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samedi 21 mars 2020

8 ½ (Federico Fellini, 1963)

Un chapeau rond, des lunettes de vue rectangulaires. Il n'en faut pas plus pour faire de Marcello Mastroianni ce cinéaste qu'est Guido Anselmi, le double plus vrai que nature de Federico Fellini. Voilà un cinéaste dans sa voiture au tout début de 8 ½ incapable d'avancer, pas seulement parce qu'il est dans un embouteillage monstrueux, sur une autoroute bondée, sous un pont. Il est atteint du syndrome de la page blanche, pour ce qui le concerne de l'écran blanc, de l'attente constante. Il est persuadé d'une chose au sujet de son film : « je n'ai plus rien à dire mais je m'obstine à le dire quand même ».

Ll le sent bien Guido que tout le monde le regarde, un regard moqueur, suspect, condescendant. Toutes ces gens dans les voitures l'observent lui qui ne peut pas s'échapper d'un imbroglio qu'il a créé. Federico Fellin le met remarquablement en cadre cette angoisse de la création dans ces cinq premières minutes suffocantes, dans ce qui est une parodie de son cinéma, ce vent typiquement fellinien, ces gueules, ces postures de visage. Guido tente, en vain, dans la panique de sortir de sa voiture. Quand il y parvient, il grimpe avec son costume noir sur le toit, tel un corbeau, il s'envole et commence à rêver son film.

Pas de titre de film. Un chiffre à la place, celui du nombre de films tournés par Federico Fellini. Je crois que c'est à peu près le seul cas de film qui se contente de donner un chiffre, comme ces œuvres d'art contemporain qui pullulent dans les galeries « untitled #8 ». Les titres des films du cinéaste, après 8 ½ seront pendant la décennie suivante des mots uniques qui valent comme programme : Satyricon, Roma, Amarcord, Casanova, adossés au nom de Fellini. 8 ½ est le monde Fellini dans toute sa splendeur, comme jamais il n'avait jamais atteint un incandescence jusque là. Je l'avais découvert dans une projection 16mm dégueulasse, toute rayée.

Mais l'édition vidéo de la Gaumont frappe par la plénitude chromatique de l'image. Federico Fellini n'a abordé la couleur qu'une demi-heure dans La Tentation du Docteur Antoine. Pas de couleur dans 8 ½ et paradoxalement pas de noir et blanc non plus. Le film développe un camaïeu de blancs, c'est tout simplement fascinant de voir tant de blanc dans un film, ne serait-ce que toutes les tenues de certaines femmes du film, et elles sont nombreuses. C'est sans doute pour cela qu'une bonne partie des scènes se passent dans un sanatorium où Guido est venu faire une cure. Lui vivote dans son costume noir au milieu d'elles.

Des femmes en blanc se distingue en début de film Claudia Cardinale, arrivent comme une infirmière avec un immense sourire enjôleur. J'imagine qu'elle est la vision ultime du fantasme féminin. Elle n'est qu'une apparition, disparaît longuement du récit avant de ne revenir qu'en toute fin. Durant ce long intermède, toutes les femmes de la vie de Guido vont s'inviter dans sa vie. La liste est longue. Les actrices qui réclament un rôle, les épouses de ses amis, celles des producteurs (Barbara Steel), sa maîtresse Carla (Sandra Milo) qu'il terre dans un hôtel minable, son épouse Luiza (Anouk Aimée) qui porte aussi des lunettes, prise de soudaine mélancolie.

Le passé annoncé par un mystérieux « Asa Nisi Masa » est peuplé aussi de femmes vêtues de noir, la plus impressionnante est la Saraghina (Edra Gale) sortie des souvenirs d'enfance de Guido. Une plage, des mioches qui viennent voir une grosse bonne femme aux cheveux hirsutes. Guido, dans sa cape noire, vient danser la rumba avec la Saraghina. Elle grogne avec un sourire. Mais les curés de son école (là le blanc est plus présent que jamais, plus nu qu'ailleurs, dans une volonté de vide total, celui du manque d'humanité de la religion, viennent le sermonner (« la Saraghina, c'est le diable »), décuplant encore plus son amour des femmes, bravant l'interdit des curetons.

Et la plus belle séquence du film, la plus emblématique de tout le cinéma de Federico Fellini arrive, celle du bain de Guido entouré de toutes les femmes de sa vie, celles des souvenirs, celles des films, celles de sa vie, celles de ses fantasmes. Elles sursautent de joie quand il entre dans la pièce. Il se déshabille, tout en gardant son chapeau, revêt un drap blanc (enfin). De la joie, les femmes passent à l'amertume quand une femme de ses souvenirs doit être oubliée et monter dans le grenier de la mémoire. Muni de son fouet, Guido va se faire respecter mais se fait traiter d'hypocrite par la Saraghina outrée.


C'est le début de la chute sociale de Guido, tout se met à lui échapper tandis qu'il ne trouve plus refuge même dans ses souvenirs. Le producteur (Guido Alberti) qui le soutient à bouts de bras veut aller de l'avant. Il faut regarder les essais des actrices, une scène de contrition (on voit à quoi on a échappé), avant d'aller visiter le décor de la fusée, signe de l'ambition démesurée de Guido. Tout s'effondre après une interview pathétique par des journalistes hargneux. Pour un film sans titre, c'est très copieux – il s'en passe des choses, d'une beauté dingue. A la fin, Guido enfant peut fermer le film.













































jeudi 30 mai 2019

Divorce à l'italienne (Pietro Germi, 1961)


Les cheveux plaqués à la gomina, la moustache fine, le porte-cigarette à la main, Fernando Cefalù (Marcello Mastroianni) rentre dans sa ville natale en train. Féfé, comme toute le monde le surnomme, n'est pas n'importe qui dans la commune de Agromonte, il en est le baron, un nobliau dont il porte les signes distinctifs dans cette posture distingués. Il sort de son compartiment et traverse le wagon et retrouve sa ville de Sicile.

C'est la voix off de l'acteur qui décrit l'environnement dans lequel il va évoluer et qui va permettre de comprendre pourquoi il est dans ce train. C'est d'abord une présentation statistique de la ville, le nombre d'habitants et surtout d’illettrés. Puis il en vient à présenter toute sa famille qui l'attend. Le tout est fait avec une belle ironie, on comprend assez vite le peu de sympathie que Fernando a pour à peu près tout le monde.

Il raconte qu'il est marié depuis 12 ans avec Rosalia (Daniela Rocca) au visage ingrat. Elle porte une moustache de duvet sur les lèvres et surtout ces deux sourcils sont joints. Chaque soir, Féfé refuse les câlins qu'elle lui offre sous n'importe quel prétexte. Ce qu'il n'ose pas dire est qu'il est amoureux de sa jeune nièce Angela (Stefania Sandrelli) qui est encore au lycée. Evidemment, cette passion doit rester secrète du reste de la famille.

Pietro Germi montre ses membres comme autant de monstres. Les parents possessifs, le grand-père qui met la main aux fesses de la petite bonne, la sœur à lunettes qui est amoureuse d'un ami, un croque-morts, l'oncle qui se dispute sans cesse avec le reste de la famille. Tout le monde se retrouve le dimanche sur les premiers bancs de l'église, à écouter le curé ordonner de voter pour la démocratie chrétienne (gag hilarant).

L'ensemble du film ne se départ pas d'un ton sarcastique qui enrobe tous ces hypocrites et en premier lieu Féfé qui, quand il est chez lui, n'est pas aussi fringant que lorsqu'il est en représentation. Bien au contraire, il ne quitte jamais son pyjama rayé (comme s'il était en prison), il ne se coiffe plus gardant ses cheveux hirsutes, laissant son petit tic de la bouche prendre le dessus. Et plus Féfé repousse sa femme, plus il a envie de la jeune Angela.

Petit à petit, il manigance un plan pour se débarrasser de sa femme et c'est cela le récit profond du film, car en Italie on ne divorce pas, et surtout pas en Sicile, c'est illégal et en plus ça déshonore la famille. Avec une joyeuse ironie, tout va se faire le soir de la projection de La Dolce vita dont on voit quelques extraits et surtout une séance où toute la ville semble venue voir ce film, où on ne voit pas Marcello Mastroianni mais seulement Anita Ekberg.

mardi 4 décembre 2018

Intervista (Federico Fellini, 1987)

Des Japonais, caméra de télévision sur l'épaule, viennent filmer un tournage de Federico Fellini à Cinecittà, il veut tourner une adaptation de L'Amérique de Kafka. C'est cette intervista, cette interview, dans une mise en abyme sans fin et vertigineuse, du cinéma de Federico Fellini, le vrai est faux et le faux est vrai. La lune est remplacée par de puissants projecteurs montés sur un échafaudage tandis que le fidèle assistant du maestro Maurizio Mein hurle ses ordres dans un mégaphone et que Fellini resté sur le plancher des vaches lui répond avec un deuxième mégaphone. Il est le chef d'orchestre de son univers.

Ce prologue marque l'entrée des souvenirs de la vie professionnelle du cinéaste – qui joue pour une fois son propre rôle – alors que Amarcord donnait des souvenirs de la jeunesse de Fellini et que 8 ½ était consacré à son délire créatif. Intervista donne la méthode de mise en scène tout en indiquant comment tout cela a commencé. Pour jouer Federico jeune, alors reporter pour un magazine de cinéma en 1940, c'est Sergio Rubini qui donne sa jeunesse et son corps à Federico Fellini, c'est le premier long retour dans l'histoire de Intervista, un voyage en tramway à travers Cinecittà, un travelling avant arrière.

Un éléphant de carton-pâte, une star qui veut bien répondre à l'interview de ce reporter mais n'est pas sûr que ce soit utile, une impresario qui donne les réponses à Sergio car elle veut être certaine que les journalistes ne changent pas les mots et un officier mussolinien joué par un acteur qui lit l'Unita, le journal du PCI, qui vient faire une visite dans les fameux studios. C'est un flash-back de cette veine fellinienne de reconstitution des grands décors mais tout en semblant entretenir un lien avec ces années 1980 (La Cité des femmes, Et vogue le navire), le monde du spectacle fantasmé dans un chaos organisé.

Dans ce passage en tramway, on découvrait des Indiens, comme dans un western (Fellini n'en a jamais tourné), ils reviennent en fin de film attaquer l'équipe de tournage, les antennes télé ont remplacé les arcs et les flèches. Le message est très limpide, la télévision est en train de prendre la place du cinéma. De la même manière, tout le monde rêve de faire du cinéma, le casting en milieu de film entre les deux grandes séquences montre cette recherche de la gloire éphémère et de l'argent immédiat plutôt que de la pratique artistique, ces fameuses gueules felliniennes que réclame la jeune japonaise.

Même Marcello Mastroianni est obligé de faire de la publicité. Déguisé en Mandrake, il tourne juste à côté du bureau de Fellini. Il apparaît comme un magicien dans un beau costume noir, chapeau claque, baguette à la main, les yeux cernés de noir, il débarque sur un monte-charge, la magie du cinéma, entouré d'un voile et des ballons gonflables. Le pauvre Mastroianni, des dizaines de films derrière lui, est obligé de faire des pubs pour vivre, telle est la situation du cinéma italien dans les années Berlusconi. Marcello Mastroianni avait jouait dans 8 ½ le double de Fellini, aujourd'hui, le cinéaste a choisi un autre acteur.


Fellini lui présente son jeune double et l'embarque dans sa Mercedes pour une virée à la campagne. La plus belle séquence d'Intervista commence, c'est la visite à Anita Ekberg, 26 ans après La Dolce vita dans sa maison de campagne.Dans une serviette éponge qui enveloppe son corps de 1987, elle accueille tout se beau monde et Mandrake sort de sa baguette un écran de cinéma et il se joue la scène de la fontaine de Trevi. Les larmes d'Anita, le petit sourire de Marcello, un verre de liqueur et tout ce beau monde, Federico, Sergio, Maurizio et les Japonais sont spectateurs de ces retrouvailles. C'est ça la magie du cinéma !