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mardi 1 décembre 2020

Talons aiguilles (Pedro Almodovar, 1991)


Un plan au beau milieu de Talons aiguilles m'a toujours intrigué autant que dérangé. Becky Del Paramo (Marisa Paredes) se prosterne, Pedro Almodovar la filme de dos en plongée absolue, elle est visible des pieds (rouges) aux cheveux (blonds) mais c'est ce décolleté de sa robe verte sur son dos nu fripé quand elle salue,. Ce plan hautement hitchocockien renverse tous les éléments vus jusque là, en substance le récit est plié et tout ce qui était caché apparaît au grand jour. Ce dos de Becky est le dévoilement de tous les secrets enfouis au grand public.

Quelques scènes plus tôt Rebecca (Victoria Abril), la fille de Becky, regardait des photos qu'elle avait prise dans son salon. Elle a photographié le fauteuil où son mari Miguel (Feodor Atkine) la regardait présenter le journal télé. Le coussin est vert, de la même couleur que la robe de Becky. Rebecca est fasciné par la photo qu'elle regarde les yeux écarquillés. Encore plus tôt, c'est devant un store vert que Rebecca, Becky et Miguel se croisent pour la première fois depuis 15 ans. Jadis Miguel était l'amant de Becky, c'est lui qui l'avait éloignée de sa fille.

Trois flash-backs expliquent ce qui s'est passé dans la vie entre la mère et la fille. Premier amant en vacances, Becky offre des boucles d'oreilles à sa fille, les mêmes que les siennes. Le deuxième amant refuse que Becky continue sa carrière, Rebecca intervertit ses médicaments, il s'endort en voiture et meurt. Troisième amant, Miguel l'impresario de Becky. Elle reprend sa carrière de chanteuse en partant au Mexique tout en quittant sa vie en Espagne. Sa fille est abandonnée mais rien n'est dit sur sa rencontre avec Miguel ni sur sa vie sans sa mère.

Dans les tous premiers plans de Talons aiguilles, Rebecca attend sa mère à l'aéroport. Rebecca est en tailleur Chanel blanc, lunettes noires sur le visage. Elle est angoissée, c'est là que le premier flash-back s'enclenche. Elle a raison d'avoir peur, sa mère ne la reconnaît pas dans le hall. Pour indiquer l'attachement à cette mère si longtemps absente, elle porte ces boucles d'oreilles, unique souvenir palpable de la vie d'enfant. Or, Becky qui ne vit que pour elle-même croit que Rebecca porte ses boucles, elle a oublié ce cadeau.

Dans toute la première partie du film, Becky porte du rouge. Un rouge vif, elle ne passe pas inaperçue. Elle l'espère. Mais quand elle demande à sa fille s'il n'y a pas trop de journalistes qui l'attendent à l'aéroport, Rebecca répond qu'elle n'a prévenu personne. Déception de la mère, voire incompréhension. La star qui revient dans sa ville natale pour des récitals découvre que la ville a bien changé (elle est partie, Franco était encore au pouvoir) mais aussi qu'elle n'a jamais été oubliée. Pour preuve, l'affiche du spectacle de Letal.

Le rouge envahit tout l'espace puisque Becky occupe la place. Dans sa robe rouge elle observe l'affiche rouge de Letal qui est sur tous les murs. Le cadre est totalement rouge. Pedro Almodovar travaille les couleurs comme jamais il ne l'avait fait dans ses films, déjà très colorés. Letal (Miguel Bosé) incarne Becky dans son spectacle travesti dans cette robe rouge, imitation parfaite jusqu'aux gestes reproduits par le public de la boîte gay. Le spectacle dans le cabaret est terminé, il reprend entre Letal et Rebecca dans les coulisses.

Ils sont amants. A peine déshabillé, portant uniquement son slip noir, Letal hisse Rebecca sur une barre et ils commencent à baiser. Pedro Almodovar retire tout romantisme pour aller vers le comique pur tant la situation s'y prête. Talons aiguilles marque l'apogée de l'harmonie entre le mélodrame et le comique. Le comique de situation, de gag visuel, de répliques surgit dès qu'il faut dégoupiller une scène trop mélodramatique. L'équilibre est parfait, le rythme étonne, il ne retrouvera jamais cette grace dans ses films suivants.

Le film ne cesse de pousser le mélo dans ses retranchements avec des situations narratives improbables. Le mari de Rebecca a été assassiné. Le juge chargé de l'affaire n'est autre que Letal portant une barbe postiche peu discrète. Le juge est affublée d'une mère qui découpe tous les articles sur Becky et aussi sur Rebecca. Plus mélo encore, ces complexes plus œdipiens c'est pas possible qui consiste à faire coucher Rebecca avec le reflet de sa mère et à épouser son ancien amant avant de l'avoir sans doute tué. Pourtant tout passe précisément grâce à ses doses de comique.

Amant la nuit et juge le jour, il faut bien faire une enquête. Bon, Almodovar s'en fout un peu. Ce qui compte est de mettre en rapport la mère et la fille. Rebecca est en prison (on danse dans la cour de la prison, le spectacle est partout), habillée avec un pull à carreaux multicolore (elle a perdu son goût), Becky est sur scène. Le cinéaste procède à un simple montage alterné entre les deux lieux, Rebecca entend sa mère à la radio. C'est le moment de revenir à cette scène, la plus emblématique et connue de tout le cinéma de Pedro Almodovar.

Becky s'apprête à commencer son tour de chant. Elle se distingue dans un coin droit de la salle de spectacle dans sa robe verte bouteille. Le public l'applaudit. Elle se prosterne, embrasse le plancher, laisse l'empreinte de son rouge à lèvres, elle commence à chanter Piensa en mi (par la voix de Luz Casal). Les gestes sont volontairement exagérés, elle vit la chanson pour le public mais l'émotion de Becky est réelle. Son bracelet tombe de son poignet et surtout une larme s'échoue pile sur sa marque de rouge à lèvres. Un film parfait.





































vendredi 3 avril 2020

Tout sur ma mère (Pedro Almodovar, 1999)

Tout sur ma mère a toujours été mon film préféré de Pedro Almodovar, je me rappelle très bien quand je l'ai découvert pour la toute première fois en mai 1999, là où j'étais mais surtout ma réaction à l'issue de la projection. Ce n'était pas mon premier Almodova, j'ai commencé en 1992 avec Talons aiguilles, vu ses anciens films en salle ou en vidéo et j'ai toujours regardé chaque nouveau film depuis Tout sur ma mère sans jamais retrouver ce choc émotionnel, au contraire certains de ses films récents m'ont tout simplement dégoûté (une autre émotion peut-être).

All about Eve de Joseph L. Mankiewicz, Opening night de John Cassavetes, Un tramway nommé Désir de Tennesse Williams (la pièce, pas le film de Mankiewicz). Les références triples ne sont pas estompées, bien au contraire, elles sont totalement transparentes, visibles et proclamées haut et fort, comme jamais il ne l'a fait. Manuela (Cecilia Roth) et son fils Esteban (Eloy Azorin) regardent All about Eve à la télévision (en version doublée en espagnol). Elle est mère sans père, ils vivent ensemble dans une relation fusionnelle.

Le jour des 18 ans d'Esteban, c'est théâtre. J'ai toujours trouvé très beau ces plans de Cecilia Rothe devant le visage géant de Huma Rojo (Marisa Paredes), l'actrice principale de la pièce de Tennessee Williams. L'affiche est filmée d'abord en plan large, puis, la caméra s'approche de plus en plus près jusqu'à ce que tout ne semble être plus que des pointillés. D'une certaine manière, Manuela se fond dans la pièce qu'elle connaît par cœur, elle l'a jouée jeune. Elle était Stella quand Huma Rojo joue Blanche.

La suite est ainsi Opening night. Esteban a assisté à la pièce avec sa mère. Il attend à la sortie des artistes Huma pour un autographe. Comme dans le film de Cassavetes, la vedette part dans sa voiture et le jeune homme qui la suit meurt dans un accident de voiture sous une pluie battante. Il est mort. Manuela travaille chaque jour avec la mort, sa profession est de former les médecins pour accompagner ceux qui pourraient donner un organe. C'est maintenant au tour de Manuela d'accepter que le cœur d'Esteban soit donné à un malade.

De Madrid à Barcelone, il y a un tunnel, sorte de métaphore pour le changement de vie radical qui s'opère dans la vie de Manuela. Elle retourne dans sa ville natale, elle renoue avec ses anciens amis. Elle retrouve sur un lieu de passe son vieil ami Agrado (Antonia San Juan), prostituée devenue (presque) une femme. Face à la blonde fade qu'est Manuela, la (fausse) rouquine Agrado est une explosion de vie. Agrado est un peu exubérante, de cette exubérance que Pedro Almodovar sait si bien dessiner.

Elle fait croire qu'elle est un peu bébête mais c'est elle qui va remettre Manuela sur les rails. Première étape, aller voir Rosa (Penelope Cruz) une bonne sœur qui peut lui trouver du travail, chez sa mère snob (Rosa Maria Sarda). Rosa comprend qu'elle est enceinte, ce qui pour une religieuse la fout mal. Mais elle ne dit pas encore de qui. Le spectateur a compris que c'est de Lola, alias Esteban, le père du fils de Manuela. Lola, soit Esteban, sera celle dont tout le monde parle dans le film sans qu'on ne le voit ni qu'on sache où il est.

La tournée du Tramway se pose maintenant à Barcelone et Manuela va voir tous les soirs la pièce. Huma est en couple avec Nina (Candela Peña), interprète de Stella dans la pièce, jalouse comme un pou, héroïnomane. Là revient le All about Eve quand Manuela, à force de présence, prend la place de Nina sur scène avant que Agrado ne devienne l'assistante d'Huma. Et l'ombre d'Esteban, le fils, plane sur Huma qui se rappelle très bien ce gamin venu frapper à la vitre de sa voiture pour un autographe.


Le film organise un ballet avec ces six femmes si différentes qui tournent autour des ces Esteban invisibles (le père, le fils et le futur nouveau né de Rosa). Elles se complètent, elles se disputent, elles cachent leurs secrets. Le rouge est la couleur forte de Tout sur ma mère, présente partout dans les tenues, dans les cheveux, dans les cœurs, dans les décors, le lien du sang établi entre elles. Comme je disais plus haut, Tout sur ma mère aboutit à un équilibre entre les partitions des six actrices dans un aller retour entre la comédie pure et le drame intense.