vendredi 31 mai 2019

J'ai aussi regardé ces films en mai


Les Plus belles années d'une vie (Claude Lelouch, 2019)
Ne jamais se refuser un petit Lelouch, un petit plaisir coupable. D'autant que ce 49ème film de Claude Lelouch (c'est lui qui l'inscrit dans son générique de fin) est la simplicité incarnée. Deux personnages, connus, archi-connus, inutile de les présenter. Ça en jette, ça change de tant de films pédants qui mettent des plombes pour donner un aspect psychologique complexe à leur personnages. Lelouch n'a plus besoin de ça pour ressusciter Jean-Louis et Anne, 53 ans qu'il les a réunis et si la pub dit que ce sont leurs retrouvailles, c'est que Lelouch tente d'oblitérer la suite tournée en 1986 pour les 20 ans d'Un homme et un femme, un film oublié et invisible. Et comme je le disais, ils étaient aussi réunis dans une courte scène de Viva la vie. Simplicité certes mais le cinéaste veut toujours faire le malin et quand arrive enfin la promesse dans le dernier quart d'heure, il gâche tout : on peut voir sur grand écran son court-métrage de 1976 C'était un rendez-vous, une traversée des rues de Paris en plan séquence en caméra objective. Mais hélas, il ne peut pas s'empêcher d'ajouter des images d'Anouk Aimée et Trintignant en transparence et l'atroce chanson de Calogero. Sinon, le film est très bien.

Sibyl (Justine Triet, 2019)
le film ne vaut que pour les strates narratives qui se superposent, se retranchent, se complètent et se contredisent. C'est une construction assez amusante mais également harassante parce qu'elle ne prend jamais de pause et donne parfois l'impression, pas forcément agréable, de mouliner dans la semoule. Trois niveaux au moins de temporalités, le présent et deux flash-backs, chacun censé alimenter le fil du récit des deux autres. Seulement voilà, seule une demi-heure est vraiment foisonnante, celle du tournage à Stromboli parce que justement c'est un film sur un film en train de se tourner. J'ai encore un peu de mal à trouver Virginie Efira géniale mais il vrai qu'à côté de ses deux principaux partenaires, il est épatante.

Séduis-moi si tu peux (Jonathan Levine, 2019)
Si j'aime ce film au si hideux titre français, c'est parce qu'il me rappelle la belle époque de ces comédies des années 1990 où l'on croyait encore à un cinéma hollywoodien à la Frank Capra (Président d'un jour de Rob Reiner en est l'exemple suprême), ce qui change tout de même beaucoup des films avec Channing Tatum, Jamie Foxx (White House Down) ou ceux avec Gerard Butler et Aaron Eckhar (Olympus has fallen). Certes le récit est faible et convenu, moins transgressif que la série Veep, mais l'essentiel est ailleurs : Il faut aimer à la folie le comique de Seth Rogen et être capable de comprendre les jeux de mots (pas très bien traduits) en anglais américain. On entend la chanson Word Up de Cameo, voilà quelqu'un qui a du goût.

Lettre à Freddy Buache (Jean-Luc Godard, 1982)

Lausanne, la Suisse / la surface SURface / Le boléro de Ravel, un tourne disque, une console de son, une table de montage / Mouvements de caméra, travellings, panoramiques, zoom / La ville, la campagne et le lac / Freddy Buache, une commande, une lettre filmée / Autoportrait / JLG / Les gens dans la rue / La voix de Godard / Se promener en Suisse / Le ciel, les nuages, les branches / « La mort du cinéma » / Le patron de la cinémathèque suisse / Vidéo, film / Discussion en solo à deux / Freddy Buache, 1924 - 2019











jeudi 30 mai 2019

Divorce à l'italienne (Pietro Germi, 1961)


Les cheveux plaqués à la gomina, la moustache fine, le porte-cigarette à la main, Fernando Cefalù (Marcello Mastroianni) rentre dans sa ville natale en train. Féfé, comme toute le monde le surnomme, n'est pas n'importe qui dans la commune de Agromonte, il en est le baron, un nobliau dont il porte les signes distinctifs dans cette posture distingués. Il sort de son compartiment et traverse le wagon et retrouve sa ville de Sicile.

C'est la voix off de l'acteur qui décrit l'environnement dans lequel il va évoluer et qui va permettre de comprendre pourquoi il est dans ce train. C'est d'abord une présentation statistique de la ville, le nombre d'habitants et surtout d’illettrés. Puis il en vient à présenter toute sa famille qui l'attend. Le tout est fait avec une belle ironie, on comprend assez vite le peu de sympathie que Fernando a pour à peu près tout le monde.

Il raconte qu'il est marié depuis 12 ans avec Rosalia (Daniela Rocca) au visage ingrat. Elle porte une moustache de duvet sur les lèvres et surtout ces deux sourcils sont joints. Chaque soir, Féfé refuse les câlins qu'elle lui offre sous n'importe quel prétexte. Ce qu'il n'ose pas dire est qu'il est amoureux de sa jeune nièce Angela (Stefania Sandrelli) qui est encore au lycée. Evidemment, cette passion doit rester secrète du reste de la famille.

Pietro Germi montre ses membres comme autant de monstres. Les parents possessifs, le grand-père qui met la main aux fesses de la petite bonne, la sœur à lunettes qui est amoureuse d'un ami, un croque-morts, l'oncle qui se dispute sans cesse avec le reste de la famille. Tout le monde se retrouve le dimanche sur les premiers bancs de l'église, à écouter le curé ordonner de voter pour la démocratie chrétienne (gag hilarant).

L'ensemble du film ne se départ pas d'un ton sarcastique qui enrobe tous ces hypocrites et en premier lieu Féfé qui, quand il est chez lui, n'est pas aussi fringant que lorsqu'il est en représentation. Bien au contraire, il ne quitte jamais son pyjama rayé (comme s'il était en prison), il ne se coiffe plus gardant ses cheveux hirsutes, laissant son petit tic de la bouche prendre le dessus. Et plus Féfé repousse sa femme, plus il a envie de la jeune Angela.

Petit à petit, il manigance un plan pour se débarrasser de sa femme et c'est cela le récit profond du film, car en Italie on ne divorce pas, et surtout pas en Sicile, c'est illégal et en plus ça déshonore la famille. Avec une joyeuse ironie, tout va se faire le soir de la projection de La Dolce vita dont on voit quelques extraits et surtout une séance où toute la ville semble venue voir ce film, où on ne voit pas Marcello Mastroianni mais seulement Anita Ekberg.

mercredi 29 mai 2019

La Grande vadrouille (Gérard Oury, 1966)

Le Paris de La Grande vadrouille grouille de résistants. Partout, dans le parc zoologique de Vincennes, à l'opéra Garnier, sur l’échafaudage d'un immeuble, personne n'aime l'occupation allemande et quand trois aviateurs anglais, contraints et forcés par les tirs de la DCA, se trouvent à sauter en parachute après s'être perdus en vol, ils atterrissent dans le ciel de Paris et la folle course poursuite démarre, ce sera à celui qui échappera le premier aux soldats allemands.

Rien n'est dit sur cette époque bénie où aucun Français n'était collabo. C'est qu'ici, on n'est pas encore dans Papy fait de la résistance, l'autre film comique sur l'occupation et la résistance secrète. Les deux films, distants de 18 ans seulement, fonctionnent sur un comique similaire qui file tout le récit, le conduit pour indiquer que tout cela n'est qu'un gentil simulacre : le déguisement, le travestissement.

Pour Martin Lamotte chez Jean-Marie Poiré, ce sera le costume de Super Résistant, chez Gérard Oury, le premier opposant à l'occupation est le comédie lyrique de l'opéra qui doit incarner Méphistophélès dans le Faust. Dans son bel habit rouge de diable, il indique à trois ou quatre techniciens où et comment installer la bombe qui doit exploser quand un ponte de la Wehrmacht va venir assister au spectacle. Le diable pour sauver la France.

On remarquera dans cette séquence de préparatifs d'un attentat que tout le personnel de l'opéra semble convaincu de cette cause. Que personne n'a peur d'agir, ni de s'exprimer, certes tout dans la discrétion. Mais c'est bien une France unie contre l'occupant qui est décrite rapidement dans les diverses séquences d'ouverture, tout le monde sauf nos deux héros, le chef d'orchestre Stanislas Lefort (Louis de Funès) et le peintre Ausgustin Bouvet (Bourvil).

Le premier est lui aussi déguisé, il porte une perruque à la Beethoven et se fait donner du « Herr Kappelmeister » par le commandant à la recherche des Anglais. Quand Stanislas comprend que McIntosh (Mike Marshall) le parachutiste est dans sa loge, hop, il le déguise en élève bien propre sur lui à qui il donne des leçons de harpe, puis il sera déguisé en jeune femme quand il faudra le faire sortir de l'opéra.

Augustin reçoit sur la tête Cunningham (Claudio Brook, l'acteur mexicain jouait la même année Simon du désert pour Luis Buñuel). Après une course sur les toits de Paris, Augustin et l'Anglais débarquent chez une jolie jeune femme Juliette (Marie Dubois) et pour tromper les soldats allemands, ils se font immédiatement passer pour mari et femme (l'une de ces scènes où Bourvil s'extrait pour un court temps de son apparence naïve pour devenir un macho).

Enfin, pour retrouver le troisième Anglais, Sir Reginald (Terry-Thomas), un homme à la moustache proéminente – qu'il devra couper, autre travestissement mais inversé – le peintre et le chef d'orchestre vont aux bains turcs et se font passer pour des Anglais, chantant Tea for Two, cherchant un moustachu, la scène flirte avec la drague homosexuelle quand les deux hommes tournent autour d'un gros moustachu qui n'a rien demandé.

La grande vadrouille, la course vers le sud et la France Libre commence. Encore une fois, un changement de tenues s'effectue quand les quatre hommes volent des vêtements à des passants (McIntosh travesti en fille de joie attire les hommes sur le trottoir). Habillés en civils, pouvant passer inaperçus, ils finissent pour ne pas se faire prendre par les hommes du Major Achbach (Benno Sterzenbach) par se faire passer pour des postiers.

Au fur et à mesure de leur trajet, au fil des séparations et des retrouvailles, Augustin et Stanislas doivent changer leur identité, devenir les époux ivrognes de Juliette et de la patronne de l'auberge (Colette Brosset), porter des uniformes allemands pour traverser la frontière mais avant cela ils auront le malheur de se tromper de chambre dans l'hôtel et vont se retrouver dans les chambres et les lits de ceux qui le traquent.

Face à tous ces changements, déguisements, travestissements, seuls les Allemands ne changent pas, toujours obnubilés par les ordres qu'ils donnent et reçoivent. C'est cela qui va les perdre, ils ne s'adaptent jamais aux situations contrairement à nos héros français comme anglais, hommes et femmes courageux qui décident de ridiculiser l'imposant et intransigeant Major Achbach pour lui prouver qu'il a toujours tord.


Tous les Allemands seront ainsi ridiculisés, humiliés (dès le départ avec ce pot de peinture qui gicle sur un général), réduits à des animaux stupides (Achbach ronfle comme un cochon), c'est ce qui s'appelle une revanche sur l'Histoire, le grand travestissement de la résistance et de l'occupation en un généreux compromis comique. 





























mardi 28 mai 2019

Biélutine (Clément Cogitore, 2011)

Les mains tremblent un peu, mais elles parviennent petit à petit, avec lenteur, à allumer les bougies. L'appartement des Biélutine est bien sombre, il est plongé dans un clair obscur digne des maîtres flamands et ce ne sont pas ces bougies allumées par Nina, l'hôte de Clément Cogitore et de son chef opérateur Sylvain Verdet. Nina Biélutine s'adresse à eux, dans un français primitif au fort accent russe, elle leur parle comme s'ils étaient des invités.

Clément et Sylvain, comme elle les appelle, sont venus filmer ce couple de vieux russes juifs dans leur petit appartement de Moscou. Cet appartement constitue leur univers, Ely, l'époux de Nina clame ne l'avoir jamais quitté et qu'il ne sort jamais. En revanche, les Biélutine reçoivent souvent, ils ont des invités, Ely ou Nina tire le lourd rideau qui masque la porte qui les sépare de l'extérieur, tous s'assoient pour boire et manger.

Comme pour les bougies, les mains tremblent un peu pour servir la vodka, pour découper les gâteaux, pour servir les mets. La table est grande, les convives heureux d'être là, de discuter et au centre de tout cela Ely et Nina qui racontent ce lieu étrange que le jeune cinéaste découvre tant bien que mal. Car les Biélutine vivent dans un musée, le grand-père de Monsieur a pendant des années acheté des toiles de maîtres.

Les murs sont remplis de peinture qui valent des millions et l'ensemble ressemble à un musée secret où seuls quelques privilégiés ont accès. Ce repas est filmé presque en direct et l'ivresse s'empare des hôtes comme des invités. Les Biélutine se dévoilent peut à peu, on apprend par exemple qu'ils sont d'origine italienne et que Monica Belucci est de leur famille. La joie envahit tout ce beau monde tout en révélant que ce monde vit ici ses derniers jours.


Rétrospectivement, Biélutine est le pendant lumineux de Braguino (les deux courts-métrages sont réunis sur un même DVD), deux visions absolument opposées de la Russie d'aujourd'hui. Une Russie fermée, paranoïaque, dégénérée, celle de Braguino filmée en extérieurs, en pleine lumière, une Russie ouverte, éclairée et cultivée, celle de Biélutine filmée en intérieur, en pleine obscurité. L'art distingué de Clément Cogitore est dans ce simple contraste.