Affichage des articles dont le libellé est Brésil. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Brésil. Afficher tous les articles

samedi 12 décembre 2020

Um clássico, dois em casa, nenhum jôgo fora (Djamal Limongi Batista, 1968)

Découvert grâce à Didier Roth-Bettoni qui cherche inlassablement tout ce qui peut augmenter son livre somme sur l'homosexualité au cinéma (pour une éventuelle sortie en 2021), Um clássico, dois em casa, nenhum jôgo fora, court-métrage fauché d'un jeune étudiant en cinéma brésilien a été tourné, avec les moyens du bord (caméra 16 mm, noir et blanc, son non direct) en pleine dictature militaire. A l'époque – comme maintenant d'ailleurs – les gouvernants brésiliens ne rigolaient avec les images des amours homosexuelles, alors Djamal Limongi Batista est à la fois très direct et s'amuse de l'interdit.

Le direct est le corps de son jeune acteur, Eduardo Nogueira étoile filante du cinéma brésilien, que le cinéaste se plaît à filmer le plus nu possible (le maximum est le slip comme simple vêtement dans les premières secondes). En fond sonore, un match de foot, la vraie religion brésilienne (ce qui évoque le um clássico du titre, à traduire par « match de foot classique »). Un autre jeune homme finit de s'habiller, une fois sa cravate mise, il sort et laisse Antonio seul dans son lit. La chambre est décorée de photos de femmes (chanteuses, actrices, je ne le sais pas). Le jeune cravaté descend et prend le petit déjeuner avec la famille.

C'est ensuite au tour d'Antonio d'aller dans la cuisine, il apparaît derrière une porte, dans l'obscurité, tel un Nosferatu. Sa mère lui sert le café, le père – un bon costaud au visage rustre – est déjà parti, la sœur passe le balai. La maman cajole son fiston qui part en ville (le film est tourné à São Paulo). La caméra se balade dans les rues de la ville, notamment une rue très passante, les visages sont scrutés (parfois les passants sont étonnés) tandis qu'au milieu Antonio semble perdu à lui-même, il ne reconnaît à peine le jeune homme avec qui il a pourtant passé la nuit. Antonio continue son chemin dans un immeuble en construction.

Des effets de modernité abondent dans le court-métrage, des regards caméra, des faux raccords abondent (toujours pour marquer la confusion d'Antonio), un hommage important à Jean-Luc Godard (des affiches publicitaires qu'observe Antonio), un plan en « positif », avec une idée politique, celle du faux qui envahi son espace, toutes ces gens qui sourient alors que la dictature les soumet, peu importe, ils vivent librement, un match de catch et la publicité donc comme indices du faux, de le consommation facile, du spectacle permanent pour oublier la vie quotidienne. Antonio tente de participer à ce simulacre de vie, en vain.

Cela se poursuit avec la main d'Antonio qui manipule un appareil de projection. Là encore l'idée de Godard de la vérité du cinéma. La toile de cinéma est un drap tendu par un jeune amant rencontré par hasard et séduit immédiatement (beau panoramique en regard caméra). Le drap cachait sa nudité, il sert à s'affirmer. Les dernières minutes du film sont les plus sensuelles, le cinéaste poursuit son idée de filmer deux corps avec force évocation, certes les corps sont nus mais ce sont les mains qui simulent l'acte sexuel. Les dernières secondes évoquent Pier Paolo Pasolini, comme pour Godard, il n'est pas certain que ce jeune cinéaste de 18 ans avait vu leurs films mais c'est probable.































vendredi 13 décembre 2019

Océan (Océan, 2019) + Indianara (Aude Chevalier-Beaumel & Marcelo Barbosa, 2019)


Deux prénoms pour titre de film. Deux prénoms particuliers, singuliers comme peu de gens en porte. Au Brésil c'est Indianara, une femme transgenre, en France c'est Océan un homme transgenre. Ce dernier avait déjà réalisé un film quand il était une femme, une comédie très nulle Embrasse-moi et son film Océan retrace sur près de deux ans, de janvier 2018 à octobre 2019, son changement de genre. Attention, il insiste, il ne s'agit pas de changement de sexe mais bien de genre. Océane était lesbienne, il va devenir un homme transgenre.

Le film présenté dans quelques cinéma, comme une tournée (c'est indiqué ainsi sur l'affiche), est la mise bout à bout d'un journal intime sur son changement diffusé par France Télévisions (la série est visible ici). On n'échappe pas au narcissisme du comédien qui s'avère parfois très pénible dans les premières minutes. Il est entouré de tout un tas d'amies qu'on dirait des caricatures de bobos parisiennes. Surtout, Océan ne peut pas s'empêcher de donner des leçons à tout le monde (sa pauvre maman) et d’égrainer sa haine du cisgenre.

Pour être honnête, c'est la peur du changement qui rend Océan ainsi. Une trouille incommensurable qu'il tente de cacher par une tchatche constante et des rires sonores. C'est une voyage vers l'inconnu qu'il mène. Il a beau avoir discuté longuement avec d'autres hommes transgenre, préparé avec minutie son changement et être entouré d'amies et de famille, il se rend compte que tout est compliqué. Le film montre toute cette complexité et Océan ne se prive pas de mettre dans le film ceux qui l'égratignent. De ce point de vue, il ne se donne pas forcément le beau rôle.

La politique est relativement absente de son film, si ce n'est lors d'un conférence à Saint-Denis. Dans Indianara, c'est tout l'inverse. Son personnage éponyme est une pasionaria de la politique très connue dans son quartier et dans sa ville. Dans les manifestations politiques qui émaillent le film (et elles sont nombreuses et remplies de protestataires), elle prend chaque fois le haut-parleur pour exprimer une voix que les politiciens professionnels comme les leaders syndicaux essaient de ne pas laisser s'exprimer.

Indianara commence dans un cimetière et se termine par des funérailles, c'est dire que tout n'est pas rose dans ce Brésil filmé, comme Océan, pendant deux ans par le duo de cinéastes. Tout se termine par l'élection du président d'extrême droite. Exactement ce que craignait Indianara et ses amies, l'arrivée d'un salaud au pouvoir. C'est là que toutes ces manifestations prennent de l'importance, que cette parole forte et précise peut se développer. Le discours d'Indianara est toujours le même, elle ne transige pas, elle exige les mêmes droits pour tous.

Son rôle au sein de la communauté est de protéger les autres transgenres. En début de film, elle accueille dans un taudis une demie-douzaine de femmes transgenre. Elle leur dit en substance que ce taudis c'est mieux que vivre dans la rue. On est ici dans le lumpen prolétariat brésilien. Indianara vise à améliorer leur vie. On partage des repas, on se baigne dans la piscine que Mauricio, le compagnon d'Indianara, a installé dans le jardin de leur maison, on discute et bien entendu, puisque c'est le cœur du film, on manifeste.

Les deux films se ressemblent mais sont totalement opposés dans la manière poignante d'évoquer deux destins singuliers (c'est l'adjectif le plus concret que j'ai trouvé, ça fait deux fois que je l'emploie). On sent le drame constant derrière les éclats de rire réguliers. On sent qu'on joue aussi une comédie, on tente de faire bonne figure, pour lutter contre les stéréotypes. Ça marche, les deux films, deux documentaires modestes à l'image parfois ingrates, se complètent, se répondent d'un continent à un autre, d'un genre à un autre.

mercredi 30 octobre 2019

Le Traître (Marco Bellocchio, 2019)


« Un toast à nos amis, à nos familles et à l'argent ». Toute la mafia sicilienne est réunie dans la cossue demeure de l'un de ses pontes. Ils décident de se partager le marché de l’héroïne entre les différentes familles. Tout cela se passe le soir du 4 septembre 1980, c'est ce jour-là que commence Le Traître, c'est ce jour-là que l'hôte de la soirée, avec un grand sourire, propose de porter un toast dans l'espoir que tout se passe bien « pour cette famille et pour cette paix qui durera toujours ». puis, sur la plage un feu d'artifice est tiré et tout le monde acclame la sainte du jour, Viva Santa Rosalia puis se mettent à danser en farandole comme s'ils étaient tous unis.

Cette séquence d'ouverture d'à peu 10 minutes repose sur les clichés des films de mafia italiens (et américains aussi). Légion depuis des années pour ne pas dire à la mode (Piranhas, Gomorra, 5 est le numéro parfait, Frères de sang pour les plus récents), ils reposent toujours sur cette idée de la famille. Marco Bellocchio les montre tous dans une fête. Il passe de l'un à l'autre, avec l'hôte, tout à sa joie, qui souhaite prendre une photo avec tout le monde. Le cinéaste en profite pour incruster sur l'écran le nom de toute cette population. Le cliché est pris avec tout le monde, certains tirent la tronche, ils n'ont pas envie de ce souvenir éventuellement compromettant.

La gueule de l'emploi, Pierfrancesco Favino l'a pour jouer ce Tomasso Buscetto, lunettes de soleil la plupart du temps sur le visage, clope au bec tout le temps et grosse moustache. Buscetto a une famille, plutôt nombreuse. Il a eu trois femmes et huit enfants. En cette fin 1980, il s'apprête à partir au Brésil avec Cristina (Maria Fernando Candido) et ses trois jeunes enfants. Il compte laisser les deux aînés, maintenant adultes, en Sicile. Il est inquiet pour Benedetto que le père découvre complètement défoncé. Son regard noir, qu'il ne changera guère, juge ses compères et ses pairs et son exil forcé au Brésil.

Il faut tenter d'écouter attentivement ce que disent les personnages. Le film est polyphonique. Cristina et Tomasso parlent entre eux en portugais, ils sont ainsi à peu près sûr que personne ne les comprend. Lors de son second exil aux USA, on entendra aussi de l'anglais mais avec un fort accent, forcément. La plupart des siciliens parlent le dialecte local entre eux. Cela créera des incidents plus tard lors du procès quand Contorno (Luigi Lo Cascio) n'échinera à ne parler que sicilien. Le tribunal lui ordonnera de parler italien, mais Contorno ne sait pas parler italien. Cela dit, c'est surtout le langage du corps qui prime avec ces doigts en corne pour porter un mauvais sort que lancent les autres accusés.

Le gros morceau du film est constitué des scènes de procès. Elles sont absolument géniales avec une disposition des protagonistes qui compose la dramaturgie. D'un côté les juges sur leur estrade, derrière des pupitres qui coupent leur corps en deux. On ne voit que le haut. De l'autre côté, les prévenus dans des cellules qui forment un croissant. Les accusés cherchent à toute force à perturber le bon déroulement du procès. Alors que tout cela est très sérieux, ces perturbations apportent un élément comique comme on n'en voit rarement. Ils sont des pitres, ils sont facétieux, ils sont impertinents. Rarement, je n'ai autant apprécié des scènes de procès où tout est en mouvement constant avec au centre Buscetto qui tourne le dos à ses anciens amis.

Le procès a eu lieu en 1986 après que Buscetto ait décidé de se repentir. Il va tout raconter au juge Falcone (Fausto Russo Alesi) non pas pour se venger de l'assassinat de ses deux fils par Riina (Nicola Cali) le chef du clan Corleone et son allié Pipo Calo (Fabrizio Ferracane) mais parce qu'il pense que ce sont eux qui ont trahi la Cosa Nostra. Avant le procès, ce sont des longues scènes de dialogues entre Buscetto et Falcone qui sont de haute tenue. L'histoire est vraie mais la matière dépasse tellement la fiction que tout semble incroyable. Le film dure certes 2h31 (avec 9 minutes de génériques) mais tout passe vite dans un enchevêtrements entre les époques, voilà un immense film politique, une œuvre de cinéma total pour un immense plaisir de spectateur.

mercredi 25 septembre 2019

Bacurau (Kleber Mendoça Filho & Juliano Dornelles, 2019)

La route est sinueuse pour entrer dans ce village qu'est Bacurau. Nous sommes au Brésil dans un futur proche qui ressemble comme deux gouttes d'eau au Brésil d'aujourd'hui ou d'avant hier, on est très loin de la côte océanique encore plus loin de l'Amazonie, finalement les deux seuls endroits de ce pays continent que l'on connaît et en plus on nous trimballe dans un véhicule pas très confortable où ça tangue. Donc ce futur proche mais pas si éloigné n'a pas apporté de considérables changements de mode de vie.

On apprend dans la discussion entre le chauffeur et son passager que le village souffre d'un problème d'eau. D'ailleurs, le camion citerne qui arrive dans le village s'est fait tiré dessus et dans cet endroit l'eau est encore plus nécessaire compte tenu du climat sec, la photographie décrit avec rudesse l'atmosphère qui va devenir de plus en plus étouffante. Le jour c'est du jaune soufre, une lumière éblouissante et la nuit, c'est le noir absolu avec une menace qui commence à troubler la tranquillité des habitants.

Bacurau n'existe plus, elle est devenu un no man's land, la commune n'est plus indiquée sur la carte routière. Dans cette disparition future, il y a quelque chose de Heureux comme Lazzaro dans Bacurau, dans cette coupure avec le temps, non pas le passé mais le futur mais cette fois la communauté, les habitants du village que l'on découvre petit à petit avec l'arrivée de Teresa (Barbara Collen) malgré ce regard caméra angoissé de Domingas (Sonia Braga) sont unis mais inquiets de ce qui se passe.

Ce qui se passe est l'arrivée à toute vitesse d'un couple de motards. Leur aspect, leur tenue aux couleurs vives jure dans les herbes et le sable du lieu, leur démarche lente amène l'idée d'un western. Ils observent le village, sa population, tout autant qu'ils sont observés. C'est le début d'une chasse qui va s'engager dans quelques minutes entre ces hommes qui causent anglais et ces brésiliens qui partent se réfugier dans un minuscule musée, allégorie d'une civilisation que ces anglophones veulent détruire.

Le village n'est pas uni, c'est le moins qu'on puisse dire, des vieilles rancunes font surface dans les discussions, des rivalités vont réapparaitre. Bacurau ne présente pas un peuple uni, une sainte communauté, c'est plutôt l'inverse mais ils vont devenir s'unir contre les rapaces qui commencent à tournoyer autour de leur village, ce sont des drones envoyés par les chasseurs pour pratiquer leur safari. Ce sont deux civilisations qui s'affrontent avec des moyens dérisoires d'un côté. La guerre est déclarée.

L'arrivée de Udo Kier au milieu du film est une excellente surprise, c'est même un bonheur d'autant que le film se transforme petit à petit dans cette forme rétro-futuriste en slasher politique. Les deux cinéastes réussissent dans Bacurau ce qu'avaient tenté et raté Jessica forever (peu de spectateurs ont vu le film, ça va être dur de comparer). Voilà le bon film de ce début d'automne qui méritait autant la Palme d'or que Parasite avec qui il a beaucoup en commun, ce désespoir joyeux, cette vivacité incomparable. Pourvu que Bucarau ait le même succès.

mercredi 28 novembre 2018

Diamantino (Gabriel Abrantes & Daniel Schmidt, 2018)


Sur une belle image colorée de galaxie intersidérale, le nom de Diamantino s'affiche quelques secondes. Il est une star du football, adulé par des milliers de supporters venus dans ce stade immense que la voix off compare à la Chapelle Sixtine, rien de moins. Le football, surtout au Portugal, est une religion et Diamantino (Carloto Cotta, l'acteur était le très joli moustachu dans le très beau Tabou de Miguel Gomes) est le Dieu du ballon rond. Ce long travelling au dessus de la ville nocturne et qui débarque sur ce stade embrase le destin de Diamantino.

Le match de foot qui entame Diamantino se soldera par l'échec du tir au but du joueur. Il s'imagine aidé dans sa tâche majestueuse par des « petits chiens poilus » qui débarquent sur la pelouse du stade le tout dans un nuage vaporeux rose qui flotte tel une rêverie ouatée. Des petits chiens qui apparaissent comme des toutous géants et remplacent les autres joueurs. Diamantino est l'homme phare du football portugais, le seul, l'unique, mais en ratant son tir, il devient le moins que rien, le paria du football, et le pauvre gars ne comprend pas ce qui lui arrive.

Que faire quand il ne joue pas au football, traîner sur son yatch avec son papa chéri et découvrir que parfois la vie n'est pas marrante. Sur une faible embarcation, il croise des réfugiés africains. Tino, comme l'appellent ses deux sœurs, des jumelles méchantes comme les sœurs de Cendrillon, qui profitent son argent et de sa notoriété, a envie d'aider les gens et il veut adopter un petit « fugié », le pauvre footballeur n'est pas capable de dire « réfugié », il ne sait même pas ce que ça peut être un réfugié, il croit que tout le monde est riche.

Dans son château, loin de la ville, loin des tumultes, dans la campagne, il va accueillir Rahim (Cleo Tavares), petit immigré africain. Il lui installe une chambre avec plein de jouets, il lui donne à boire du soda Bongo, il le nourrit avec des gaufres au nutella et à la chantilly. Tino, torse nu, fier de son corps athlétique (Carloto Cotta est souvent à moitié nu, en slip, en short, en survèt), arrive dans la chambre du fils adoptif et tel un Cristiano Ronaldo plus vrai que nature, fait quelques photos pour les réseaux sociaux, content de sa bonne action.

A vrai dire, le film ne serait pas franchement palpitant s'il n'était qu'une critique du star system et s'il s'en prenait qu'au pauvre Cristiano. Les deux cinéastes américains, qui signent leur premier long-métrage, prennent des voies plus surprenantes et font dévier leur récit vers le fantastique et la science-fiction avec un haut sens de l'absurde et un constant humour. Il est aussi une farce politique où le spectre de l'extrême droite hante les simples d'esprit, les manipule, Tino sera l'objet d'enjeux politiques et scientifiques qui le dépassent.

Rahim n'est pas un adolescent mais une femme nommée Aisha et Aisha aime Lucia (Manuel Guedes) qui se déguise parfois en religieuse. La sexualité est l'un des motifs les plus troublants de Diamantino, son personnage éponyme ignore ce qu'est le sexe, Son corps se transforme comme celui des jeunes garçons sauvages de Bertrand Mandico se transformaient. Il faut voir dans ces films comme une Nouvelle vague sur les cinéma des genres, sexualité et série B comme le renouveau d'un cinéma d'auteur d'économie modeste mais puissant en évocation.

jeudi 17 mai 2018

Corpo eléctrico (Marcelo Caetano, 2017)


Il ne faut pas se fier à l'affiche aux couleurs chaudes (largement inspirée de celle créée par Andy Warhol pour Querelle) en encore moins à la bande annonce qui mise sur la présence des drag queens exubérants et flamboyants. Corpo eléctrico fait partie de ces films qui avancent lentement avec un scénario minimaliste, appuyant sur l'aspect documentaire du métier des protagonistes. Ici, Elias (Kelner Macédo), petit gars bien propre sur lui, il vient d'arriver à São Paulo et travaille dans une usine textile.

Le jeune homme de 23 ans ouvre le film, allongé dans son lit, nu, un joint à la bouche, il discute avec son mec du soir. La première partie alterne les scènes de lit en plan fixe serré avec des longues discussions de Elias avec ses plans cul et la découverte de ses collègues dans l'usine textile en plan large. On comprend qu'Elias est le nouveau bras droit de la patronne. On rencontre les ouvriers et notamment Fernando jeune émigré de Guinée Bissau qu'Elias s'empresse de dessiner dans son carnet de croquis.

Ce qui ressort est moins la timidité d'Elias, sa douceur quand il parle, son discret sourire, que sa grande solitude. Chaque repas avec ses collègues, chaque pause est un moment de respiration. Tout à coup, tout le monde se réunit dans la salle commune, chacun sort ses sodas, ses gâteaux à la carotte ou le panettone, chacun discute de tout et de rien, de son passé (Fernando envoie son salaire à sa famille) de son futur peu reluisant. L'important est de ne pas penser à retrouver son petit studio dans un quartier d'immeubles.

Dans la construction de sa vie à São Paulo, il fait deux rencontres totalement opposées. Arthur (Ronaldo Serruya ) et Wellington (Lucas Andrade). Le « daddy » blanc et bourgeois et le « minet » noir et pauvre. Il est attiré par ces deux pôles et plutôt que choisir entre l'un et l'autre, il cherche à les faire se rejoindre. Le DRH l'encourage à accéder à la bourgeoisie compte tenu de sa position dans l'entreprise, il faut tenir son rang, ne pas se mélanger entre classes sociales. L'idée du cosmopolitisme brésilien est battu à froid.

Le film sort de sa sinistrose quand Wellington présente un quatuor de drag queens à Elias. Trois belles scènes éclatent tel un feu d'artifice. La traversée de la ville en scooters illuminés sur un adagio d'Haydn, un mariage païen d'un collègue d'Elias avec sa petite amie toute en tendresse dans la villa d'Arthur en bord de mer, là toutes les classes sociales se mélangent dans tous les sens du terme. Entre les deux, une courte scène de pluie où les piétons envahissent munis de parapluie la rue, accentuant la solitude d'Elias au milieu de la foule en cette veille de Noël.

samedi 2 septembre 2017

Gabriel et la montagne (Fellipe Barbosa, 2017)

Exaspérant. Je crois qu’il n'y a pas de mot plus juste pour qualifier Gabriel. Exaspérant mais tellement sympathique avec sa bonne bouille et ses yeux rieurs. Gabriel (João Pedro Zappa) est un baroudeur, un bourlingueur, un petit gars du Brésil parti en Afrique. Quatre chapitres quatre pays, Kenya, Tanzanie, Zambie et Malawi. Un périple de 70 jours avant de mourir sur une montagne, au creux d’un rocher. Gabriel était un ami du cinéaste.

Pendant un peu plus de deux heures, Gabriel est de chaque plan, de chaque scène. Du plan séquence d'ouverture en plongée, comme vu d'en haut, de l'au-delà où deux paysans malawiens découvrent son cadavre aux photos finales prises par le vrai Gabriel, il va falloir supporter Gabriel. Il s'est pris une année sabbatique avant d'aller faire ses études à Los Angeles. Mais attention, il ne cessera jamais de le clamer : il n'est pas un touriste.

Dans une case en pays Massai, c'est le matin et Gabriel surgit. Tout souriant, il se lève, il est s'est fait héberger chez un « ami » (tous les Africains sont ceux qui ont rencontré le vrai Gabriel Buchman). Pour Gabriel, tout le monde est un ami, un grand ami. Pour les habitants du Kenya, il est un « mzungu », un touriste blanc. Il sera le seul blanc de tout le film, il s’échine à ne surtout pas visiter ce que les touristes viennent d'habitude voir.

Il se fait confectionner des sandales en pneu. Il se munit d'un bâton de marche, il le tournera comme un bâton de majorette. Il se verra offrir un sabre après avoir tranché la tête d'un lapin (hilarante scène où les Massai se moquent de lui, le lapin chez eux, c'est de la bouffe pour les chiens). Et il portera une tunique locale. Voilà pour le look de Gabriel. Il faut ajouter qu'il porte une sorte de bouc au menton, un peu ridicule.

Gabriel n'en fera toujours qu'à sa tête. Il n'écoute jamais les conseils de ses « amis », ces guides qui connaissent chaque recoin et danger de leur région. Il fait des caprices, ne veut plus aller jusqu'en haut du Kilimandjaro après avoir trépigné comme un gamin gâté pour faire l'ascension le plus vite possible. Il gambade sur le mont Munlaje avec ses sandales inadaptées. Il emmerde un guide pour refaire la photo quand il plonge sous une cascade.

Il voyage comme les Africains dit-il. Mais quand il retrouve sa copine en Tanzanie, Cristina (Caroline Abras), elle comprend bien que ce rythme infernal ne tourne pas rond. Elle veut faire un safari photo, Gabriel rechigne, accepte mais va taquiner les zèbres sur leur prairie. Dans une longue discussion étonnante, le passé de Gabriel est évoqué, sa bourgeoisie, ses amis « réacs », ses études, Cristina lui fait une longue liste de reproches.

Tout tourne autour de lui, alors qu'ils se prélassent sur la plage, il a une soudaine enfin de baiser, il la force. Quand elle rentre au Brésil, qu'elle lui a appris qu'elle refuse de le suivre en Californie, il semble décider que rien ne pourra jamais les rapprocher. Il se rase comme s'il voulait se racheter une virginité mais son corps commence à la lâcher et le signe le plus visible est sa main qui part dans tous les sens.

C'est un film très beau, ne serait-ce que par le format scope qui permet d'admirer tous ces paysages et grâce à la polyphonie des langues. C'est un film étonnant, plus proche de celle des 1001 nuits de Miguel Gomes (la sensualité, la douceur) que des films montagnards de Werner Herzog (bien plus rugueux) avec une touche du style de Jean Rouch (la reconstitution du réel), c'est une prise directe avec l'aventure et la folie.

samedi 17 décembre 2016

L'Ornithologue (João Pedro Rodrigues, 2016)

J'imagine que ce qui intéresse le cinéaste portugais dans le choix de Paul Hamy pour le personnage de Fernando est ce mélange de rudesse et de douceur, un physique pas si éloigné de celui de Jason Statham, gueule carrée et pilosité importante mais rassurante, comme un gentil nounours que l'on aurait envie de caresser. João Pedro Rodrigues le filme au début de son film en train de nager, dans un format cinémascope, traversant la rivière de laquelle il observe les oiseaux, histoire de coller au titre du film.

Puis Fernando sort de l'eau, en slip, prépare un café et observe les beaux oiseaux qui nichent et vivent et se reproduisent sur les falaises au bord du fleuve Douro. Dans ces dix premières minutes, trois variétés de plan se succèdent. Fernando observe les oiseaux et l'écran prend la forme des jumelles, les oiseaux scrutent Fernando dans un cadre flou et des plans plus neutres de l'ornithologue qui voyage sur son kayak. Les notions sur les oiseaux sont d'une banalité affligeante (niveau page wikipédia), on entend le jeune homme constater que les oiseaux pondent.

Fernando travaille seul, mais son petit ami Sergio lui téléphone chaque jour. Et lui rappelle surtout de bien prendre ses médicaments. Si le début de L'Ornithologue est mis en scène avec un certain réalisme, d'ailleurs extrêmement lumineux, ce qui est une première pour João Pedro Rodrigues il faut bien le reconnaître, il va vite aller dans une autre direction. D'abord un fil d'allégorie de plus en plus complexes puis vers la nuit singulière et proche du fantastique. Quant à Fernando, il ne va jamais cesser de rencontrer d'autres personnages au bord de son périple. Tout commence après un accident de kayak.

Chaque nouvelle rencontre se produit sous le signe d'un animal. Il est sauvé par deux Chinoises appelées Fei et Lin, deux « félines » qui vont chasser ce petit oiseau de Fernando en le ligotant. Puis, dans la nuit, il croise des fêtards du coin qui s'amusent à éventrer un sanglier. Plus tard, il rencontre un berger qui garde des chèvres (il boit du lait au pis) et des moutons. Enfin, trois amazones qui montent à cheval viennent lui parler. Pour finir, dans la forêt, des animaux de la savane, empaillés (une girafe, un tigre) sont éparpillés. Sans oublier un hibou au regard inquisiteur.

Chaque rencontre est l'amorce de nouvelles expériences sexuelles (par si nouvelles que ça depuis O Fantasma). Le bondage SM avec les deux Chinoises (gros plan sur sa bite en érection sous son slip), un peu d'orgasme sous un jet de pisse avec les fêtards nocturnes, des bisous et des caresses en bord de rivière avec le petit berger peu farouche. Il se refusera uniquement aux amazones qui chevauchent poitrine nue leurs montures et s'en iront après lui avoir révélé sa vraie personnalité. Le cinéaste jouera le double de Paul Hamy dans les champs-contre-champs.

Le film élabore un sur-texte religieux (l'inverse du sous-texte) franchement envahissant et souvent naïf. Les Chinoises font le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, les fêtards pratiquent des rites satanistes, le berger s'appelle Jésus et Fernando finit au milieu d'une collection de statues de saints et de la vierge aux membres brisés. C'est tout à la fois des touches de Pasolini versant Des oiseaux petits et grands (bien évidemment) que de Buñuel période La Voie lactée : Antonio, le double de Fernando part avec Jésus, main dans la main.

jeudi 23 juin 2016

Le Professeur de violon (Sergio Machado, 2015)

Cette semaine, hasard du calendrier des sorties, deux films totalement opposés ont pour cadre les bidonvilles. A l'autre bout du monde, voici les favelas de São Paulo du Professeur de violon. On est très loin de la rage de Lino Brocka et pourtant la misère est encore présente, violente et sourde. En 40 ans, rien n'a changé. Cet aimable film brésilien conte une histoire « inspirée de faits réels », comme le clame l'affiche, d'un joueur de violon (Lazaro Ramos) tellement pris par son trac qu'il rate le concours pour rentrer dans l'orchestre philharmonique de São Paulo. Lui qui a réussi, à force de travail, à s'extraire de sa condition, à gravir les échelons, risque de se retrouver sans le sou. On lui propose un boulot d'appoint, dans une association sociale : donner des cours à des jeunes. Mais ces jeunes ne sont pas des enfants, contrairement à ce qu'il pensait.

Et aucun d'eux ne sait vraiment jouer du violon ou d'un quelconque instrument. Pas encore adultes mais déjà plus des ados. S'ils sont là, c'est pour faire leurs heures d'intérêt général et pas aller en prison. Le scénario du Professeur de violon est cousu de fil blanc, l'apprivoisement mutuel, les sympathies qui commencent avec deux ou trois jeunes parmi la troupe, les premières désillusions le tout enrobé avec des gangsters qui surveillent le prof, les parents qui veulent que leurs enfants aillent travailler et la tentation de l'argent facile grâce au crime. Les jeunes appellent le prof Obama, il tirera la gueule pendant la moitié du film puis retrouvera le sourire. Bien façonné à la Hollywood, plutôt bien joué, avec quelques moments drôles et d'autres qui cherchent à faire chialer le spectateur, Le Professeur de violon est ce qu'on appelle un film social.

lundi 28 mars 2016

Beira-Mar (Filipe Matzembacher et Marcio Reolon, 2015)

C'est fou comme ils se ressemblent ces deux jeunes gars. Ils sont fringués pareil, jean, t-shirt col rond, sweat à capuche. Ils fument des clopes en même temps. Ils traînent à glander jusque tard la nuit, bouteille de bière à la main qu'ils jettent, une fois vides, dans une poubelle publique, mimant le geste du basketteur, avant de se faire engueuler et de s'enfuir en rigolant. Tomaz (Maurizio José Barcellos) et Martin (Mateus Almada), tout juste adultes, sont les meilleurs amis du monde et mènent une vie aisée à Porto Alegre.

Le père de Martin charge son fils d'une mission, il doit se rendre à Beira-Mar dans le sud du Brésil pour aller chercher un « papier ». Martin demande à Tomaz de l'accompagner, il pourra conduire. Le court séjour se fait en plein hiver, impossible de se baigner dans l'océan. Martin n'a pas vraiment compris pourquoi il doit aller là-bas, il se rendra compte qu'il s'agit d'un vieux secret de famille, d'une seconde famille que son grand-père a fondé à Beira-Mar. D'ailleurs la famille accueille froidement Martin, la grand-mère refuse de donner le papier réclamé.

Entre deux visites chez cette famille que Martin n'a pas vue depuis son enfance, les deux garçons occupent la grande maison. Ils invitent des amis, boivent pas mal, Tomaz se teint les cheveux comme dans La Vie d'Adèle, ils jouent à action-vérité. Les deux gars essaient de coucher avec les filles qui sont venues avec Bento (Fernando Hart), bien plus mûr que Tomaz et Martin, bien plus libéré avec son corps. Tout le monde s'observe cette nuit-là, Tomaz, complètement soûl est près de s'endormir debout sur le corps de Bento.

Le premier film de Filipe Matzembacher et Marcio Reolon sans être tout à fait réussi se démarque. Avare en dialogues, il ne propose que peu d'action et montre des personnages qui peinent à agir, au moins il évite les clichés sur un Brésil de carte postale. Ils filment la tension sexuelle entre Tomaz et Martin, dans une montée lente et chaotique, ils filment des regards qui se posent sur un bout de peau, puis ce bout de peau, un peu de la même manière que le cinéaste argentin Marco Berger (Plan B, Absent et Hawaii).