Pour
son retour aux Pays-Bas, six ans après son dernier film
hollywoodien, 25 ans après son dernier film néerlandais, Paul
Verhoeven s'attaque à un sujet casse-gueule, la résistance et la
collaboration, comme il le faisait déjà dans Soldier of Orange.
Il écrit le livre noir de la fin de la guerre, d'octobre 1944 à mai
1945, date de la reddition des Allemands, six courts mois qui
deviennent pour Rachel Stein (Carice van Houten) les plus terribles
de toute sa vie.
Pour
faire taire toute idée de suspense scabreux (la jeune femme juive
va-t-elle finir dans un camp d'extermination ?), Black book
commence douze ans plus tard, en Israël où Rachel s'est
désormais installée dans un kibboutz (en 1956, c'était des fermes
socialistes et collectives). Des touristes visitent cette ferme,
parmi eux Ronnie (Halina Reijn) qu'elle a connu à La Haye en 1945.
Elle commence à se rappeler tout ce passé que Ronnie fait surgir
avec violence. Cela lance le flash-back.
Tout
va très vite, Paul Verhoeven enchaîne les informations, les
personnages et les événements avant de plonger Rachel au milieu des
résistants. Octobre 1944, Rachel est cachée chez des catholiques,
elle est une ancienne chanteuse de cabaret, elle plaît beaucoup aux
hommes, elle ignore où se trouve ses parents et son frère. Mais
jusque là, sa vie est simple. Un bombardement va tout changer. La
ferme où elle était cachée est détruite, la Gestapo a découvert
sa cachette.
Elle
quitte la campagne pour rejoindre la ville, elle veut fuir les
Pays-Bas et retrouve un avocat, ami de son père et qui va aider
Rachel. Cet avocat note tout sur un carnet noir. La fuite s'organise,
un embarquement sur un bateau au milieu de nulle part se prépare.
Miracle, elle retrouve ses parents Horreur, des nazis arrivent, les
mitraillettes crépitent, tous les passagers est abattu comme des
chiens. Sauf Rachel qui observe un officier s'emparer des bijoux et
de l'argent des passagers.
Cette
scène où la mort surgit, où Rachel est touchée à la tête par
une balle, est la scène matrice de Black Book. Rachel semble
mourir sous les yeux de Günther Franken (Waldemar Kobus), cet hideux
officier allemand filmé en gros plan, avec son sourire de traviole,
sa joue traversée d'une cicatrice. Black book est l'histoire
des rapports entre Rachel et Franken, entre la Belle et la Bête.
C'est l'histoire de la vengeance de Rachel.
Rachel
va renaître et s'appeler désormais Ellis de Vries. Telle une
créature digne de Nosferatu, sa résurrection se produit
grâce à un cercueil. Deux croque-morts (dont Matthias Schoenhardt,
tout maigrichon dans un de ses premiers rôles) emmène son corps en
ville. Puisqu'elle n'a pas d'Ausweis, elle est cachée et maquillée
comme un cadavre atteint du typhus. La mort encore une fois entoure
Rachel, elle reviendra souvent lui rendre visite.
Voilà
l'idée de Paul Verhoeven, faire de Ellis de Vries un ange de la
mort, annonciateur des pires malheurs. Ainsi ces deux faux
croque-morts qui l'ont fait traversé le passage, seront torturés à
mort dans les caves de la Gestapo. Le petit Matthias Schoendhardt,
ensanglanté, qui s'approche d'elle quand elle fait des photocopies
de la liste des otages qui seront exécutés en représailles. Il est
à côté d'elle, elle ne peut rien dire, rien faire.
Ellis
de Vries devient la putain de la Gestapo. C'est ainsi que Kuipers
(Derek de Lint), chef d'un réseau de résistance, imagine son rôle
pour piéger les officiers. Elle se teindra les cheveux en blond pour
masquer sa judéité et séduire Ludwig Müntze (Sebastian Koch),
chef de la police allemande de La Haye. Le séduire avec des timbres
rares de la Reine des Pays-Bas. Müntze est collectionneur et a déjà
rencontrée, « par hasard » Ellis dans un train.
Comme
dit plus haut, la fin de la guerre est proche. Chacun pour soi.
Ronnie, vue en début de film, est la secrétaire de Franken avec qui
elle entretient une liaison. Ellis découvre que l'assassin de ses
parents est là. Et qu'elle va devoir travailler avec lui. Ellis a
aussi été engagée pour sa voix, elle chante et Franken
l'accompagne au piano. La scène où il vient fredonner dans le micro
à sa droite, Ellis devant garder son sourire, est l'une des plus
troublantes.
Puisqu'on
sait que Rachel / Ellis survit à la guerre, puisqu'on sait qu'elle
est un ange de la mort, Paul Verhoeven place son suspense moins la
découverte qu'elle espionne les nazis que sur le nom du traître qui
balance les noms des résistants à Franken et sur les raisons de la
traîtrise. Tout est dans ce carnet noir de l'avocat. Le cinéaste
est sur un fil tendu, funambule de l'histoire complexe de son pays,
pour parvenir in extremis à ne pas renvoyer dos à dos les collabos,
les résistants et ceux qui vont épurer les Pays-Bas.
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