samedi 29 février 2020

J'ai aussi regardé ces films en février


Biopics à gogo, films inspirés de faits réels, d'après une histoire vraie. Cette deuxième quinzaine de février parle de la vraie vie mais au passé.

Dark Waters (Todd Haynes, 2019)
Le meilleur des quatre films est Dark waters de Todd Haynes. Retour dans les années 1990, l'ère Bill Clinton avec un film dossier qui n'est pas sans rappeler Promised land de Gus Van Sant. La différence majeure est que Mark Ruffalo veut défendre les gens intoxiqués par la pollution d'un géant de l'industrie, cité dans le film la société DuPont de Nemours. Matt Damon cherchait lui à arnaquer les paysans avec son gaz de schiste. Le film de Todd Haynes montre le combat de David contre Goliath avec la prise de conscience de l'avocat qui change de camp. Filmé avec une lumière très sombre (on désigne ça comme du réalisme), le combat est haletant et révoltant comme il se doit. Il reste un peu mou et répétitif. Le plus gros défaut est le personnage d'épouse de Mark Ruffalo que joue Anne Hathaway, un rôle ingrat de bonne épouse qui se plaint de l'absence de son avocat de mari. Elle n'existe que par lui, on a un peu l'impression de se retrouver quand elle est là dans un film d'il y a 20 ans.

Le Cas Richard Jewell (Clint Eastwood, 2019)
Si j'étais un peu méchant, je dirais que le nouveau film de Clint Eastwood est le premier film de l'ère Trump. Là encore il se passe sous l'ère Clinton (on l'aperçoit un instant dans une image télévisuelle d'archive). Film Trump, ça pourrait dire que le FBI est corrompu à la solde du président qui se contente de répéter ce que les enquêteurs de l'agence lui disent de dire (tout l'inverse de ce que fait Trump depuis des mois qui dénonce la prétendue corruption du FBI). D'autant plus que ce Richard Jewell apparaît bien comme l'électeur type de Trump. Un gentil gars plein de bon sens, défenseur du deuxième amendement et fier de sa patrie et de son armée. Quant aux journalistes, ici une reporter en quête de scoop, ils ne donnent que des fausses nouvelles pour vendre leurs journaux. Il faut vraiment se pincer pour voir la scène où elle comprend combien elle s'est égaré avec un zoom abject sur ses larmes. Mais je ne suis pas méchant alors je vais dire que le film est bien raté mais j'aime beaucoup Sam Rockwell parfait en avocat trublion. Quand Jon Hamm (le sinistre type du FBI) arrive, j'avais l'impression de revoir Thierry Neuvic qui était dans Au-delà. Oui, c'est ça Le Cas Richard Jewell ressemble à Au-delà.

Judy (Rupert Goold, 2019)
On remonte le passé et on va à Londres en 1968 avec Judy Garland qui donne son dernier récital pour tenter de remonter la pente et obtenir la garde de ses deux derniers enfants. Les meilleurs moments de Judy sont bel et bien les chansons que Renée Zellweger interpète elle-même, à condition d'aimer les chansons de Judy Garland. Elle chante la chanson du trolley issue de Meet me in Saint Louis (Le Chant du Missouri) et l'actrice, comme le personnage, s'illumine. Ce biopic prend la forme récente qui consiste à n'évoquer qu'un courte période (c'était le cas du film de Pablo Larrain sur Jackie Kennedy) tout en noter qu'un moment du passé a transformé à jamais sa vie. Ici, c'est l'emprise de Louis B. Meyer sur la toute jeune Gardland à l'époque du tournage du Magicien d'Oz. Ce qu'on apprend (les pillules pour ne pas avoir ni à manger ni à dormir, les horaires délirants, la vie sociale inventée par le patron) était déjà tour expliqué dans le documentaire sur Hedy Lamarr.

Lettre à Franco (Alejandro Amenabar, 2019)
Je n'ai jamais su si la phrase de Billie Wilder, si souvent citée par Michel Ciment, sur Le Journal d'Anne Franck est authentique ou apocryphe « J'ai eu l'avis d'Anne Frank, j'aimerais bien avoir celui des nazis maintenant ». Dans Lettre à Franco, on a l'avis de tout le monde, de Miguel de Unamuno à celui de Frano, comme si on avait besoin d'avoir l'avis des salauds de l'histoire. Miguel est d'abord antipathique, obtus, borné. Franco apparaît stupide (la bouche toujours bée), manipulable (par sa femme bigote évidemment) et n'avoir pas la confiance des autres généraux nationalistes. Petit à petit, Miguel va comprendre que Franco est très méchant, surtout quand ses deux potes (un pasteur franc-maçon et un professeur communiste) avec qui il prend le café chaque jour pour longuement discuter sur la vie et le monde, se font arrêter sans sommation. Dans le même temps, Franco se révèle. C'est donc un trajet en sens inversé que le cinéaste propose avec une lourdeur invraisemblable. Le finale consiste au discours de Miguel où il dénonce Franco sous un déluge de musique sirupeuse. J'imagine que Alejandro Amenabar voulait faire son discours du Dictateur. Il vaut mieux lire l'extraordinaire bédé de Carlos Gimenez « Les Temps mauvais » édité en 2013 chez Fluide Glacial. Lui au moins ne donne pas la parole à Franco.

vendredi 28 février 2020

Lara Jenkins (Jan-Ole Gerster, 2019)


Voici le road movie le plus minimaliste du moment (je n'ai pas vérifié s'il y en a d'autres mais probablement). Dans quelques rues de Berlin et une seule journée, celle de l'anniversaire de Lara (Corinna Harfouch). Lara ne voulait pas bouger de chez elle ce matin-là, elle est en peignoir, elle fait sa petite routine, ouvre la fenêtre (je pense qu'elle voulait sauter vue la tronche qu'elle tire) pour fumer. Mais ça sonne à la porte, deux flics viennent pour la réquisitionner. « Elle est là la vieille ? » entend-on du talkie-walkie.

C'est que Lara, c'est le moins qu'on puisse dire, n'est pas vraiment la femme la plus appréciée, mais en tant que fonctionnaire à la retraite (elle a 60 ans aujourd'hui), elle fera bien l'affaire pour une perquisition. Lara Jenkins fait partie de ces personnages de film peu sympathiques, un peu pénibles, souvent exaspérants. Elle rejoint la cohorte qui comporte ceux de Gabriel et la montagne de Fellipe Barbosa, Jeune fille de Justine Trier ou Synonymes de Nadav Lapid. D'ailleurs elle porte un manteau qui ressemble à celui de Yoav, ce jaune moutarde.

Quand Lara esquisse un sourire, tente d'être aimable, ceux à qui elle s'adresse prennent plus peur que d'habitude. Elle va voir ses anciennes collègues et propose (exige pour dire vrai) de son ancienne secrétaire qu'elles se tutoient, on sent le malaise. Le film prend un malin plaisir à montrer ce malaise chaque fois qu'elle entre dans une pièce avec un sens consommé du suspense parce qu'on ne sait rien du passé de Lara. Ces trois premiers quarts d'heure dressent un portrait satirique de cette femme stricte, peu amène et solitaire.

Elle se prend quelques reproches polis mais fermes de ceux qu'elle rencontre, la fonctionnaire qui l'a remplacée, sa mère qui vit en banlieue dans un lotissement, son ancien professeur de piano, son ancien époux, la copine de son fils. Elle tente de se racheter en retirant tout son argent de son compte en ban que (encore une preuve qu'elle voulait en finir avec sa vie) et achète les derniers tickets pour le récital que doit donner son fils Viktor (Tom Schilling), un pianiste. Lara n'a pas été invitée. Mais ces tickets elle va en offrir à tous ceux qu'elle croisera dans son périple.

En métro, à pieds, en taxi, en bus. Lara change de quartier en traînant sa déprime. Les courtes discussions ne tournent qu'autour de Viktor et de ce concert. Sa mère et son ancien mari sont les plus durs. On échange des mots blessants (« ton gâteau d'anniversaire bon marché »), on se fait mal au sens propre comme au sens figuré (un claque est donnée, un archet est brisé). La tension est palpable. Au son, ce sont des accords stridents de violon que l'on entend, des mélodies sinistres, elles sont les pensées de Lara.

Le violon cède la place au piano dans la deuxième moitié du film quand Viktor entre enfin en scène. Tom Schilling joue un fils insipide, ce que l'on appelle un personnage Koulechov, il le joue à la perfection avec son air de gendre idéal. Cette figure banale et sans aspérité, ce garçon imberbe et glabre semble ne pas exister, il semble brisé par la vie, incapable d'avancer hors de l'ombre de sa mère. Tandis que l'heure du concert de cette journée qui n'en finit pas pour Lara avance, tout s'écroule comme un château de cartes.

Ce portrait de monstre que filme Jan-Ole Gerster est ordinaire, elle qui pense toujours faire le bien autour de lui mais se trompe sans cesse. Deux courtes scènes autour de leçon de piano, l'une avec l'ancien professeur de Lara, l'autre avec l'élève de Viktor, parlent de l'éducation allemande. Michael Haneke disait à peu près la même chose dans La Pianiste (que j'aime beaucoup) mais sur un ton tout autre, Jan-Ole Gerster ironise sur Haneke pour mieux s'en démarquer. La journée de Lara se finit sur un happy end de circonstance dont personne n'est dupe.

jeudi 27 février 2020

Furie (Brian De Palma, 1978)

Voir Kirk Douglas dans un film de Brian De Palma m'a toujours paru un peu incongru, moins dans Furie que dans Home movies, jamais vraiment diffusé en France et franchement bizarroïde. Furie est plus classique et démarre sur les chapeaux de roue, plutôt en nage crawlée où son personnage, Peter, nage en compagnie de son fils Robin (Andrew Stevens), tous les deux en maillots de bain. C'est sur une idée de corps puissants que Furie démarre et de grande joie de voir un père et son fils se chamailler pour savoir lequel des deux est le plus fort.

A peine ont-ils eu le temps de se reposer qu'une bande de terroristes en keffieh viennent eux aussi du fond de la mer pour tirer à la mitraillette sur tout ce qui est vivant. Un carton avait annoncé qu'on se trouvait au Moyen Orient (la séquence a été tournée en Israël). Ça tire de partout et Peter parvient à s'échapper en zodiac avant qu'une explosion ne l'élimine sous les yeux de Robin. En tout cas, c'est ce que le fils croit. Mais le spectateur sait que tout cela a été commandité par Childress (John Cassavetes) qu'on avait cru être un ami très proche de Peter.

Quelque temps plus tard, c'est une autre plage que filme Brian De Palma, celle de Chicago au bord du lac Michigan. Comme sur la plage du début, les corps sont à moitié nus, les hommes et les femmes harassés par la chaleur prennent du bon temps. Là ce sont deux jeunes femmes qui émergent de la foule des badauds, parmi elles Gillian (Amy irving) surveillée de près par un type qui détonne puisqu'il est en costume cravate par cette chaleur, un certain Raymond (William Finley) qui téléphone d'une cabine qu'il a trouvé Gillian.

La grande question de Furie reste donc de savoir ce qui lie ces deux séquences introductives au-delà de leur approche maritime et des corps exhibés. Il s'agit de faire se rencontrer Gillian et Robin, ces deux corps montrées sous toutes les coutures masquent des cerveaux hors du commun. L'idée du film est là toute bête, une bataille entre les corps et l'esprit. Car au bout d'une moment où Brian De Palma explore un certain suspense sur leur lien, on le comprend vite, Gillian et Robin sont doués du pouvoir de télékinésie.

Preuves à l'appui, d'abord avec Gillian qui fait l'expérience avec une psychiatre, la Docteur Ellen Lindstrom (Carol Rossen). Gillian parvient, sans aucun effort, à faire bouger un train miniature. Amy Irving joue ici, comme dans Carrie, une lycéenne. On a donc droit à une scène où les autres lycéennes se moquent d'elle, comme elle-même le faisait dans Carrie. Avec un effet de jump cut et de gros plans, on découvre que Gillian a aussi le pouvoir de faire saigner les gens. Brian De Palma sera si content de son effet qu'il le reproduira à l'envi dans son film.

C'est plus tard dans le film qu'on constate les pouvoirs de Robin. Contrairement à Gillian, Robin a une grande conscience de l'étendue de ses pouvoirs et de leur effet destructeur. On s'en aperçoit lors d'une fête foraine où il fait tourner la roue d'un manège jusqu'à en éjecter un siège (c'était des Arabes, Robin se venge de la « mort » de son père). Robin n'a plus besoin de toucher les gens pour les tuer et il est capable de s'élever dans les airs. Il a acquis une position de demi dieu, il est devenu une arme aux mains de Childress.

Le personnage que compose John Cassavetes est de plus en plus inquiétant au fur et à mesure du film. Brian De Palma s'amuse à la filmer en contre-plongée, son regard est d'une noirceur extrême. Son corps est abîmé, Peter dans la séquence d'ouverture l'avait blessé au bras. Avec son costume sombre, il apparaît comme le véritable monstre du film, lui qui tient prisonnier Robin dans un château loin du regard des autres. Il veut que Gillian rejoigne son prisonnier. Quant à Peter, il fera tout pour libérer son fils des griffes de Childress.


Je reviens pour finir sur le corps de Kirk Douglas, un corps athlétique. Dans sa deuxième séquence à Chicago, il est encore en caleçon, il fuit les hommes de Childress. Il fait des cascades, escalade les escaliers de secours, traverse les voies de métro, il court. Il transforme son corps pour tenter de passer inaperçu (il se blanchit les cheveux à la javel dans une des rares scènes humoristiques où il sympathise avec une vieille dame). A lui tout seul, il transforme un thriller psychologiue en film d'action, c'est vraiment étonnant.





































mardi 25 février 2020

Ikarie XB 1 (Jindrich Polak, 1963)

La jaquette du DVD édité par Capricci le dit clairement « un joyau de science-fiction qui a inspiré Stanley Kubrick ». Pour une fois, l'accroche publicitaire ne ment pas. Quel étonnement continue de voir ce film tchécoslovaque sorti en avril 2017 mais que je découvre trois ans plus tard. Ikarie XB1 n'est pas cité par Michel Chion dans sa monographie sur Kubrick ni par Piers Bizony dans « 2001 Le futur selon Kubrick » mais il y a tant se similitudes que regarder Ikarie XB1 est fascinant.

Des similitudes, on en trouve énormément dans ce voyage d'une navette spatiale, ici c'est en 2163, 200 ans après la date de tournage du film. L'équipage est international, comme dans la deuxième partie de 2001 l'odyssée de l'espace. Le cinéaste tchèque table sur l'entente cordiale entre les différentes nations qui ont conquis l'espace, Russe, Français, Tchécoslovaque, Américain, on trouve de tout, hommes et femmes qui portent tous le pantalon et la blouse.

Deux séquences frappent par leur ton. La première est celle où l'équipage fait du sport (comme le faisait Gary Lockwood en courant dans la roue de Hal). Ici tout le monde est en short et en tenue de corps pour faire du sport. Les habitants de la navette (une bonne douzaine) s'entraînent aux barres fixes, à la boxe mais les discussions continuent sur leur objectif : atteindre la planète Alpha du Centaure avec tous les problèmes qui émaillent le trajet interminable.

Pas de tenue de travail et encore moins de maillot de sport dans la deuxième séquence étonnante, celle d'un bal où les tenues de soirée sont de rigueur. La musique omniprésente dans le film cherche une modernité en jouant sur la musique à la mode en 1963. mais ce sont les pas de danse qui imposent une originalité à la scène et offre une beauté brute. Le bal sera au bout de quelques danses par l'un de ces dangers qui encombrent l'espace intersidéral.

La beauté du film est essentiellement verticale mais coupée de cercles, le décor de la navette spatiale est mise en avant d'autant plus que tout le film se passe dans cet intérieur où les murs sont parfois composés de cylindre d'eau qui font des bulles. Les néons, les lumières, les espaces obscurs abondent dans un constant système de contraste qui évoquent un danger inconnu dans un environnement futuriste mais harmonieux.

Pas de monolithe noir qui vient modifier le cours de l'Histoire dans Ikarie XB1 mais une « planète noire » qui perturbe le bon déroulement du voyage. Deux des astronautes sont victimes de radiations. C'est d'ailleurs par le visage d'un d'eux que le film commence, un regard caméra angoissé qui place immédiatement le spectateur dans un bain rempli de suspense : que se passe-t-il dans ce vaisseau ? Et surtout, vont-ils s'en sortir ?

Et les robots ne sont pas en reste. Le vaisseau spatial a une cerveau aussi intelligent que celui de Hal 9000 mais moins retors. Il est là au service de l'équipage. L'autre robot est plus classique, typique des films hollywoodiens, il est là en mode comique tant il apparaît ringard et dépassé, une technologie antique mais qui va, bien évidemment, s'avérer utile quand la super technologie ne peut plus sauver les hommes.


Reste un conflit à évoquer, celui d'une femme arrivée enceinte dans le vaisseau. Quelques disputes se créent entre elle, le père et un membre de l'équipe qui est parti sans sa femme. Mais derrière ce petit conflit, on voit en fin de film la naissance du bébé de ce couple. Le bébé filmé en gros plan n'en finit pas de rappeler celui de 2001 qui s'élève dans l'espace. Sans doute Ikarie XB1 est l'explication la plus plausible de ce bébé de Stanley Kubrick, en forme d'hommage volontaire.