jeudi 31 janvier 2019

J'ai aussi regardé ces films en janvier


Glass (M. Night Shyamalan, 2018)
J'avais aimé The Visit, j'avais aimé Split, j'aurais dû aimer Glass mais je n'ai rien compris à ce film interminable. Comme quoi. Je suis bien sûr content de revoir Bruce Willis dans un grand rôle où il peut enfin jouer, montrer l'étendue de son art dramatique (contrairement à Death wish), c'est-à-dire jouer de toutes les expressions de son visage. C'est pour moi toujours un réel plaisir de le voir tourner les yeux en douceur pour exprimer largement plus que s'il avait donné quelques répliques et quelques coups de poing. C'est d'autant plus frappant que Samuel L. Jackson procède de l’apathie et James McAvoy de l'explosion de son corps (il ne s'agit pas ici de cabotinage, c'est plus subtil), un corps qu'il se plaît à montrer à moitié nu au fil de ses transformations – encore plus fort que dans Split, comme une performance artistique extrême. Trois hommes, trois acteurs dans des postures différentes, c'est engageant mais au bout d'un moment, dès qu'ils sont réunis dans cet asile de fous digne de celui de la série Teen Wolf, tout se complique pour moi : les explications pleuvent. C'est encore plus pénible que de voir Mark Wahlberg se battre contre le souffle des arbres dans Phénomènes (non j'exagère, rien n'était plus pénible que ça, à part le fils de Will Smith dans After Earth). Trop de psychologie comme dans ses films d'avant, très peu pour moi. Les hitcocko-hitcockiens vont adorer.

Doubles vies (Olivier Assayas, 2018)
L'une des choses les plus intrigantes du film réside dans les repas que prennent régulièrement les personnages. Ils ne mangent jamais sur des tables mais posent leurs assiettes sur leurs genoux. Etonnant, non ? J'imagine qu'il y a un sens là-dessous, je ne l'ai pas décerné. Sinon, c'est un film bizarre avec des dialogues totalement éloignés du tout venant du cinéma français, on va dire, intello. Olivier Assayas place dans la bouche de ses acteurs et actrices (tous très bons) ce qui semblent sortir d'une conférence sur le livre numérique. Le décalage fictionnel est troublant, parfois bancal quand ça enfonce des portes ouvertes mais il tente de créer quelque chose d'un peu inédit. Ouais, c'est pas mal, ça change.

Comme l'an dernier, je ferai un point sur les comédies français (en vérité ce sont des films comiques) qui sortent toujours en ces temps froids d'hiver : je compte bien voir le fleuron des films soutenus par le CNC avec de la bonne star franchouillarde dedans, Mais qu'est-ce qu'on a encore fait au bon dieu ?, Nicky Larson le parfum de Cupidon, All inclusive et parait-il une suite à Tanguy.

Green book (Peter Farrelly, 2018)


La grande nouveauté dans le cinéma des frères Farrelly n'est pas que Peter soit seul à la mise en scène (peu importe que Bobby soit absent) mais que Green book soit le premier film d'époque et en costumes, les Etats-Unis de 1962, celui des débuts de la présidence de JFK et de son frère Robert, alors Attorney General soit ministre de la justice (l'un des ressorts les plus dramatiques du film repose sur un appel téléphonique à « Bobby », la bête noire des Démocrates ségrégationnistes de la Christian Belt.

C'est dans cette riante contrée que se rendent Don Shirley (Mahershala Ali) et Tony Vallelonga (Viggo Mortensen). Un pianiste renommé, mais pas de jazz, entendons-nous bien, du classique de chez classique et un rital vivant de coups foireux. Comme d'habitude chez Farrelly, frères et en solo, c'est un duo qui est le moteur unique du film et c'est leur rapport qui fournit le combustible pour ce moteur. Ce combustible est à la fois fusionnel et conflictuel, dans tous leurs films de duo c'est le cas (Dumb and dumber, Fous d'Irène, Deux en un), le tout dans un road movie en slow motion.

Faut bien l'avouer, la présentation des deux personnages est laborieuse. Pour moi, il faut d'abord croire que Viggo puisse facilement jouer un bon gros rital pas futé, surtout quand il est entouré de « gueules » plus vraies que nature (ça a toujours été la grande force des Farrelly de trouver des corps différents et de les intégrer au milieu des stars). La première rencontre joue sur des effets dramatiques exagérées (non, je veux pas travailler pour vous, oh finalement si je veux bien parce que j'ai une famille).

On se farcit quelques lieux communs sur les ItaloAméricains (forcément vulgaires, peu éduqués, passant leur temps à bouffer des aliments fort peu élégants) et Don semble aussi là pour renverser la vapeur (le film se concentre bien plus sur Tony que sur Don, on reste dans la vision Blanche), pour refaire toute l'éducation de son chauffeur, lui apprendre à écrire, à bien parler et rester poli et à apprécier le raffinement). Inversement, Tony montrera à Don que manger du poulet KFC avec les doigts peut être un plaisir aussi grand qu’apprécier du Brahms.

C'est cependant la partie documentée du film qui est la plus féconde car elle s'apparente à un film d'horreur, l'équivalent policé de Get out de Jordan Peele. Au fur et à mesure que Don découvre le sud profond, lui qui vit à New York dans un si bel appartement si finement décoré, un mélange rococo et primaire, comme le duo que Don et Tony forme, le monde devient de plus en plus fermé, il se rétrécit sur eux. Ils suivent les recommandations du Green Book, un guide destiné aux Noirs qui voudraient voyager dans ces états ségrégationnistes. Bienvenue au moyen-âge.

Don Shirley va pourtant chez des gens cultivés qui apprécient le classique, mais il subit les interdits. Aller aux chiottes c'est dans une cabane au fond du jardin, manger c'est dans les cuisines avec les domestiques tous Noirs, dormir c'est dans des hôtels miteux. Le pompon est dans cette ville où un couvre-feu est imposé aux Noirs la nuit, ils n'ont pas le droit de circuler (d'où le coup de fil évoqué plus haut). En revanche, le film évacue un peu vite l'homosexualité de Don uniquement évoquée dans une scène bâclée, comme si ça n'apportait pas quelque chose à la fiction.

mercredi 30 janvier 2019

La Zizanie (Claude Zidi, 1978)

La Zizanie est l'un des rares cas dans la carrière de Louis de Funès où son univers comique est confronté à une femme, jadis Bourvil, Montand, Galabru, Coluche, le voici face à Annie Girardot mais dans un couple. Contrairement à son habitude, Guillaume Daubray-Lacaze tutoie son épouse Bernadette. Ça m'étonnait toujours dans Les Aventures de Rabbi Jacob que Louis de Funès vouvoie Suzy Delair, Monsieur et Madame Pivert. On a beau se tutoyer, on dort dans des lits séparés, mais cela entrera dans la fabrication du comique de La Zizanie.

Cette intimité qu'a le couple Daubray-Lacaze (d'ailleurs lui est Daubray, elle Lacaze entend-on lors de l'élection), cette complicité va être mise à mal par la crise économique. Finies les années glorieuses de l'ère Pompidou dont Claude Zidi se moquait dans ses films avec les Charlots, voici désormais la mondialisation. Pour vendre sa camelote, soit un robot qui doit dépolluer, Daubray crée dans sa commune, un bon bourg dont il est le maire, une pollution intense. Il fait cramer des pneus dans son usine pour montrer à ses clients combien ses machines fonctionnent bien.

Les clients sont Japonais, on enfile deux trois clichés (sur leur manie de prendre des photos de tout). Dans L'Aile ou la cuisse, Louis de Funès critique culinaire découvrait la cuisine japonaise, dans La Zizanie, Annie Girardot ainsi que sa cuisinière se grime en geisha et on mange japonais, histoire de bien amadouer ces clients potentiels. Certes Guillaume n'est pas ravi que le repas éclipse la signature des contrats, mais il a sa parade. Au lieu du saké, il fait boire du calvados au moment du trou normand « cul sec » crie Annie Girardot avec sa voix stridente.

Cette voix si particulière de l'actrice est l'atout comique de La Zizanie. Louis de Funès en fait certes des tonnes mais Annie Girardot pour donner dans le ton n'est pas mal non plus. Ses variations vocales vont de la plus grande douceur, dans la chambre à coucher elle doit calmer son époux stressé « tu n'as qu'à compter tes ouvriers », au hurlement sec « sabotage » quand son époux de maire pense pouvoir l'empêcher de se présenter aux municipales en prétendant ne plus avoir de formulaire pour les candidats.

Comme dans L'Aile ou la cuisse, Julien Guiomar joue le trouble-fête dans La Zizanie. J'adore son rôle de médecin écolo avec son petit air pincé. Il débarque chez les Daubeay-Lacaze en cheval, récupère le crottin pour le jardin de Bernadette. Elle a deux jardins, un potager et une serre tropicale. Elle consacre beaucoup de son temps à ces jardins. Le film hume l'air du temps, l'écologie qui commence lentement mais sûrement à arriver dans les esprits. Bernadette, avec le médecin, se présente aux élections sous cette étiquette « défense de la nature ».

Elle ne rêve que de calme et d'espace, il n'aime rien d'autre que l'agitation et la foule. Il conspue la défense de la nature et réclame « le plein emploi » au risque de foutre en l'air son couple. La maison est occupée par la fabrication de sa nouvelle machine. L'anniversaire du mariage, les nuits (désormais dans des lits superposés), les jardins sont envahis par les machines pour un travail à la chaîne. Guillaume est ravi, il complote dans le dos de sa femme avec son larbin (Maurice Risch) à qui il demande de saboter tout ce à quoi tient Bernadette.


Depuis 40 ans que je regarde La Zizanie, je n'ai pas encore bien pu décider si le film soutenait Bernadette l'écologiste ou Guillaume l'industriel, un peu des deux. Le maire en prend un peu pour son grade dans la scène du bal à l'hôtel Au lion d'or. Louis de Funès porte un masque de lui-même et se fait imiter par un type sur scène. En revanche, Julien Guiomar reste, avec un génie incomparable, l'enquiquineur parfait. Moins ordure que Tricatel mais moins truculent que dans son film de Philippe de Broca avec Jean-Paul Belmondo, L'Incorrigible.




















Le Grand bazar (Claude Zidi, 1973)

Tournés en 1972 ou 1973, sous la glorieuse ère du Président Pompidou, Le Grand bazar, Tout va bien et Les Valseuses ont un point commun : le supermarché. A la fin du film de Godard & Gorin, Anne Wiazemsky et une bande de gauchistes mettaient à sac un Carrefour, au début du film de Bertrand Blier, Gérard Depardieu et Patrick Dewaere se faisaient refouler par un vigile (l'inénarrable Marco Perrin) à cause de leur tenue de hippies (cette scène des Valseuses a été tourné près de Valence dans un supermarché Mammouth que je connais bien). Chez Claude Zidi, un Euromarché (marque disparue) vient s'installer pile en face du café commerce d'Emile (Michel Galabru). Le petit commerce est en danger !

Phil, Jean-Guy, Gérard et Jean (bref, les 4 Charlots) viennent chaque matin boire un café chez ce sympathique cafetier. Accessoirement, ils jouent au baby-foot mais surtout ils partagent avec Emile la même passion pour la moto. Hélas pour eux, ils sont trop pauvres pour se payer la Kawasaki de leur rêve, les quatre jeunes gars habitent encore chez leur parents, dans la souriante Cité des Fleurs, enfin comme le dit le panneau publicitaire, les immeubles sont déjà des cages à lapins d'où doivent s'extirper chaque matin nos quatre compères pour aller au boulot. Jolie et inventive séquence des réveils respectifs au son de la sentence répétée par tous « alors tous les matins c'est la même chose » comme une ritournelle.

Le boulot consiste à assembler des tondeuses à gazon, symbole extrême du travail du loisir, l'homme tond son gazon le week-end, mais ils se font virer quand ils construisent une simili moto avec quatre tondeuses. Comme dans Les Bidasses en folie, une partie du film consiste à exercer de nouveaux boulots où leur incompétence fait tout capoter. Gérard vend des appartements pourris dans la cité (c'est lui qui a les meilleurs gags). Pour les trois autres c'est la routine, mais Phil s'est vu réserver un gentil gag. Il distribue des tracts que les gens froissent et jettent immédiatement. Pour attirer leur attention, Phil décide de leur donner le tract tout froissé, les gens le déplient et commencent à le lire. Astucieux, n'est-ce-pas.


Mais revenons au supermarché construit en face de l'épicerie d'Emile. Son directeur est joué par un Michel Serrault en plein cabotinage ce qui avec le jeu outré de Michel Galabru offre un spectacle légèrement supérieur aux gags visuels des Charlots constitués pour l'essentiel de maladresse causant ici ou là des désagréments pour le supermarché. Ce qui m'intéresse toujours dans ces films tournés en décors naturels, c'est voir la vie de l'époque dans les années 1970, les marques, les produits, c'est costaud les fringues, on remarque l'absence de code-barre et que les caissières connaissaient les prix par cœur. Et puis cerise sur le gâteau, un séquence de comédie musicale dans l'épicerie, chantée et dansée, Claude Zidi s'avérait plutôt doué pour le genre.



















mardi 29 janvier 2019

Gran Torino (Clint Eastwood, 2008)

Clint Eastwood fait grogner son personnage de Walt Kowalski, il lui donne un regard assassin qui met mal à l'aise quiconque ose le croise. En regardant à nouveau Gran Torino, 10 ans après sa sortie et quelques jours après La Mule, je ne peux pas m'empêcher de penser que ce Walt est le personnage le plus antipathique incarné par Clint Eastwood. Pendant 10 ans, c'était le dernier personnage qu'il ait joué, et on avait aimé cet homme bourru, raciste sur les bords et volontiers patriotique, cet ancien de Corée, ce catholique athée qui n'allait à l'église que parce que sa femme l'obligeait.

En fin de film (tant pis pour ceux qui ne connaissent pas la fin de Grand Torino), Walt mourait sous les balles de petites frappes, tout se terminait pas un enterrement, la lecture du testament du défunt et un long plan fixe où la Ford Grand Torino 1972 conduite par Thao (Bee Vang) le protégé de Walt roulait au bord d'un lac ensoleillé sur une chanson lente et lancinante composée par Clint et son fils Kyle. Presque une image pieuse. Laisser mourir son personnage était logique et aucun fan de Clint n'imaginait que ce serait sa dernière apparition au cinéma, jusqu'à Earl Stone ce papy indigne mais plus jovial que Walt.

La constance quasi masochiste qu'a Clint Eastwood à s'offrir des personnages de connard fini laisse chaque fois pantois. Walt est un exemple patenté de père intransigeant. Ses deux fils sont des adultes, des pères de famille, mais il les traite comme des gamins et pire comme des renégats parce que l'un vend des voitures japonaises. Walt lui a travaillé toute sa vie pour Ford, la marque américaine par excellence. Il ne lui reste que son chien, un gentil toutou, sa vieille maison où il se met à la terrasse pour s'enfiler des bières et manger du bœuf séché. Il envoie paître son fils et sa belle-fille quand ils veulent le mettre en maison de retraite.

Dans La Mule, il convoquait sa fille Alison qui joue la fille de Eart Stone. Dans une courte scène de Gran Torino, la jeune voisine Sue (Ahney Her) se promène avec un jeune gars dans un quartier où les terrains vagues abondent. Ils se font alpaguer par trois gars qui les malmène. Le jeune gars tente vainement de s'interposer, en reprenant le langage des trois autres. Walt arrive dans sa camionnette, intervient puis traite le blanc-bac de « pussy » mauviette. Or ce jeune blondin est joué par Scott Eastwood, le fils de Clint, il débutait au cinéma et prenait alors son nom de naissance Scott Reeves. Ça doit faire quelque chose de se faire traiter de pussy par son père au cinéma.

Walt est un vieux grigou qui ne comprend que ceux qui parlent la même langue que lui, comme son coiffeur barbier (John Carroll Lynch). Ils ont établi une conversation sarcastique faite d'insultes mais ils sont sur la même longueur d'ondes. Le jeune curé (Christopher Carley) pige rien. Il croit bien faire en l'appelant par son prénom, mais Walt répond immanquablement que le curé doit lui donner du « Monsieur Kowalski). La beauté du film est dans ce mouvement de balancier qui fait se rapprocher inéluctablement ceux qui se regardaient quelques jours plus tôt en chiens de faïences, mais surtout le petit curé gagne la confiance de Walt quand il s'y attend le moins.

C'est précisément le cas avec Thao et Sue. Pour le jeune homme de la communauté Hmong installée dans le voisinage de Walt, Thao est un moins que rien et Walt prend un plaisir non feint de toujours se tromper dans son prénom. Pour Sue, la grand sœur de Thao, les rapports sont immédiatement chaleureux, c'est elle qui surnomme Walt Wally, ce qui a le don de l'énerver. Dans tout le film, ces noms trouvés, échangés, rapportés, rapiécés auront leur importance dans la mise en scène des rapports, dans l'évolution des échanges entre Walt et ceux qui l'entourent. L'acclimatation entre les Hmongs et Walt est du même ordre qu'entre les Mexicains et Earl dans La Mule.


C'est tout de même étonnant, pour ne pas dire contradictoire, d'avoir une bagnole rutilante et de se priver de course poursuite, de la laisser dans son garage, à la limite de la sortir sur le chemin à côté de la maison. La Gran Torino c'est la voiture de Starsky et Hutch, les flics les plus populaires de la télé américaine des années 1970. Mais je vois plutôt la voiture comme une représentation du cinéma de Clint Eastwood, le cinéaste a mis en scène son premier film Play Misty for me en 1971, la Gran Torino date de 1972, 37 ans de cinéma où Clint Eastwood prend soin de bien entretenir sa légende d'homme rugueux au cœur tendre.