Ce
film parle d'un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas
connaître. Luc Moullet avait alors 20 ans, il était jeune critique
aux Cahiers du cinéma, encore jaunes, au beau milieu des années
1950. Les Sièges de l'Alcazar est le récit improbable d'une
aventure amoureuse entre un jeune critique aux Cahiers du cinéma et
une rédactrice à la revue Positif. Leur lieu de rencontre : le
cinéma l'Alcazar tenu par un vieux couple, Dominique Zardi est le
projectionniste et Micha Bayard fait office tout à tour de
caissière, d'ouvreuse et de vendeuse de confiseries à l'entr'acte.
L'alter-ego
cinématographique de Luc Moullet s'appelle Guy (Olivier Maltinti),
toujours vêtu pareil avec son Cahiers jaune qui dépasse de la poche
de sa veste. Il n'a pas encore la carte verte de critique et doit
payer sa place. Il demande toujours une place « première »,
la moins chère, au premier rang, avec les enfants qu'il dépasse
forcément d'au moins une tête. Les sièges ne sont pas neufs, loin
de là, Guy les nomme suivant leurs caractéristiques, Titanic est le
fauteuil qui fait glisser son spectateur. Guy, comme tout cinéphile,
a son fauteuil préféré, surnommé Castor, où il peut étendre ses
jambes de grand dadais.
Dès
que la lumière s'éteint, il commence à prendre des notes,
notamment le générique, et oui, à l'époque l'imdb n'existait pas.
Jour après jour, il va venir voir toutes les séances d'Une femme
libre de Vittorio Cottafavi, ce réalisateur italien, bien oublié
aujourd'hui mais qui fût au centre d'un culte minuscule mais très
virulent. Le film montre des extraits du film de Cottafavi, en
version française, une sorte de drame amoureux. Gare si lors de la
dernière séance, le projectionniste décide, pour se coucher plus
tôt, d'enlever une bobine au film, Guy fait intervenir la police.
L'obsession
de Guy pour ce cinéaste l'amène à penser qu'il en l'exégète le
plus important au monde. Ainsi, quand Jeanne Cavalero (Elisabeth
Moreau) entre dans la salle, s'assoit dans un siège confortable et
retire ses lunettes pour regarder Une femme libre, le sang de
Guy ne fait qu'un tour, il a peur d'elle, il craint qu'elle n'écrive
dans Positif avant que son bouquin sur Cottafavi ne sorte. D'autant,
comme sa voix intérieure le dit, à Positif, personne n'aime
Cottafavi, d'ailleurs Jeanne n'aime pas Cottafavi, dont elle apprend
à Guy, non sans mépris, la véritable prononciation.
Loin
de la nostalgie de Cinema Paradiso, auquel Luc Moullet semble
prendre le contre-pied, Les Sièges de l'Alcazar offre toute
une panoplie de détails cocasses sur le cinéma de quartier des
années 1950, la partie documentée reprend le système ludique
employé dans ses courts-métrages dits documentaires. Luc Moullet,
avec son habituel humour pince sans rire, parle de la guéguerre
Cahiers Positif, de la cinéphilie vorace, des querelles de
chapelles. Jean Abeillé, l'acteur fétiche de Luc Moullet, joue un
policier et le cinéaste un percepteur des taxes du CNC.
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