Les
tentatives de film de science fiction sont tellement rares en France
que La Jetée
fait figure de pierre angulaire, voire d'exemple indépassable. Quand
le film sort en France, le monde est encore sous le coup de
l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Par le plus grand des
paradoxes, des cinéastes français, dont Chris Marker, ne vont pas
tarder à s'engager dans la militance cinématographique contre la
guerre du Viet-Nam enclenchée, soutenue et maintenue par ce même
John Fitzgerald Kennedy.
C'est
dire si ces images dans La
Jetée qui montrent un Paris
détruit, un Arc de Triomphe étêté, une cathédrale dévastée
trouvaient un écho dans l'esprit collectif. Les ravages nucléaires
étaient proches, devant le nez des gens et Chris Marker rappelle
cette angoisse, cette menace, dans son film. « La surface de
Paris, et sans doute de la plus grande partie du monde, était
inhabitable, pourrie par la radioactivité », dit la voix de
Jean Negroni, le récitant de cette histoire de dystopie inéluctable,
de cette guerre qui éclatera un jour.
Si,
comme le disait Michel Subor dans Le
Petit soldat, « le
cinéma c'est 24 fois la vérité par seconde », alors
qu'est-ce donc le souvenir ? Dans La
Jetée, les souvenirs arrêtent
cette idée de mouvement, de ralenti, d'accéléré propres au
cinéma. Chris Marker a nommé son film un photo-roman, mais ne
s'interdit ni les fondus enchaînés, ni le recadrage, ni le montage
cut. La Jetée
est ainsi une cristallisation de photogrammes, une compression de la
mémoire de cette homme et de cette femme qui se rencontrent sur
l'aéroport d'Orly.
L'un
des derniers films de Chris Marker, co-réalisé avec Yannick Bellon,
était titré Le Souvenir d'un
avenir, c'est exactement
l'idée du récit de La Jetée,
l'histoire d'un homme marqué par une image d'enfance. La
Jetée est la première
déclinaison dans le cinéma de Chris Marker de son goût pour
Hitchcock et pour Vertigo.
Ce souvenir d'enfance, cette madeleine mémorielle, cette image
nodale, c'est cet homme étendu que regarde ce gamin dont on ne voit
que les jambes, installé sur la rambarde de la jetée.
La
science fiction se décline simplement. La science est commentée
avec son lot de nouvelles inquiétantes, ses visages fermés et
enfermés dans des bunkers de béton. Et cet homme qui porte des
lunettes étranges et le héros du film qui subit des expériences où
il doit se projeter dans l'avenir, vers d'autres mondes où il ne
reconnaît rien. La fiction est le récit sur 50 jours dans le Paris
de 1963, ensoleillé avec de vrais enfants, de vrais oiseaux, de
vrais chats. La fiction de La
Jetée c'est aussi un
documentaire sur ce Paris de cette époque qui n'existe plus que dans
les souvenirs du cinéma.
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