Avec
le cinéma chinois indépendant, on est pratiquement toujours certain
de découvrir des contrées, lieux, endroits où le cinéma officiel
chinois n'amènera jamais le spectateur. De toute façon, ça fait
bien longtemps que plus aucun film parrainé par Pékin ne sort dans
nos salles. Jia Zhangke depuis près de 20 ans, les deux films de Liu
Biangjian, Wang Bing et aujourd'hui Bi Gan, jeune cinéaste né en
1989. La destination du jour est Kaili. Je ne connaissais pas, mais
on apprendra grâce au discours qu'apprend une future guide
touristique tout sur la ville, texte repris en écho par l'homme
amoureux d'elle. Il faudra aller voir le film pour tout connaître
sur cette ville.
Le
titre du film (« pique-nique au bord de la route » en
putonguah) arrive au bout d'une demi heure, d'ici là, il faut
essayer de récupérer des bribes d'information sur les personnages,
de remettre les pièces d'un puzzle que le jeune cinéaste se fait un
plaisir de mélanger devant nos yeux. Ce qui ressort de ces 30
première minutes est la passion de Bi Gan pour les miroirs, les
reflets, les ombres qu'il multiplie dans le cadre. Une scène est
entièrement filmée sur un rétroviseur d'une moto, ce qui réduit
considérablement le champ de vision du spectateur qui se contente de
regarder ce minuscule miroir sans prendre garde à ce qui se passe
autour du rétroviseur. Bi Gan dirige le regard du spectateur pour
mieux le troubler.
Ce
morcellement du récit est accentué par la variation sonore. Cet
homme qui tousse en début de film n'est pas mon voisin dans la
salle. Des poèmes scandent en voix off le film, écrits par Bi Gan
et récités par Chen Yongzhong, qui joue Chen, le médecin, figure
centrale de Kaili Blues qui a repris un dispensaire avec une
vieille infirmière, accrochée à son vieux transistor. Ce
morcellement reflète le délabrement de la ville et de la vie
chaotique de Chen, de son demi-frère chômeur un joueur impénitent
et de Wei-wei, un gamin de dix ans, neveu de Chen qui va être vendu
par son père à un moine. Chen décide de partir à sa recherche et
se rend dans le village de Zhenyuan où un ancien amant de la vieille
infirmière doit vivre.
Le
morceau de bravoure de Kaili Blues, à la fois inutile et
précieux, consiste en ce plan séquence de 40 minutes et des
poussières, un peu maladroit (on repère les micros sur les acteurs,
les figurants attendent le feu vert pour se déplacer). Filmé en
steadycam avec plusieurs cadreurs, comme le raconte Bi Gan dans les
Cahiers du cinéma (et non avec un drone comme je le pensais), il
fait un parcours circulaire, en moto, à l'arrière d'une
camionnette, dans des boutiques. Il suit alternativement plusieurs
personnages, un couturière (Guo Yue) qui traverse la rivière en
bateau puis sur un pont, un jeune homme, qui semble être Wei-wei âgé
(Yu Shiwue), une coiffeuse, un groupe de pop composé de lycéens qui
jouent bien faux.
Ce
plan séquence dilate et compresse le temps dans le même mouvement,
transforme des personnages dans une manière qui n'est pas sans
rappeler Lost highway de David Lynch, véritable référence
du film, bien plus que d'autres cinéastes, notamment chinois tel Hou
Hsiao-hsien. Plan séquence précieux parce qu'il ose le créer en
direct sans passer par la postproduction (loin de Birdman
donc) et fascine le regard du spectateur, mais inutile parce que le
réel des scènes décrites apparaît trop fabriqué pour justement
pouvoir répondre aux contraintes de ces 40 minutes. L'exercice de
style est certes puissant, Bi Gan veut être un formaliste important,
mais cela pose une seule question : que va-t-il bien pouvoir
faire après ce premier film ?
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