D'emblée
le titre intrigue et c'était une nouveauté dans le cinéma de Gregg
Akari habitué aux titres nihilistes (Nowhere, Doom
generation, Living end, Totally fucked up). La peau
et le mystère associés, ça évoque tout autant La Peau douce
que Le Festin nu, deux opposés qui s'unissent dans une
incongruité comme seul le cinéaste pouvait parvenir à en faire.
Cela annonce une sensualité (la peau dans tous ses états était le
motif central de Nowhere) et le cérébral (ce que jusqu'à
présent peu de personnages « arakiens » n'avait montré).
Comme
le titre le laisse soupçonner tout est question de dualité mais
comme on est dans le royaume de Gregg Araki, tout se fera sans
l'ombre du manichéisme si cher à tant de ses confrères. Deux
enfants qui deviendront deux ados puis deux adultes vivent dans la
même ville, un coin paumé de l'Amérique des ploucs des années
1980, et vivent le même événement mais aucun des deux ne ressent
les choses de la même manière. Mais surtout, chose essentielle pour
la mise en scène et le récit, ils n'en ont pas le même souvenir.
La
linéarité de la narration permet de découvrir ces deux enfants,
dans leur environnement, dans leur famille, deux leurs fringues de
gamins. Le blond à lunettes s'appelle Brian (George Webster puis
Brady Corbet), il est un peu gauche, pas sûr de lui, il saigne du
nez à la moindre contrariété, quand il stresse. Le brun s'appelle
Neil (Chase Ellison puis Joseph Gordon-Levitt), sympathique trombine
de petit malin, le genre de gamin que tout le monde aime à l'école
et sur les terrain de sport.
Le
sport parlons en. Plus précisément du coach (Bill Sage) qui sort
tout droit d'un dessin de Tom of Finland ou d'une illustration d'un
magazine Beefcake. Sa superbe moustache lui mange et lui confère un
sourire au charme irrésistible. Il est le coach de l'équipe de
baseball des enfants, le type qui s'occupe si bien des mômes le
samedi après-midi. Le coach est un prédateur qui va avec ses
céréales colorées prendre possession des corps de Neil et Brian.
Il en fait ses objets sexuels et va modifier leur rapport à la
réalité.
Je
crois que dans un cas comme celui de Mysterious skin où un pédophile
abuse de deux enfants, tout devrait être insupportable. Pourtant,
c'est le film le plus le plus harmonieux de Gregg Araki, celui où il
compose le plus avec la violence et la douceur, paradoxe qu'annonce
ce titre ambivalent. Je crois que cela est dû à ces regards caméra
que les deux enfants offrent aux spectateurs, une manière radicale
de regarder ceux qui les regardent, un échange, une volonté de
Brian et Neil de questionner leur destin.
Seul
le spectateur a les réponses à ces questions existentiels. Brian
plonge dans le fantastique, il se persuade d'avoir été enlevé par
des extra-terrestres. Gregg Araki avait déjà fait intervenir les
forces alien dans son cinéma, c'est un moyen idéal et rapide de
bifurquer vers une autre réalité tout en s'ancrant vers un tabou
ineffable, la pédophilie dont on ne peut pas parler. Brian ira
rencontrer une douce dingue, Avalyn (Mary Lynn Rasjskub), encore plus
paumée que lui, encore plus frustrée.
Neil
a choisi la voix inverse. Il reconnaît avoir été violé et que
cela lui ouvre la voix vers une sexualité débridée, avec une
préférence pour les hommes qui ressemble au coach. Il n'aime que
les vieux, ce qui navre ses deux meilleurs amis, Eric (Jeffrey Licon)
et Wendy (Michelle Trachenberg). Quand Wendy part vivre à New York,
elle laisse les deux garçons dans le village de ploucs. Neil passera
son temps à coucher avec tous les hommes non sans oublier de se
faire payer, sans avoir la moindre émotion. Neil comme Brian sont
morts à l'intérieur.
Pour
les faire vivre à nouveau, Gregg Araki les fait passer par des
étapes, des épreuves d'amitié et de solitude, des échanges
d'expérience. La prostitution et la dépression devient le quotidien
de Neil (fascinante scène avec Billy Drago) tandis que Brian se
reconstruit grâce à l'aide d'Eric qui lui donne des nouvelles de
Neil. Le finale où les deux jeunes hommes se rencontrent enfin, où
Neil explique tout son enfance à Brian, est bouleversante, elle tord
de douleur puis apaise. Le plus beau film de Gregg Araki, Mysterious
skin c'est la gifle sous la caresse.