jeudi 30 novembre 2017

J'ai aussi regardé ces films en novembre

Le Musée des merveilles (Todd haynes, 2017)
En deux films, après Carol, Todd Haynes aura donc exploré 50 ans de New-York. 1927, l'arrivée du cinéma parlant, en noir et blanc, belle tentative de supprimer les dialogues pour faire tout passer par les images avec Julianne Moore en variation de Lilian Gish qui jouerait dans une variation du Vent de Vistor Sjöström. Les répétitions des gestes et comportements des deux enfants à 50 ans de distance trouvent évidemment tout leur sens dans la grande scène finale, mais elles sont vite roboratives. Ma préférence va aux scènes de 1977, une ville grouillante et colorée dans une très belle reconstitution de New-York. J'aime beaucoup l'amitié naissante entre les deux jeunes garçons dans le Muséum au bord de Central Park, une amitié toute en douceur où les regards des deux enfants sont emplis de trouble amoureux. Je rêve de voir cette immense maquette de New-York dans le Queens Museum. Mais vivement que Todd Haynes revienne au New-York contemporain.

Battle of the sexes (Valerie Faris & Jonathan Dayton, 2017)
Les films sur le tennis se suivent et ne se ressemblent pas. Comme dans Borg McEnroe, Battle of the sexes évoque une vie cachée, celle de l'homosexualité de la joueuse de tennis Billie Jean King (évidemment une histoire vraie) qui va affronter un gros macho. Le duo de cinéastes prend tellement de précautions de gazelles pour enrober le sujet, qu'il étouffe sous l'emballage. Une couche de féminisme, une couche de reconstitution, une couche de politique, une couche de sport, une couche de romance etc. Le paquet est très gros (120 minutes quand même) et ce qu'il contient provoque de la frustration.

Marvin (Anne Fontaine, 2017)

Dans l'une des scènes clé du film, le papa de Marvin écoute dans l'autoradio Marvin Gaye « What's Going On », expliquant sans aucun doute pourquoi Marvin est devenu gay. Tout le reste du récit est à l'avenant, l'enfance dans le ch'Nord avec comme seul repas des frites et comme seule boisson du pastis, la découverte de Paris et de ses recoins interlopes, la tentation de réussir en couchant. Mais pourquoi tout expliquer ?

Sur quatre films français-es

Elles s'appellent Maryline, Nathalie, Neïla ou Diane, elles sont toutes les quatre des femmes françaises filmées par des hommes.

Maryline (Guillaume Gallienne, 2017)
Guillaume Gallienne poursuit son chemin dans le passé, après son autobiographie normative, le voici au milieu des années 1980 dans une histoire de comédienne à moins que ce ne soit d'actrice, vaguement inspirée par le destin de Maryline Even. Comme dans Les Garçons et Guillaume à table, ce qui pêche dans ce nouveau film c'est encore et toujours une incapacité à donner le bon rythme, à la fois trop lent et trop elliptique, tout tombe à plat et tout est expliqué. Une telle absence de confiance dans le spectateur, donc dans le cinéma, ne pouvait mener qu'à une seul résultat : tout sonne faux. Mais cette fois, les spectateurs ne vont pas voir Maryline, ils ont compris l'arnaque. Seule Vanessa Paradis en clone de Jeanne Moreau est à sauver, tous les autres jouent comme au théâtre.

Jalouse (Stéphane & David Foekinos, 2017)
Jalouse met en scène Karin Viard dans le rôle de Nathalie, professeur exemplaire mais qui un jour commence à détester tout le monde. Le problème du film des frères Foekinos est différent de celui de Gallienne. Plutôt que d'écrire un scénario (comment une mère gâche l'avenir de sa fille), ils semblent vouloir exposer toutes les facettes du problème qu'est la jalousie, c'est le cas typique du film gimmick, du film pitch, du film slogan. Pas de réelle méchanceté chez Nathalie, elle n'est pas Tatie Danielle et une construction dramatique tirée des films hollywoodiens du même tonneau, avec une fin interminable sur la rédemption et forme de leçon de morale. Alors évidemment, je suis content de retrouver Bruno Todeschini, mais ça ne suffit pas.

Le Brio (Yavn Attal, 2017)
Camélia Jordana vs Daniel Auteuil, ça donne la beurette de banlieue face au prof de la fac d'Assas. Christian Clavier ne devait pas être disponible pour jouer cet homme un peu raciste sur les bords et plein de morgue qu'il va ravaler en devenant le Rex Harrison de ce My fair lady version 2017. Disons que c'est nettement mieux que Ils sont partout, le précédent film d'Yvan Attal mais ça n'était pas difficile. Là encore, l'impression de voir un film pitch à la dialectique moins élaborée que les discours de Daniel Auteuil. Quel sera donc le prochain sujet du film d'Yvan Attal et surtout sur quelle communauté ?

Diane a les épaules (Fabien Gorgeart, 2017)

Diane est enceinte, elle part toute seule à la campagne. Elle fait une GPA, cette chose honnie par Sens commun et La manif pour tous. Car Diane porte l'enfant d'un couple de mecs et à la campagne elle rencontre un maçon portugais. Clathilde Hesme est fortiche en espièglerie, elle joue très bien la femme un peu pénible mais très attachante. Des quatre films, c'est le meilleur, il déploie une certaine modestie, un tempo mesuré pour traiter les neuf mois de grossesse, l'impatience des futurs papas, les amours naissantes avec cet inconnu.

mardi 28 novembre 2017

Vivre ensemble (Anna Karina, 1972)


Le même ami admirateur d'Anna Karina qui m'a permis de voir Chaussette surprise m'a prêté son DVD de Vivre ensemble. Là, la belle Anna n'est pas seulement actrice mais aussi réalisatrice. En 1972, alors que sa carrière de cinéma se raréfie, au moins en bons films, dans sa période post Godard, la seule femme cinéaste en France est Agnès Varda (et encore à cette époque, elle est aux USA) et j'imagine que ça n'a pas dû être facile de tourner Vivre ensemble.

C'est sans doute pour palier un budget riquiqui, qu'elle a choisi de ne tourner que dans une minuscule chambre de bonne (en fait un décor en carton dans un recoin de son appartement de Saint-Germain-des-Prés, comme elle le dit dans le bonus du DVD). L'image reste granuleuse, quelques poussières restent collées au bas du cadre, j'avais l'impression de retrouver les images de ces films du début des années 1970 sans que le ripolinage colorimétrique ne soit appliqué. Quelle chance.

Le film commence avec Alain (Michel Lancelot, journaliste, Vivre ensemble sera son unique film) et un de ses amis. Ce dernier, un gros balourd, lit Playboy, se complaisant sur les photos dénudées tandis qu'Alain prend une douche. Alain est professeur de géographie dans un lycée des quartiers chics. Il a sa routine quotidienne, déjeuner au bistrot à midi et le soir, il retrouve son épouse Sylvie qu'il trompe sans même se cacher. Elle va vite le quitter. C'est en se promenant avec son pote qu'il croise à la terrasse d'un café Julie que joue Anna Karina.

Je dois avouer que je ne l'ai pas tout de suite reconnue. Je n'ai vu aucun de ses films post-Godard et son physique a un peu changé, mais le sourire est toujours là. Elle n’apparaît pas en vamp mais au contraire, c'est le naturel de ses tenues, simples débardeurs, cheveux en fil, maquillage typique de l'époque. La comparaison avec son visage jeune en photo sur le mur de sa chambre est ineffable. Pour résumer, cette demoiselle Julie est une baba cool, une soixante-huitarde un peu attardée (le film appuie sur les affiches de Mai 68).

Elle vit de rien, elle se prostitue parfois, elle aurait été mariée jadis et aurait un appartement à New-York. Ses amis sont bruyants, ils fument des joints, ils sortent en discothèque. Alain, qui s'installe chez elle, ne supportent pas ces gens, il le fait remarquer en faisant la gueule. Mais il reste, il quitte son travail, il quitte sa femme, il abandonne ses habitudes bourgeoises pour adopter, petit à petit la vie de Bohème de Julie. Dans un mouvement inverse, Julie devient plus sage, prend un travail de vendeuse et tombe enceinte.


La construction de Vivre ensemble est très simple, en 6 chapitres annoncés par des beaux cartons colorés écrits par Jean Aurel. Au milieu du film, le couple s'envole pour New-York. C'est extraordinaire de voir à quoi ressemblait le quartier de Harlem en 1972, une sorte de bidonville, des buildings en ruine mais aussi des néons partout, des manifs contre Nixon, le bruit de la ville. Ce film unique, plein de mélancolie et parfois de fulgurance burlesque, est l'unique bébé d'Anna Karina, sa revanche sur la Nouvelle Vague.




























lundi 27 novembre 2017

Chaussette surprise (Jean-François Davy, 1978)

« C'est l'histoire de trois couples qui ont un accident de voiture, les hommes passent un mois à l'hôpital et les femmes, pendant ce temps, s'émancipent ». Chaussette surprise est une magnifique bizarrerie d'une loufoquerie constante et libertaire que j'ai vue cet été. C'est l'un de mes amis, le plus grand fan que je connaisse d'Anna Karina, qui m'a habilement suggéré de regarder ce film. C'est justement Anna Karina, lunettes sur le nez, manteau rouge (sa couleur dans le film) qui ouvre le récit. Son mari, Bernard Le Coq est un sacré inventeur qui teste sa chaussette d'évacuation. Bien commode en cas d'incendie ou d'accident pour sauver les gens.

Dans la rue, un badaud observe avec admiration cette expérience réussie. C'est Rufus, brocanteur lunaire qui collectionne les boîtes de camembert. Il est marié avec Bernadette Lafont, clope au bec, elle est multi-tâche, elle repasse, prépare le dîner et répond au téléphone, magnifique de vulgarité dans son pantalon motif léopard. Mais attention, elle a beau être un peu frivole, c'est une tête, d'ailleurs, elle participera à un jeu télé animé par Lucien Jeunesse. La spécialité de Bernadette, c'est les poissons, elle les connaît tous sur le bout des doigts. Rufus et Bernadette ont deux enfants, la grande fille est jouée par Agnès Soral.

Le dernier couple du film est composé de Christine Pascal et Bernard Haller. Elle est dans le cinéma. Ce qui implique trois choses. Pour gagner sa vie, elle est caissière dans un cinéma du Quartier Latin ou fait des postsynchronisation de films porno, un domaine que Jean-François Davy a bien connu. Son ambition est d'être comédienne, elle va passer une audition d'un film réalisé par Henri Guybet. Bernard est un artiste qui passe son temps à écrire le scénario d'un film (c'est lui qui à la fin de Chaussette surprise trouve l'idée du scénario que l'on vient de voir). En attendant, il fait une publicité pour un chapeau à lapin pour la télévision.

Ces trois couples se croisent par hasard au coin d'une rue dans un accident de voitures. C'est une construction en gigogne, à la marabout de ficelle, qui entame le film. Aucun de ses trois hommes et trois femmes ne se connaissaient avant que les deux Bernard et Rufus se retrouvent à l'hôpital avec un quatrième acolyte, Michel Galabru, le personnage le plus solitaire et le plus mélancolique. Il se trimbale avec une grosse télé sur les bras, télé qui sera gravement amochée dans l'accident de voiture, et qui mérite encore plus de soin que lui-même. Ils seront dans la même chambre d'hôpital, surveillés par une chef de service acariâtre (Micha Bayard) et soignés par un médecin strict (Claude Piéplu).

Le film ne s'embarrasse guère de fil narratif grammaticalement correct (pour reprendre une expression abusive) pas plus que de cadrer vraiment les prénoms des personnages. On reconnaît tous les acteurs, largement suffisant, pas besoin de sortir les prénoms à chaque dialogue. On passe de l'hôpital avec les quatre hommes aux autres lieux, l'appartement de Christine Pascal où le fils de Barnard Haller fait que ce qu'il ne dit pas, à la maison en banlieue de Bernadette où son propriétaire en viager (Marcel Dalio) attend ses traites (Bernadette connaît au centime près ce qu'elle doit à ses créanciers) ou au bureau d'Anna Karina qui cherche à vendre le brevet de son Bernard, même s'il préfère rester pauvre mais inventif.

On parle beaucoup d'argent dans le film, tout le monde est fauché, on ne vit pas dans l'opulence, mais chacun a son petit objet fétiche dont il ne se séparerait pour rien au monde. Les camemberts (qu'un curé cherche à piquer), un train électrique, une télé, seul Bernard Haller n'est pas matérialiste, il ne fait qu'imaginer des scènes parallèles avec les gens qui l'entourent, écrivant au pied levé son scénario. La chambre d'hôpital se transforme en cour de récré, les deux Bernard sont en verve, jamais pris de court pour une facétie, pour draguer les infirmières et les faire participer à leurs jeux de gamins souriants, au grand dam du médecin obligé de siffler la fin de la récré.


La subtile patte de Jean-Claude Carrière se fait sentir au scénario. Il joue d'ailleurs un petit rôle dans le film, il tente de séduire Anna Karina. C'est un burlesque réaliste et fantasque qu'il concocte dans Chaussette surprise. D'autres acteurs et actrices viennent faire un petit rôle. Laurence Badie est la secrétaire d'Anna Karina, Romain Bouteille un dragueur, Michel Blanc un interne, ces fameux personnages sacrifiés comme le disent les deux brancardiers, cette distribution est comme une réconciliation entre la Nouvelle Vague et la comédie de café théâtre mais où la télévision viendrait rappeler que c'est elle désormais qui fait la loi.