vendredi 31 août 2018

Kid auto races at Venice Cal. (Henry Lehrman / Charles Chaplin, 1914)

Henry Lehrman et Charles Chaplin font une deuxième fois équipe dans Kid auto races at Venice Cal. Pendant 7 minutes, Charlot existe pour la première fois à l'écran, la voilà la moustache, la canne et le costume du vagabond. Il assiste à une course de voitures pour enfants. Il semble sortir du public et se dirige continuellement sur la piste. La caméra de Michael Lehrman est visible par les personnes dans le champ, ceux qui viennent assister à cette course amateur et qui ne sont pas au courant de la présence de Charlot. Un court panoramique sur la droite montre plusieurs femmes se masquer le visage, comme si elles ne voulaient pas être filmées, avant que Chaplin, cigarette au bec, n'entre dans le champ et regarde en direction de la caméra, donc du spectateur dans la salle de cinéma.


C'est un double spectacle qui a lieu ici, Chaplin joue aussi pour le public de Venice Californie. Ce public est un peu étonné de l'intrusion constante du bonhomme du champ de course, de la manière dont il accapare la caméra censé filmer la course (c'est Henry Lehrman, chapeau feutre sur le crâne, qui filme avec son opérateur). Les enfants visibles en bord du cadre sont hilares. Lehrman ne cesse jamais de le repousser quand Chaplin veut occuper le devant de la scène. Finalement, le même récit que Making a living, sauf qu'ici cette prise de pouvoir par l'image semble prémonitoire, Lehrman pensait se mettre en avant avec ses gags, il fait exploser le génie comique de Charlot. Dans le tout dernier plan, Chaplin fait une plusieurs grimaces à la caméra filmé en gros plan, comme une idole.











Making a living (Henry Lehrman / Charles Chaplin, 1914)

Le chapeau haut de forme de Charlot dans The idle class m'a rappelé que dans son premier film, il le portait déjà. Il n'avait pas encore adopté son chapeau melon, sa canne en bambou et son costume élimé. Dans ce court-métrage de 13 minutes réalisé par Henry Lehrman pour la Keystone, Charles Chaplin apparaît pour la première fois. La moustache n'est pas un simple carré entre le nez et les lèvres, elle est tombante et abondante, une vraie moustache de traître, de salaud, de voleur c'est ce personnage que Henry Lehrman lui fait jouer.

Ce dernier se donne d'ailleurs le beau rôle (l'homme au chapeau mou) et se réserve les meilleurs gags (le journaliste qui veut prendre en photo l'homme qui vient de dévaler la falaise en voiture). Chaplin lui se contente de faire quelques grimaces et de rouler les yeux. Evidemment il va plus loin que ce simple personnage, ses déplacements dans le cadre sont plus vifs, ses chutes cul par terre plus spectaculaires et quand Lehrman fait un tour du plan fixe, Chaplin a déjà fait deux tours, c'est à dire qu'il attire immédiatement l’œil du spectateur.


Il y a une histoire dans Making a living, celle de Chaplin qui veut tout piquer à Lehrman : la fiancée d'abord (grosse bagarre entre les deux hommes, splastick classique en montage champ contrechamp – sauf Chaplin qui qui tombe dans le même plan), le boulot ensuite (reporter), Chaplin expérimente sa manière de dévaler les escaliers quand Henry Lehrman le poursuit. Finalement non, il n'y a pas de récit dans ce premier film qui a dû être totalement improvisé et écrit sur la table de montage. Il est sorti le 2 février 1914.
















jeudi 30 août 2018

Charlot et le masque de fer (Charles Chaplin, 1921)

Le chapeau haut de forme ou le chapeau melon, le riche oisif ou le vagabond, deux Charlot entrent en scène dans Charlot et le masque de fer, titre français un peu stupide de The Idle class, la classe oisive. Les gens fortunés débarquent du train avec leurs beaux habits et leurs clubs de golfs reluisants, les larbins apportent un petit marche pied, ils regardent le nez bien en l'air, humant le bon air frais et filent vers leurs loisirs. Charlot, le vagabond, est également dans ce train de rupins mais pas dans un wagon. Il sort d'un coffre accroché sous les compartiments, voyageur clandestin. Son pantalon est plus rapiécé que jamais et ses clubs de golf bien usés.

Sur le terrain de golf, le vagabond est trop pauvre pour avoir sa propre balle, alors il décide d'aller jouer avec celles des rupins, ceux que l'on de voir descendre du train. Il se déplace sur le green et prend son club et tire, la colère des rupins spoliés ne fait que commencer, des coups de pied au cul sont données, des bagarres se créent mais Charlot ne prendra jamais un coup, trop malin pour passer entre les coups l'air innocent, esquivant les joueurs en colère. Mais c'est Edna (Purviance) qu'il se met à remarquer et à suivre finalement jusqu'à sa somptueuse demeure. Il s'avère que le mari d'Edna est le Chaplin portant un chapeau haut de forme.

L'époux est un alcoolique invétéré qui avait oublié d'aller chercher Edna à la gare, elle lui veut et lui demande de venir au bal de l'hôtel. Le mari est très tête en l'air, il a oublié de mettre un pantalon (ah la pudibonderie des Américains), se promenant en caleçon dans le hall, accroupi tout en faisant semblant de lire son journal (l'un des meilleurs gags du film). Autre excellent gag sur un mode pile et face, le Charlot haut de forme lit une lettre de sa femme qui menace de le quitter s'il n'arrête pas de boire. De dos, il sanglote puis se retourne et on comprend qu'il ne sanglotait pas mais se préparait un cocktail en secouant un blender.


Pour ce bal, le mari revêt une armure (d'où le titre du film) mais personne ne le reconnaît. Ainsi quand le vagabond déboule au bal, tout le monde le prend pour le riche mari d'Edna, y compris son père lui qui s'était fait piqué sa balle de golf dans la première partie du film, sans jamais voir le visage de cet homme qu'il va prendre pour son gendre, là est la précision de la mise en scène de Charles Chaplin. C'était toujours un autre joueur qui se ramassait les poings de ce père dans la figure, sous le regard du vagabond qui s'enfuyait sans jamais demander son compte trop ravi de n'avoir pas été pris sur le fait.

















mardi 28 août 2018

J'ai aussi regardé ces films en août


Le Monde est à toi (Romain Gavras, 2018)
Avec ce titre qui fait appel aux Scarface, Romain Gavras place la barre très haute mais le film m'a fait pensé à cette pseudo Nouvelle vague de jeunes cinéastes français (Gilles Mimouni, Jan Kounen, Graham Guitt, Didier Le Pêcheur) apparus au milieu des années 1990 et qui entendaient renverser la vapeur du cinéma français. Las, malgré le soutien infaillible du magazine Studio, Le film commence avec deux bonnes idées, travaillant sur le son, Poutine et les deux Mohamed attendent en silence le passage d'un RER bruyant pour attaquer l'alarme, Vincent Cassel bafouille ses dialogues absurdes. Et au bout de cinq minutes, il n'y a plus une seconde de cinéma. Le rythme est indolent avec un scénario consistant à faire des retournements de situation tous les quarts d'heure sur le mode « tel est pris qui croyait prendre ». Isabelle Adjani est très drôle en mère indigne.

Mission impossible fallout (Christopher McQuarrie, 2018)
Au beau milieu du film, un agence quelconque décide de faire atterrir un hélicoptère transportant le plus dangereux criminel du monde sur le toit du ministère des finances à Bercy pour ensuite l'emmener dans un autre. Evidemment au beau milieu de la journée quand la circulation est dense (et oui, c'est Paris). Bien entendu, le plus dangereux criminel au monde va parvenir à s'échapper car il a encore des hommes qui le soutiennent. On se demande bien pourquoi il a débarqué là au lieu d'un endroit moins risqué. Cela s'appelle un « Jump the shark » quand le scénario fait n'importe quoi pour faire de l'action. Ça fait maintenant 22 ans que Tom Cruise endosse le personnage d'Ethan Hunt mais on dirait qu'il n'a acquis aucune expérience en 6 films. Mais surtout, le film est totalement à la ramasse en comparaison des autres films d'espionnage de ses dix dernières années. A vrai dire, Tom Cruise se retrouve dans la même situation que Bruce Willis avec ses derniers Die hard, on a envie de lui : « arrête, pas à autre chose ».

Ultra rêve (Caroline Poggi & Jonathan Vinel, Yann Gonzalez, Bertrand Mandico, 2018)
J'avais déjà évoqué Ultra pulpe lors de son passage à la télévision. Je suis allé revoir, au cinéma cette fois, avec les deux autres films de cette ensemble de courts-métrages. La première chose que je puisse dire est que je suis ravi de voir des films aussi étranges en salle (hélas peu de monde dans la salle). After school knight fight, le premier, est le plus abordable, le plus simple, quatre jeunes gens qui se retrouvent à l'orée d'une forêt. Ils savent qu'ils ne vont sans doute plus jamais revoir la fille qui a décidé de partir faire ses études à Paris. Le film exprime la rétention du désir dans un calme déroutant. Les Îles, le deuxième film, vaut l'interdiction aux moins de 16 ans du programme, pour quelques scènes de nudité, dans un délice de couleurs échappées d'un film de la fin des années 1970. Un monstre au visage défiguré, un couple au bord d'une sculpture monumentale et callipyge, des garçons qui se masturbent dans un parc la nuit, Yann Gonzalez continue son exploration d'une sexualité libre et marginale dans une construction rigoureuse en trois chapitres où chaque geste, regard et baiser trouve un écho d'un chapitre à l'autre.

Mamma mia Here we go again (Ol Parker, 2018)
En tant que fan de Mamma mia (et j'ai même convaincu, il y a 10 ans, deux de mes amis les plus cinéphiles d'aller voir le voir, ils m'en veulent encore), je ne pouvais pas ne pas aller voir cette suite qui prend la forme d'un « 10 ans plus tard » et d'un flashback sur les relations des trois papas avec la maman. Ce qu'il faut d'abord dire est que les chansons qui sont interprétées dans le film sont les moins connues de Abba, en tout cas je ne les ai jamais entendues (sauf Waterloo et encore une fois Dancing Queen), bref c'est les soldes. Ensuite, Meryl Streep ne joue pas dans cette suite, sordidement, son personnage est annoncé comme décédé par sa fille. Enfin pour être juste, Meryl Streep vient faire un coucou en fin de récit, tel un fantôme qui vient surveiller sa fille. Enfin, tout ce qui pouvait m'attirer dans Mamma mia est absent dans Here we go again, c'est à dire l'esprit camp, queer, pansexuel, l'atmosphère franchement vulgaire, tout ça a disparu. Pas un seul bout de peau est découvert, aucune sensualité, encore moins de sexualité, même Colin Firth n'est plus gay et rien dans son flashback ne laisse penser qu'il l'est. C'est dire qu'en 10 ans la pudibonderie a gagné du terrain à Hollywood. SAD !

lundi 27 août 2018

A la hauteur (Clyde Bruckman, 1930)

Le deuxième film parlant de Harold Lloyd est mieux conçu que Quel phénomène mais c'est pas encore une réussite. L’acteur producteur poursuit ses gags tirés du muet, un plan serré montre une chose un plan large contredit le plan précédent. Premier exemple, Harold aide une femme à choisir des chaussures, la caméra fait un travelling arrière, les jambes sont celles d’un mannequin d’osier. C’est que Harold rêve de devenir vendeur chez le chausseur Tanner. Seulement voilà, il est terriblement timide et velléitaire. Ce qui pousse au deuxième exemple où cette fois il utilise un gag sonore. Harold donne un beau discours, il est fortement applaudi. Il est ensuite révélé que les applaudissements sont enregistrés sur un disque que joue un gramophone. La plupart des gags sont toujours trop longs, répétitifs, étirés jusqu'à l'excès.

Le meilleur gag de A la hauteur prend place sur un paquebot qui va de Hawaii, où commence le film, à Los Angeles. Harold est tombé amoureux de la secrétaire de son patron qu’il prend pour sa fille. Il fait donc croire à Barbara (Barbara Kent) qu’il est haut placé dans la boîte. Sans le sou, il embarque dans le paquebot. Passager clandestin, il a faim. Il invente tout un stratagème pour picorer le petit déjeuner de Barbara. Cela passe par un tour d’adresse, il montre son habileté à attraper les cacahuètes qu’il se lance (je ne suis pas certain que ce soit cet aliment), il demande même à Barbara de lui jeter ces cacahuètes comme un chien savant. Puis c'est au tour du café « saviez-vous qu’on peut le boire dans sa soucoupe » et aussi le bacon qu’il feint de donner à un toutou qui réclame pour l'avaler caché. C'est une série de passe passe amusant où il s’invente un personnage pour échapper aux quiproquos qu'il crée.


Pour s’assurer le succès Harold Lloyd revient à ce qui a fait sa célébrité : l'équilibriste qui manque de tomber de l'immeuble comme dans High and dizzy et Monte là d'ssus. Pour Harold c’est d’abord le trajet du paquebot au mur d’un immeuble qu’il doit effectuer. Fastoche, Harold est trimbalé dans un sac postal. C'est sur le mur que ça se complique. Il est confronté à un obstacle de taille, l'échafaudage de deux ouvriers qui sont sur le toit. L'échafaudage monte et descend et se cogne à Harold. Il appelle à l’aide mais personne ne l’entend sauf un commis noir (Willie Best) qui accepte de l’aider. Le portrait de ce commis repose sur une série de stéréotypes que l’on peut qualifier aujourd'hui de racistes mais devaient faire rire le public d’Harold Lloyd en 1930. Paresseux, nonchalant, long à la détente, mou, peureux, cette figure du noir aimerait bien aider Harold mais il fait tout de travers, bref un grand enfant comme il apparaissait toujours dans le cinéma.