jeudi 28 février 2019

J'ai aussi regardé ces films en février


Le Chant du loup (Antonin Baudry, 2018)
Celle que vous croyez (Safy Nebbou, 2019)
Chaque décennie apporte son lot de jeunes acteurs qui ressemblent au fils du voisin, un peu insipides, passe-partout, sympathiques au demeurant. Récemment ces acteurs ont été Raphaël Personnaz et Pierre Niney et aussi François Civil. Ceux qui ont une bonne mémoire (et qui allaient voir des bons films français) se rappellent que François Civil jouait un ado troublé dans Soit je meurs soit je vais mieux de Laurence Ferreira-Barbosa. Depuis, il a grandi, s'est un peu emplumé (il a aussi gagné une drôle de tignasse) et s'est fait un peu connaître. Deux films en 15 jours, c'est pas mal. Le Chant du loup a une grande ambition : faire du cinéma d'action. Mieux que cela, coincer 4 acteurs connus dans un sous-marin, les mettre sous pression et voir ce que ça donne. Résultat : un film catastrophe dès que ça touche à la psychologie de pacotille. Mathieu Kassovitz se croit dans une série télé et va sans doute découvrir qu'il est au cinéma un jour. Reda Kateb est bon et François Civil se voit doter d'une romance qui ne sert qu'à apporter quelques retournements de situation, comme si la tension, créée avec du son – là le film est fort – n'était pas suffisante. Autre film, même tentative de suspense psychologique avec plein de twists également dans Celle que vous croyez. François Civil n’apparaît à l'image qu'au bout de 45 minutes, seule sa voix est présente, comme une variation de Her (il serait donc le Scarlett Johanson français). Etonnant pour un acteur totalement physique, il faut seulement lui souhaiter lui donner autre chose qu'une histoire de stalker sur Facebook. On croirait le scénario écrit il y a 10 ans, c'est-à-dire une éternité à l'échelle des réseaux sociaux, la mise à jour n'a pas été faite. Certaines critiques se moquaient de la ringardise de Doubles vies d'Olivier Assayas, Celle que vous croyez est bien plus calamiteux, tout en facilités narratives. Donnez-lui au petit François Civil d'autres films.

Euforia (Valeria Golino, 2018)
Le premier long-métrage de l'actrice, Miele, était dans mon souvenir un douloureux film doux-amer. Elle poursuit sur le même sujet, la fin de vie avec cette fois deux frères que tout sépare et que tout oppose. La construction narrative répond à une structure typiquement hollywoodienne avec une rupture entre les deux frangins et une réconciliation finale (on s'en doute) et avant cela une mise en place fastidieuse des oppositions. Mais quel manque d'ambition !

mercredi 27 février 2019

L'Héritage de la chouette, 13 Philosophie (Chris Marker, 1989)


Et la chouette dans tout ça ? Bof, elle n'inspire pas tout le monde. On a même droit à quelques têtes étonnées, l'air couillon, devant la question simple et directe de leur interlocuteur de l'autre côté de la caméra. Angélique Ionatos, poétique et joyeuse comme toujours depuis le début de la série, décrit le comportement de la chouette, cet air sérieux avec ses grands yeux et ce petit mouvement de tête qui donne un air comique à l'oiseau.

Cette description amusée va très bien à la série de Chris Marker. C'est exactement ça pendant ces 13 épisodes où certains se sont particulièrement pris au sérieux (tiens Elia Kazan) tellement fiers d'étaler leurs aphorismes (et Elia Kazan ne fonctionne que comme ça) quand d'autres ont eu ce mouvement comique (tiens Théo Angelopoulos, je ne savais pas qu'il était capable de sourire et plaisanter).

A boire et à manger comme dans ces banquets en Géorgie, en Grèce, en Californie et en France. C'est pas ce qui manque, surtout les Géorgiens qui ne manquent jamais une occasion de trinquer tout en se contredisant surtout quand ils sont d'accord. Les universitaires américains de Berkeley sont bien plus sérieux. Mais tout a une fin et ces banquets doivent finir, il reste encore beaucoup de mots grecs, la série aurait pu avoir 33 épisodes.


Pour moi la série est également finie, beaucoup de choses vues et entendues, encore plus de choses déjà oubliées et quelques textes écrits suivant mon humeur du jour. Je retiens de tout cela, de cette série de près de 4 heures la verve et l'esprit de contradiction de Cornelius Castoriadis. Je ne connaissais pas l'existence de cet homme, j'admire sa manière de contourner chaque cliché que l'on peut avoir pour aller ailleurs.












L'Héritage de la chouette, 12 Tragédie (Chris Marker, 1989)


Une journaliste de la BBC, dans un extrait d'un reportage que Chris Marker inclut ici comme contre-point « éducatif et ludique » mais passablement édifiant, explique avec un beau sourire télé que les Grecs ont inventé le théâtre. Preuves à l'appui, elle se trouve dans un théâtre ouvert « parce qu'en Grèce, le temps est clément et il n'est pas utile de mettre un toit pour les 15000 spectateurs ». Si c'est dit par la télé anglaise, c'est que c'est vrai, a forcément conclu le spectateur de la BBC.

Avec son habituelle fougue, Cornelius Castoriadis affirme que les grecs n'ont pas plus inventé le théâtre que d'autres peuples, qu'il existe un théâtre à Bali (et de qualité précise-t-il) et dans toutes les autres contrées du monde. La tragédie, c'est autre chose. Elia Kazan donne une définition péremptoire mais très plaisante. « Deux personnes qui s'opposent, l'un a tort, l'autre a raison, c'est du mélodrame, deux personnes qui ont chacun raison, c'est la tragédie. »

Dans ces théâtres antiques, il s'en passait de belles. On apprend que le spectacle durait des jours entiers et que le premier jour, la scène en bas de l'amphithéâtre servait aux sacrifices de plusieurs bœufs. Ça devait être sacrément sanguinolent. Des morceaux de chair étaient donnés aux spectateurs ainsi que du vin. Une fois repus et enivrés, le spectacle commençait. On imagine en entendant ce récit l'odeur et l'ambiance qui pouvaient régner là. Loin des acclamations devant Mélina Mercouri alors Ministre de la Culture.


Théo Angelopoulos revient raconter son expérience japonaise et des Japonais expliquent que les films du cinéaste se comprennent tout à fait au Japon. Déjà l'épisode sur la Mythologie faisait le grand écart entre les deux Nations. Cet épisode est largement illustré d'extraits d'un film japonais Médée de Yukio Ninagawa (1978, captation d'un pièce). C'est très frappant la coïncidence entre les masques grecs antiques et ceux du théâtre Nô et du Kabuki. Les deux théâtres avaient raison l'un de l'autre.











mardi 26 février 2019

L'Héritage de la chouette, 11 Misogynie (Chris Marker, 1989)


Erotisme, désir, jouissance, trois mots qui commencent cet épisode sur le sexualité des hommes et des femmes, dans toutes les combinaisons possibles avec cette vieille mythologie à l'appui de l'être humain à deux sexes, quatre bras et quatre jambes, scindé en deux et qui passe sa vie à chercher sa moitié. On a tous appris ça en cours de philosophie mais mon professeur se garder bien de développer une autre combinaison qu'homme / femme.

Giulia Sissa, engoncée dans le bleu de sa chouette telle une petite fée bleue, évoque les amours saphiques tout autant que les amours homosexuelles. Seules ces dernières étaient vouées à la philosophie et elle fait le lien, étonnant et inédit, entre l'érotisme et l'amour du savoir. Les femmes ne faisaient pas partie des convives du symposium (pour revenir au premier épisode de la série) si ce n'est comme divertissement alors que les jeunes hommes apprenaient des plus anciens.

L'attirance pour l'art grec est passé au 19e siècle par l'érotisme des statues, par les nus, par les peintures, par les masques. C'est en Allemagne avec Winkelmann que cet érotisme a été créé, un érotisme éloigné de la jouissance, bien évidemment tel qu'on la conçoit. La sexualité est cachée, elle est dans la maison et invisible. La sexualité est féminine et la femme est la Reine à la maison, alors que l'érotisme est masculin et l'homme est exposé dans les musées.


Tout ça ne satisfait pas Angélique Ionatos qui a du mal à se contenter d'une culture où la femme serait cantonnée à rester la souveraine de son foyer, où elle serait tyran de ses fils et de ses époux. Hippocrate disait que cela était à cause de l'utérus qui se déplace dans le corps de femme, sans cesse, sans rémission. L'époux est un animal politique selon Aristote, tyran avec ses esclaves, roi avec ses enfants et démocrate avec sa femme. Le mari est élu chef de famille tous les ans bien qu'égal à sa femme.











lundi 25 février 2019

Mysterious skin (Gregg Araki, 2004)

D'emblée le titre intrigue et c'était une nouveauté dans le cinéma de Gregg Akari habitué aux titres nihilistes (Nowhere, Doom generation, Living end, Totally fucked up). La peau et le mystère associés, ça évoque tout autant La Peau douce que Le Festin nu, deux opposés qui s'unissent dans une incongruité comme seul le cinéaste pouvait parvenir à en faire. Cela annonce une sensualité (la peau dans tous ses états était le motif central de Nowhere) et le cérébral (ce que jusqu'à présent peu de personnages « arakiens » n'avait montré).

Comme le titre le laisse soupçonner tout est question de dualité mais comme on est dans le royaume de Gregg Araki, tout se fera sans l'ombre du manichéisme si cher à tant de ses confrères. Deux enfants qui deviendront deux ados puis deux adultes vivent dans la même ville, un coin paumé de l'Amérique des ploucs des années 1980, et vivent le même événement mais aucun des deux ne ressent les choses de la même manière. Mais surtout, chose essentielle pour la mise en scène et le récit, ils n'en ont pas le même souvenir.

La linéarité de la narration permet de découvrir ces deux enfants, dans leur environnement, dans leur famille, deux leurs fringues de gamins. Le blond à lunettes s'appelle Brian (George Webster puis Brady Corbet), il est un peu gauche, pas sûr de lui, il saigne du nez à la moindre contrariété, quand il stresse. Le brun s'appelle Neil (Chase Ellison puis Joseph Gordon-Levitt), sympathique trombine de petit malin, le genre de gamin que tout le monde aime à l'école et sur les terrain de sport.

Le sport parlons en. Plus précisément du coach (Bill Sage) qui sort tout droit d'un dessin de Tom of Finland ou d'une illustration d'un magazine Beefcake. Sa superbe moustache lui mange et lui confère un sourire au charme irrésistible. Il est le coach de l'équipe de baseball des enfants, le type qui s'occupe si bien des mômes le samedi après-midi. Le coach est un prédateur qui va avec ses céréales colorées prendre possession des corps de Neil et Brian. Il en fait ses objets sexuels et va modifier leur rapport à la réalité.

Je crois que dans un cas comme celui de Mysterious skin où un pédophile abuse de deux enfants, tout devrait être insupportable. Pourtant, c'est le film le plus le plus harmonieux de Gregg Araki, celui où il compose le plus avec la violence et la douceur, paradoxe qu'annonce ce titre ambivalent. Je crois que cela est dû à ces regards caméra que les deux enfants offrent aux spectateurs, une manière radicale de regarder ceux qui les regardent, un échange, une volonté de Brian et Neil de questionner leur destin.

Seul le spectateur a les réponses à ces questions existentiels. Brian plonge dans le fantastique, il se persuade d'avoir été enlevé par des extra-terrestres. Gregg Araki avait déjà fait intervenir les forces alien dans son cinéma, c'est un moyen idéal et rapide de bifurquer vers une autre réalité tout en s'ancrant vers un tabou ineffable, la pédophilie dont on ne peut pas parler. Brian ira rencontrer une douce dingue, Avalyn (Mary Lynn Rasjskub), encore plus paumée que lui, encore plus frustrée.

Neil a choisi la voix inverse. Il reconnaît avoir été violé et que cela lui ouvre la voix vers une sexualité débridée, avec une préférence pour les hommes qui ressemble au coach. Il n'aime que les vieux, ce qui navre ses deux meilleurs amis, Eric (Jeffrey Licon) et Wendy (Michelle Trachenberg). Quand Wendy part vivre à New York, elle laisse les deux garçons dans le village de ploucs. Neil passera son temps à coucher avec tous les hommes non sans oublier de se faire payer, sans avoir la moindre émotion. Neil comme Brian sont morts à l'intérieur.


Pour les faire vivre à nouveau, Gregg Araki les fait passer par des étapes, des épreuves d'amitié et de solitude, des échanges d'expérience. La prostitution et la dépression devient le quotidien de Neil (fascinante scène avec Billy Drago) tandis que Brian se reconstruit grâce à l'aide d'Eric qui lui donne des nouvelles de Neil. Le finale où les deux jeunes hommes se rencontrent enfin, où Neil explique tout son enfance à Brian, est bouleversante, elle tord de douleur puis apaise. Le plus beau film de Gregg Araki, Mysterious skin c'est la gifle sous la caresse.