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lundi 28 septembre 2020

Raining in the moutain (King Hu, 1979)

Tout le récit de Raining in the mountain est centré sur un rouleau de prière, McGuffin idéal qui permet à King Hu de tracer un scénario somme toute minimaliste et de développer son art de la mise en scène. Comme à son habitude, après un long générique composé d’estampes, la montagne est le premier décor du film. Trois personnages la traversent pour arriver au Monastère des Trois Joyaux, lieu de prière isolé et havre de plénitude. Ce rouleau est le manuscrit de Xuan Zang des Soutras de Mahayana. L’ambition de Wen An (Suen Yuet) est de s’emparer de cet objet qu’il considère d’une valeur inestimable. Il est accompagné de « Renarde Blanche » (Xu Feng) qu’il présente comme son épouse et de « Serrure d’or » (Ng Ming-choi) qui fait office de porteur des bagages.

Ce sont des voleurs dont l’agilité est démontrée dans une longue séquence où Renarde Blanche et Serrure d’or traversent tout le monastère pour arriver dans la chambre qui contient tous les parchemins. Il leur faut éviter d’être vus par les moines, se dissimuler dans les cachettes des bâtiments et avancer à toute vitesse. Pour cela, King Hu monte son film à un rythme alerte. Les déplacements sont suivis en travelling, les regards sont l’objet de gros plans sur les deux voleurs montés en contrechamp des plans larges où l’on découvre les moines qui ne se doutent de rien. Le monastère est filmé comme un labyrinthe composé de nombreux couloirs. Il est absolument impossible de se rendre compte de l’architecture du bâtiment, tout cela reste mystérieux afin de perdre le spectateur dans les méandres des déplacements. Mais Renarde Blanche ne parvient pas à ouvrier le loquet de la bibliothèque. Un moine, Hui Wen (Lu Chan), va l’aider sans qu’on ne lui demande rien.

Ce moine est le complice de Wen Na. Il est aussi l’un des prétendants à la succession du maître du monastère qui va prendre sa retraite. Wen Na est d’ailleurs venu pour soutenir la candidature de Hui Wen, qui comme on l’a compris est un homme corrompu. C’est alors qu’entre en scène le gouverneur Wan (Tien Feng) et son bras droit le commandant Zhang Cheng (Chan Wai-lau) qui viennent pour exactement les mêmes raisons : voler le manuscrit et soutenir un moine, Hui Tong (Shih Jun). Leur méthode sera différente, moins subtile mais plus sournoise. Wan et Zhang Cheng représentes ce qu’il y a de pire dans le pouvoir : son abus. D’ailleurs, très vite on va comprendre que leur passé est trouble, que la violence ne leur fait pas peur, ce qui dans un monastère bouddhiste n’est pas recommandé. On retrouve ce thème de l’injustice qui, depuis son premier film, traverse le cinéma de King Hu.

Tous ces personnages présentés jusque là, à l’exception du vieux maitre, pratique l’art du faux, de la dissimulation, du simulacre. Aucun d’eux n’est ce qu’il affirme être, cette idée du faux ne s’applique plus ici comme dans Legend of the mountain avec des fantômes ou dans Dragon Inn avec de simples mensonges. Les personnages de Raining in the mountain ne sont pas dupes de ce que sont les autres, c'est dans cette connaissance de l'adversaire et de leur dessein que le film avance. Le grand maître et son bras droit, le moine Hui Si (Paul Chun) vont faire preuve d’encore plus de ruse qu’eux pour que personne ne s’empare du rouleau dont on ne saura jamais ce qu’il contient vraiment (dans Legend of the mountain, les sutras avaient une ambition, celle de communiquer avec les morts).

L’arrivée de deux personnages permettra de changer les plans des deux bandes de voleurs. Un sage laïc, Wu Wai (Wu Jia-xiang) arrive avec ses servantes pour l’élection du nouveau maître. Il va mettre à rude épreuve les moines bien peu chastes quand il les forcera à méditer tandis que cette nuée de femmes se baignent en petite tenue, dans une scène à l’érotisme discret mais réel. Puis, Qiu Ming (Tung Lam) entre en scène. Accusé d’un crime dont il se dit innocent, Qiu Ming a choisi de se retirer dans le monastère. Son calme et sa détermination sont décelés chez les maîtres du monastère qui vont le désigner nouveau maître. Puis, c’est son habileté politique, son sens des réformes qui font de Raining in the mountain à la fois un film politique et l’aboutissement de l’œuvre du cinéaste qui livrait son meilleur film.







































 

jeudi 30 mars 2017

L'Hirondelle d'or (King Hu, 1966)

Troisième et dernier film tourné pour la Show Brothers par King Hu, L’Hirondelle d’or ne reprend pas son titre anglais (viens boire avec moi) ni son titre chinois (le chevalier errant ivre). La « suite » tournée par Chang Cheh en 1968 s’appellera Golden swallow (en chinois aussi) et sortira en France sous le titre Le Retour de l’Hirondelle d’or. Tout cela pour dire que le personnage de Cheng Pei-pei, celui de l’héroïne, est à égalité avec celui de Yueh Hua qui interprète Chat Ivre, Fan Ta-pei, le mendiant amateur de vin. Les deux personnages sont en totale opposition, elle est d’un calme hiératique. Elle refuse d’entendre le moindre conseil et s’en va poursuivre sa mission, délivrer son frère pris en otage. Elle est présentée d’abord comme un homme, dès son arrivée dans l’auberge. Elle porte l’habit traditionnel, aux couleurs ternes, qui indique sa volonté de se faire passer pour un homme. Il sera épargné au spectateur une romance entre Chat Ivre et Hirondelle d’Or, leur rapport se limitera à combattre les méchants.

Ce qui frappe en tout premier lieu dans L’Hirondelle d’or, c’est l’absence de clinquant dans les décors. Dans The Story of Sue San, King Hu avait dû composer avec un décor kitsch propre aux films de la Shaw Brothers et à l’opéra chinois. Ici, la sobriété est mise en avant. L’auberge dans laquelle débute le film (après l’enlèvement du fils du gouverneur en pleine nature) est modeste, provinciale. On n’en verra que l’intérieur, vaste et meuble de manière fonctionnelle. Des tables en bois, des bancs, des balcons. Le marron est la couleur prédominante. Les clients se confondent avec les meubles d’ailleurs. La lumière est elle aussi volontairement terne donnant un aspect plus réaliste que d’habitude. C’est en cela que King Hu modifie le wu xia pian (je ne parlerai pas de révolution) et le fait passer dans la modernité. Deux autres décors servent à l’action. Le temple dans lequel se sont réfugiés les kidnappeurs du fils du gouverneur. Temple classique pourvu d’une grande entrée et d’une vaste cour. Le contraste avec l’auberge se produit quand on découvre les brigands entassés, tels des animaux, autour d’une table pour manger ou se réunir. La caméra est fixe, éloignée des personnages, les jugeant. Les brigands ont également pris en otage les moines qu’ils obligent à suivre leurs ordres cruels et violents (un moinillon se fait exécuter sans vergogne par l’un d’eux).

Le dernier décor, encore plus sombre, est celui de Chat Ivre. Abrité dans une cabane brinquebalante, au bord d’une cascade en pleine forêt, le mendiant cache bien son jeu. On le découvre dans l’auberge, accompagné d’enfants qui forment sa tribu de mendiants. Il chante des chansons pour récolter quelques sous. Comme son nom l’indique, c’est un amateur de vin. C’est surtout un artiste martial et un homme de raison. Hirondelle d’Or est une femme de tête qui ne veut entendre aucun conseil, mais elle aura bien besoin de l’aide de Chat Ivre quand elle sera empoisonnée par une flèche. Il est temps de présenter le super méchant du film. Tigre au visage de Jade (Chen Hung-lieh) est le commanditaire de l’enlèvement. Il est habillé en blanc (la couleur de la mort), le visage peint. Son sourire sardoniques, ses yeux torves et ses tours pendables expriment une cruauté inégalée. Un méchant somme toute trop classique. La deuxième moitié du film est bien moins intéressante que la première. Chat Ivre affrontera son ennemi mortel, l’abbé Liao Kung (Yeung Chi-hing), personnage sorti un peu de n’importe où, provoquant une tournure scénaristique aussi abrupte que convenue. Les scènes de combat entre l’abbé et Chat Ivre sont d’une grande platitude.

L’attrait majeur de L’Hirondelle d’or est sa deuxième séquence, au bout de dix minutes de film, quand Hirondelle d’or entre en scène. Elle se déroule dans l’auberge. Un orage annonce l’action qui va se dérouler, vive et soudaine. La caméra dans un travelling de gauche à droite la suit de la porte à la table où elle s’installe, elle marche lentement, observant tous les autres clients. Tous les personnages s’observent, la bande de Tigre au visage de Jade l’a repérée. Un plan d’ensemble en plongée permet de comprendre où se trouve chaque personnage, ce que le découpage en champ – contrechamp ne faisait pas. Le bras droit de la bande (Lee Wang-chun) aborde Hirondelle d’or, dans un grand sourire, il lui demande qui elle est, ce qu’elle fait là. La musique de percussions démarre. L’affrontement commence avec un jeu de regards et se poursuit, tandis qu’elle dîne tranquillement, avec des objets qu’on lance à Hirondelle d’or (une jarre de vin, des pièces) qu’elle débine d’un geste habile de la main sans bouger le reste de son corps. Elle est seule, ils sont une douzaine. L’affrontement aux sabres se fait sur le son des percussions. Chaque geste est redoublé par un tambour. Quand elle se fait assaillir par les sabreurs, un plan large montre les brigands s’approcher d’elle, un plan serré la montre remuant son épée puis un troisième plan large, avec une musique frénétique, filme les brigands s’effondrer. Toute la mise en scène de King Hu est dans ces trois plans, un montage faussement champ-contrechamp qui rythme le combat. Cette séquence qui dure dix minutes est la vraie révolution du wu xia pian mais elle n’était sans doute pas du goût de la Shaw Brothers qui ont fait comprendre à King Hu qu’il ne ferait plus de films dans la compagnie.