Liza
Minnelli, ça s'écrit avec un Z, deux N et deux L. Elle a même une
chanson, Liza with a Z, qui parle de ce douloureux problème de voir
son nom écorché. Cette chanson, qui existe en version française
interprétée au Palais des Congrès en 1991, a été écrite par son
duo attitré, Fred Ebb et John Kander. Ils ont composé et arrangé
tous les morceaux de Cabaret, l'un des deux sommets
cinématographiques de Liza Minnelli, qui fête aujourd'hui ses 70
ans. L'autre sommet étant New York New York. Les chansons de
Cabaret, contrairement à certaines du film de Martin Scorsese (sauf
le thème principal), ont été écrites pour Bob Fosse.
Le
metteur en scène cherchait à renouveler la comédie musicale. Le
genre était en perdition, était moribond et sombrait dans des
figures grotesques et sans rapport rapport avec les soubresauts de
l'histoire. L'exemple le plus accablant de la ringardise était sans
doute Hello Dolly de Gene Kelly en 1969, un pudding de 2h30
sans grâce mais célébré aux Oscars. Pour Bob Fosse, il ne s'agit
plus d'intégrer les numéros musicaux en tant que prolongation des
dialogues, en forme de chœur antique. Cabaret est l'histoire
des coulisses de ses artistes et les chansons sont celles qu'ils
interprètent sur la scène du cabaret.
La
fonction dramatique des chansons se déplace. Elles ne sont plus
simplement des commentaires joyeux (Money Money) ou tristes (Maybe
This Time), dansés seul (Cabaret) ou à plusieurs (Mein Herr), des
relais des émotions et comportements des personnages. Bob Fosse
inclut dans les chorégraphies, les lyrics, les rythmes et les
instrumentations de quoi évoquer l'époque, l'Histoire et ses
affres, soit la montée du nazisme, la crise économique en Allemagne
et la tentation bolchévique.
C'est
avec un grand sourire et en regard caméra que le meneur de revue
(Joel Grey) accueille de sa voix nasillarde le public, celui du
cabaret berlinois et celui de Cabaret dans la salle de cinéma.
Willkommen, Bienvenue, Welcome dans la décadence qui se moque de
l'ordre nazi, dans l'esprit dégénéré des danseuses à moitié
nues et des chanteurs androgynes qui n'a aucun goût pour la
discipline germanique. Bob Fosse fait de cette boite de nuit le lieu
où l'on peut tout voir, tout faire, baiser tout le monde, un refuge
au milieu de l'horreur où les nazis tabassent impunément.
Seul
le kitsch peut combattre le bon goût officiel des talons qui
claquent et des bras levés. Ce kitsch est sublimement incarné par
Sally Bowles, le personnage de Liza Minnelli. Dans l’entrebâillement
de la porte, Bob Fosse ne filme que ses yeux au maquillage
outrancier, qui sera l'image marque de fabrique de l'artiste jusqu'à
aujourd'hui. Ce vert à paupières, ces cils grossis au mascara, ce
blush sur les joues. Et ces robes courtes qui s'affolent dans son
appartement rempli de bibelots. Sally est la reine du cabaret,
régissant son monde avec son bagout, ses coups de téléphones et
son grand sourire.
Mais
quand Sally est sur scène, sur une simple chaise, portant une
coiffure à la Louise Brooks, la star libérée du cinéma de
l'époque, avec comme unique tenue un juste-au-corps noir, elle
chante le désespoir amoureux, « Bye bye mein lieber Herr, it
was a fine affair, but it's over ». Sally tombe amoureuse de
chaque homme, mais personne ne l'aime comme elle le chante, les bras
ouverts dans « Maybe This Time ». Ce morceau s'adresse à
son nouveau colocataire dont elle s'est éprise dès le premier
regard.
Cet
homme est un étudiant anglais, Brian Roberts (Michael York) qui
débarque chez elle. Michael York apporte un physique fluet, un
regard oblique, il est un acteur loin de canons de beauté de
l'époque. Sally l'invite au cabaret et il fait la connaissance d'un
étudiant allemand avec qui il se lie, Fritz Wendel (Fritz Wepper)
n'a pas le sou, mais espère pouvoir rencontrer des gens qui vont
l'aider, notamment la fortunée Natalia (Marisa Berenson), à qui
Brian doit apprendre l'anglais. Brian fricote avec Sally, toute
heureuse d'avoir un amant.
Les
regards de Brian, son dégoût de toucher la poitrine de Sally ne
trompent personne. Bob Fosse lui réserve un tout autre destin, en
l'occurrence Maximilian Von Heune (Helmut Griem), noble allemand
marié. Avec deux chansons, le cinéaste déploie l'amour naissant et
complexe entre Maximilian et Brian. « Two Ladies »
exprime ce ménage à trois formé avec également Sally, l'alcool
aide Brian à surmonter ses préjugés. « Tomorrow Belongs to
Me » montre la montée des nazis et la destruction de tout ce
qu'ils haïssent, dont la liaison entre les deux hommes.
Sally
a beau pleurer toutes les larmes de son corps quand elle comprend que
Brian est homosexuel, elle a beau chanter que « la vie est un
cabaret » avec un sourire qu'elle a du mal à conserver, elle a
beau aller au mariage de Fritz, elle sait que tout est fini, que le
cabaret Kit Kat Klub n'en a plus pour longtemps. Quand Joel Grey
disparaît après avoir dit auf wiedersehen aux spectateurs et
que la caméra panote sur la droite pour découvrir le nouveau public
du cabaret derrière les vitres, j'ai du mal à ne pas saisi d'effroi
et avoir le ventre serré.
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