre deux phrases en
breton.
Dans
mon hommage à Rivette le mois dernier, j'écrivais que peu de
cinéastes étaient ses enfants spirituels. Je crois bien que Pascale
Breton en est. Cette photo est le point de départ d'une énigme,
d'une voyage que fait Françoise à travers la ville et les bâtiments
de la fac de Rennes. Elle croisera ses anciens amis restés en
Bretagne, Stéphane (Yvon Raude) devenu le chef de la bibliothèque
universitaire, la grande Catherine (Catherine Riaux) qui vit en haut
d'un immeuble qui tremble (scène impressionnante et surréaliste) et
qui semble avoir perdu la raison, comme le dit Stéphane, John Le
Scieller (Laurent Sauvage), désinvolte et éternelle rock star qui
débarque en plein colloque sur les atlas médiévaux et enfin Moon
(Elina Löwensohn), devenue SDF. Le film avance comme un jeu de
l'oie, en suivant un parcours sur lequel les personnages n'ont pas de
prise.
En
parallèle aux déambulations nocturnes (dans la ville) et diurnes
(dans l'université) de Françoise, on croise Ion (Kaou Langoët),
jeune étudiant aux cheveux en pétard. Il commence ses études,
s'est inscrit en cartographie et tombe amoureux de Lydie (Manon
Evenat), étudiante aveugle. Ion fait le contraire de Françoise, il
déambule la nuit sur le campus et circule en ville le jour où il
croise un groupe de SDF qui s'incruste dans sa chambre universitaire.
Le personnage est mystérieux, se dévoile peu aux autres, seule la
mise en scène de Pascale Breton qui revient légèrement en arrière
dans le récit, redistribue les subjectivités permet de comprendre
quel lien secret lie Ion et Françoise. C'est moins la résolution de
l'énigme qui passionne dans Suite armoricaine que la variété
des indices, la somme des émotions et l'impression de n'avoir pas vu
un film aussi singulier depuis bien longtemps.
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