jeudi 31 mai 2018

J'ai aussi regardé ces films en mai


Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête (Ilan Klipper, 2018)
Comme il existe au théâtre des seul-en-scène, ce film pourrait être un seul-en-film. Laurent Poitrenaux n'est pas le seul acteur mais la mise en scène indique très clairement qu'il est probable, c'est au spectateur de décider, dans sa folie, sa maniaquerie, son angoisse de la page blanche, que tout ce qui se passe sur l'écran serait le fruit de son imagination fantasque et débridée. Le film alterne avec un certain panache flash-backs dépressifs et flash-forwards horrifiques. L'arrivée impromptue de ses parents avec une psychiatre sans qu'on ne sache comment ils sont entrés dans l'appartement, puis de son meilleur ami enfin de son ex laisse penser que le film a glissé vers un fantastique du quotidien. Superficiellement, Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête fait penser aux films d'Antonin Peretjatko, de Vincent Macaigne mais petit à petit il se range du côté des Rendez-vous d'après minuit de Yann Gonzales et des Garçons sauvages de Bertrand Mandico. C'est dire à quel point le film est étonnant.

Deadpool 2 (David Leitch, 2018)
Comme Les Gardiens de la galaxie 2, Deadpool 2 est une déception sur à peu près tous les points. Plus que développer l'humour régressif et de renouveler le scénario, le film, avec grande paresse, reprise ce qui fut fait il y a deux ans, à l'exception du sadisme que subissait le personnage de Ryan Reynolds, ce qui était l'attraction majeure du film. L'ensemble ressemble plus à un film ZAZ (Zucker Abrahams Zucker, les inventeurs de Y-a-t-il un pilote dans l'avion en 1978). Exemple type, la reprise de la fameuse scène de Say anything de Cameron Crowe : la sérénade de séduction sur la chanson In your eyes de Peter Gabriel. Ceci étant, en toute logique, c'est le meilleur film Marvel depuis Deadpool.

Mutafukaz (Shoujirou Nishimi & Guillaume Renard, 2017)
Comme souvent, je vais voir des films sans savoir du tout ce qu'il contiennent si ce n'est qu'Orelsan participe. La voix du chanteur si étrange (Comment c'est loin, son premier film, jouait sur cette nonchalance) joue en contrepoint avec le rythme alerte (c'est un euphémisme) du récit et l'extrême violence graphique (le film le plus gore de l'année). Je n'ai pas tout compris, il se passe beaucoup trop de choses pour mon pauvre cerveau mais j'aime ça.

L'Homme qui tua Don Quichotte (Terry Gilliam, 2018)
Lost in La Mancha (Keith Fulton & Louis Pepe, 2001)
Plus la date de sortie approchait plus, plus l'origine du projet remontait dans le temps, on est passé en quelques semaines de 20 ans, à 25 puis à 30. Dans Lost in La Mancha Terry Gilliam confesse dans ce gentil making of qu'il a commencé à travailler sur le film en 1991, une de ses proches affirme qu'il a toujours porté le projet en lui. Ça date donc de 50 ans. Aujourd'hui, le film est enfin là et on est pas déçu. Un ratage intégral comme tous les films de Terry Gilliam depuis des lustres. Je sais bien que beaucoup considèrent L'Armée des 12 singes comme un chef d’œuvre mais ça n'est pas mon cas. Bref, L'Homme qui tua Don Quichotte est une suite ininterrompue d'acteurs qui jouent en hurlant, de références à la chasse aux migrants très limites (les horribles scènes avec Rossy de Palma et Sergi Lopez), de grands angles et mouvements d'appareil superflus, d'un montage incohérent. J'en viendrais presque à me demander si l'action en justice de Paulo Branco ne masquait l'une des plus formidables campagne de pub, telle une énorme mise en abyme. Bref, tout ça pour ça.
La sortie du film m'a permis de découvrir Lost in La Mancha, projeté dans certaines salles. Je ne l'avais jamais vu. Le film est bien aimable dans une approche du faux documentaire, histoire de dire que vu l'incompétence crasse du patron, le film en train de se tourner ne pouvait avoir un autre destin. Les regards des protagonistes deviennent plus fuyant au fur et à mesure que Terry Gilliam rit de plus en plus fort. Ce qui est le plus vivant dans Lost in La Mancha, ce sont ces mannequins de plastic, de simples accessoires qui se balancent pendant la pré-production. C'est cette simplicité poétique que Terry Gilliam aurait du développer au lieu d'effets pachidermiques.

Solo (Ron Howard, 2018)
Personne ne veut savoir pourquoi Han Solo s'appelle ainsi, mais le film le dit quand il va s'enrôler dans les forces de l'Empire (joie, Darth Maul est de retour, histoire de faire un lien, pourtant factice, avec La Menace fantôme). Han est donc en solo mais tout le récit cherche à lui donner un acolyte, est-ce que ce sera Lando (génial Donald Glover, le film n'est à voir que pour lui), est-ce que ce sera Qi'ra l'activiste rebelle ou est-ce que ce sera Chewbacca ? Je crois que la réponse était donnée dans Star Wars IV A new hope, communément appelé chez nous La Guerre des étoiles. Ah oui, Alden Ehrenreich est pas mal du tout.

La Guerre des yokai (Yoshiyuki Kuroda, 1968)

Oh quel vilain monstre que ce Daïmon ! De couleur verte, le visage allongé avec quatre dents pointues, des ailes et des écailles et une ceinture ornée de crânes, il apparait par magie au Japon. Daïmon a été réveillé dans les ruines de Babylone par deux pilleurs de tombes qui cherchaient des trésors. Pour se nourrir, il boit le sang des deux pillards dans un déchaînement de tonnerre et d’obscurité créant le chaos là où il se trouve.

Le premier méfait de Daïmon est de s’emparer du corps du gouverneur, un homme extrêmement bon qui devient soudainement acariâtre et injuste. Sa fille et son serviteur ne le reconnaissent plus, du moins ne reconnaissent plus son comportement. L’aspect du gouverneur est là mais son âme est démoniaque. Si les humains ne s’en rendent pas compte, un kappa, yokai vert au crâne plat, qui réside dans la marre du domaine s’aperçoit de la présence du démon.

Kappa décide de demander de l’aide à ses compagnons yokai qui vivent dans la forêt. Mais ni la femme blafarde au cou étirable, ni la grosse tête au visage triste, ni la femme aux deux visages ou le parapluie qui tire la langue ne le croit. Seulement voilà, Daïmon est en train de tuer et boire le sang des villageois, en appréciant tout particulièrement les enfants. Quand deux gamins, menacés, se réfugie dans la forêt, les yokai sont bien obligés de croire Kappa.

Plus abouti que La Malédiction des yokai, La Guerre des yokai fait une plus grande place aux monstres qui sont présents pendant tout le film. Ils arrivent progressivement dans le récit, jusqu’à n’être plus qu’entre eux quand ils doivent combattre, non sans mal, Daïmon, monstre étranger que la grosse tête au visage triste veut défaire pour que les monstres japonais gardent leur fierté. Dans le combat final, Daïmon se démultiplie pour affronter les centaines de monstres.

Les yokai sont désormais dotés de la parole. Kappa est celui qui cause le plus, souvent en fatiguant ses congénères. Seul le parapluie est privé de langage, s’exprimant par borborygmes. L’ajout par rapport au premier film est l’humour constant. Kappa affronte Daïmon dans une scène burlesque où son crâne plat frotte les murs jusqu’à s’enflammer. Les yokai ont presque tous des comportements d’enfants qui ne se rendent pas compte du danger.


L’autre apport du film est sa grande beauté plastique. Si les déguisements des monstres restent très simples, les effets spéciaux, qui datent certes de 1968, sont agréables à regarder. Le film joue sur les transformations de Daïmon en gouverneur et vice-versa, sur les changements de temps (passage du soleil à l’obscurité) et sur les ombres chinoises, les effets de surimpression et de transparence.



















mercredi 30 mai 2018

Model shop (Jacques Demy, 1968)

En 1967, le couple Agnès Varda Jacques Demy file à Hollywood appelé par les sirènes de la gloire. « Le premier cinéaste de la Nouvelle Vague à Hollywood » disait-on. Agnès Varda tournera deux courts-métrages Uncle Yanco en octobre 1967 sur un lointain cousin de son père, Black Panthers l'été 1968 puis Lion's love en 1969. Jacques Demy tout auréolé de sa Palme d'or (Les Parapluies de Cherbourg) et des Demoiselles de Rochefort starring Gene Kelly et George Chakiris part travailler pour la Columbia.

Agnès Varda le raconte à l'envi, le premier choix de Jacques Demy pour le rôle masculin était Harrison Ford, il avait 25 ans, beau comme un Dieu mais pas encore connu. Il a fait des essais pour le film, cela est évoqué dans Les Cents et une nuits et Les Demoiselles ont eu 25 ans d'Agnès Varda. Au lieu de cela, le studio impose ou propose, peu importe, Gary Lockwood, acteur de télé qui venait de jouer Frank dans 2001 l'odyssée de l'espace (HAL l'assassine dans l'espace). Il est fringant dans son jean et son t-shirt bleu.

L'abandon des décors colorés de ses deux précédents films n'est pas une nouveauté, Lola et La Baie des Anges étaient dans une vision réaliste. Model shop commence par un très long travelling arrière à la grue (on dépense l'argent en mouvement d'appareil) tandis que les cartons du générique défilent. C'est la Californie, sa plage, ses derricks qui puisent le pétrole, ses maisons de bois. Enfin on arrive dans la maison de George (Gary Lockwood), au petit matin, il est couché dans son lit avec sa petite amie blonde.

Comme ce travelling l'imprimait dès sa première séquence, Jacques Demy met en scène un continuel trajet. George a un bien qu'il aime par dessus tout, sa voiture, une General Motors de 1952. Il va passer toute sa journée, le temps du film, à trouver de l'argent pour que sa voiture ne lui soit pas enlevée. Ces trajets permettent aussi à Jacques Demy de faire le touriste, de montrer Hollywood dont il filme les belles maisons, les grandes avenues tellement éloignées de la France.

Pendant que George met de l'essence dans sa voiture, une superbe femme brune arrive dans sa Cadillac blanche, elle-même est toute habillée de blanc, portant des lunettes de soleil. Jacques Demy a embarqué dans ses bagages Anouk Aimée qui reprend son prénom de Lola. George la suit de loin, c'est tout un jeu de reflets (rétroviseur), de distance (les voitures se rapprochent et s'éloignent), d'obstacles (les vitres des automobiles comme des limites) qui se met en place. Enfin, ils se rencontrent.

Anouk Aimée évoque son passé avec des photographies en noir et blanc, des photos du tournage de Lola. Dans ce cadre intime, George la prend en photo, c'est la plus belle séquence de Model shop. Elle troque sa robe blanche pour une tenue plus légère, guêpière et boa coloré, elle refait les poses de Lola la séductrice assise dans un fauteuil, enfin joyeuse et souriante, un moment de grâce dans cette journée banale. George reviendra chez lui non sans ne pas cesser de penser qu'à Lola jusqu'au coup de téléphone final filmé avec un zoom qui s'approche de son visage.


Model shop a été un énorme échec public. Il faut dire que le film est franchement ennuyeux, souvent très bavard. Jacques Demy ne fera plus jamais de film à Hollywood pas plus qu'Agnès Varda, il reviendra en France tourner Peau d'âne, son meilleur film, avant d'aller vers d'autres projets rarement heureux (L’Événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune), des productions assez faibles (Le Joueur de flûte de Hamelin) et des nanars éprouvants (Lady Oscar puis Parking).























mardi 29 mai 2018

L'Enfance nue (Maurice Pialat, 1968)

L'enfant s'appelle François, il a dix ans, il vit à Lens. Il ressemble comme deux gouttes d'eau à Antoine Doinel d'autant que le prénom choisi pour le personnage de Michel Terrazon (qui jouera un petit rôle dans La Maison des bois la série ORTF de Maurice Pialat) est celui de Truffaut qui produit ce premier film (avec Claude Berri entre autres). François est un gamin de l'assistance publique, comme un disait à l'époque, sa mère ne peut pas l'élever, il vit en famille d'accueil.

Mais cela, le spectateur n'est pas encore censé le savoir quand commence L'Enfance nue. Maurice Pialat filme d'abord une manifestation syndicale (on doit être le Premier Mai) puis bifurque dans une boutique de vêtements. « Qu'est-ce qu'on dit ? » « Merci » « Merci qui ? » « Merci maman ». La maman en question est celle de la famille d'accueil de François. Elle vient de lui acheter une veste bleue, un cadeau utile pour lequel l'enfant doit la remercier.

Josette, la fille naturelle de la maman, balance à son frère d'adoption « qu'est-ce que t'es moche ». Il lui rétorque « tu t'es pas vu ». Comme dans Les 400 coups, le ton est vif, direct. Il le demeurera tout au long du récit qui s'étale sur quelques mois jusqu'à Noël. François, contrairement à Josette une gamine gâtée, n'a pas sa propre chambre, il vit sur le palier, comme le remarque avec déception le directeur de l'assistance publique venu faire le point avec les parents.

Il a une bonne tête d'ange le François mais la maman veut s'en débarrasser. Dans la cuisine (Maurice Pialat a aussi l'art de trouver des décors dans leur jus), elle déballe tout ce qui ne va pas, laissant peu la parole à son Roby, son mari interprété par Raoul Billerey, un bon gars mais épuisé par le travail. François, histoire de la faire culpabiliser, ira acheter un foulard chic dans une boutique pour l'offrir à cette mère éphémère, œil pour œil, cadeau pour cadeau.

Avant de se retrouver chez Pépère et Mémère (Monsieur et Madame Thierry, un couple d'acteurs non professionnels, parfaits) nouveaux parents nourriciers, Maurice Pialat filme le convoi des enfants en train puis en voiture. C'est un bloc documentaire puissant et cruel en même temps où est décrit le destin de ces enfants abandonnés ou orphelins en recherche de famille dans un montage qui laisse apparaître plusieurs plans séquences entremêlés.

C'est ainsi que fonctionne la mise en scène dans L'Enfance nue, le documentaire brut alterne avec la fiction de François dans cette famille entre les deux vieux, le grand « frère » Raoul (à l'accent à couper au couteau) et « mémère la vieille », la grand-mère maternelle que François affectionne particulièrement. Pour les scènes documentaires, on découvre comment on ventile les enfants, comment une maman ne « veut pas d'un petit Noir, comment le directeur fait ses rapports.

Dans la nouvelle famille, François continue d'être bien gentil, poli, d'avoir une bonne tête d'ange et pépère et mémère lui rendent bien cette gentillesse. C'est très beau de voir ce couple rejouer certaines scènes de leur vie, raconter leur passé à François, elle sur les genoux de lui « tu vois on s'aime bien », la douceur derrière leurs grosses lunettes est là, la petite blouse, le gentil sourire. On les suit en famille, à un mariage, pendant les repas.

Dans une scène, Maurice Pialat saisit toutes les contradictions de cet enfant solitaire. Dans une salle de cinéma, il traîne avec quelques jeunes plus grands que lui, il est fasciné par le bagout de l'un d'eux qui se taillade la peau pour faire un tatouage. Il rêve de devenir comme ces grands. Mais dès la salle éteinte et le western lancé, plus rien d'autre ne l'intéresse que ce qui se passe sur l'écran.


Plus on l'aime, plus François fait des conneries. Il vole tout et n'importe quoi, il pisse au lit, il ne travaille pas à l'école, il se dispute avec Raoul, jusqu'à l'incident fatal, il jette de la ferraille trouvée au bord d'une voie ferrée sur une voiture. Je suis encore sidéré de voir la violence de ce premier long-métrage et pourtant malgré tout ce qui arrive à François, Maurice Pialat retient cette émotion primaire que ce genre de sujet appelait, c'est sa plus grande force.